Par

« Hitléro-communistes » pour Daladier en mars 1940, les communistes font partie de l’« anti-France » vilipendée par Pétain en août 1940 : continuité frappante de l’exclusion de la communauté nationale, malgré la différence des régimes politiques. L’action déterminée des gouvernants pour éradiquer toute activité communiste durant la période de la fin de la IIIe République et du régime de Vichy sous l’occupation allemande est paradoxalement peu connue

L-Etat-contre-les-communistes.jpg

L’État contre les communistes 1938-1944 (Louis Poulhès, éditions Atlande, 2021) se propose de combler une telle lacune, à partir d’une chronologie précise des événements, fondée sur l’étude d’une vaste documentation issue des plus hautes autorités politiques ou des plus simples exécutants de l’État, qu’ils soient français ou allemands.

Au début de l’occupation
L’hostilité de l’État à l’égard du PCF donnant lieu jusqu’alors à des actions ponctuelles par assimilation des communistes aux anarchistes bascule à partir de la fin août 1939 dans une politique déterminée à détruire entièrement le PCF, moyennant des instruments juridiques spécifiques : l’interdiction des journaux communistes par le gouvernement d’Édouard Daladier se prolonge un mois plus tard par la dissolution de toutes les organisations communistes par le décret du 26 septembre 1939, complété dans une optique préventive, sans contrôle des juges, par l’internement administratif le 18 novembre 1939.
Des centaines d’organisations considérées comme communistes sont dissoutes et leurs biens saisis pour être vendus ou transférés. Tous les élus n’ayant pas renié le parti sont déchus de leurs mandats et une part importante des députés est jugée et condamnée. Plusieurs centaines de militants ayant tenté de maintenir les organisations et d’en diffuser la propagande sont emprisonnés. Nombre de camps sont ouverts dans toute la France pour interner élus et militants et plusieurs centaines de communistes sous les drapeaux sont transférés dans des compagnies spéciales, alors que plusieurs dizaines de fonctionnaires communistes sont révoqués.
Le parti communiste, dont tant les militants que les dirigeants ont été stupéfaits par le pacte germano-soviétique, est durement affecté, plus par la mobilisation militaire et par la défection de nombreux militants que par la répression elle-même, qui reste encore relativement limitée. Après avoir suivi tout d’abord une ligne favorable à la défense nationale, il opère un tournant en octobre 1939 sur l’injonction de l’Internationale pour adopter une ligne politique fondée sur la dénonciation de la guerre impérialiste. Malgré la répression et un isolement politique absolu, il réussit à maintenir une organisation et une expression clandestines.

« L’année 1944 revêt un caractère exceptionnel dans l’histoire des quatre années d’occupation allemande du fait d’un déchaînement de la violence des occupants appuyée par un État milicien entièrement à son service et qui livre les détenus communistes aux Allemands pour les déporter, alors qu’à la base, policiers et magistrats commencent à se mettre en retrait et que l’influence communiste se développe dans le pays. »

Paul Reynaud surenchérit sur Édouard Daladier, auquel il succède en mars 1940, et aggrave encore les sanctions contre les communistes sous l’incrimination de trahison punie de mort par le « décret Sérol » d’avril 1940. L’invasion allemande en mai-juin empêche de mener jusqu’au bout les procédures judiciaires sur ce fondement, mais surtout elle aboutit à l’occupation de la plus grande partie du territoire national par suite de la défaite militaire en juin 1940, à la fin de la IIIe République et à l’installation d’un nouveau régime, l’État français, en juillet 1940.
Cette rupture fondamentale dans l’histoire du pays ne se traduit pas par une rupture durable dans la répression des communistes, bien au contraire. Dans le traumatisme inouï de la défaite, le parti communiste, bien qu’à la dérive, demeure la seule force politique ancienne à conserver un minimum d’activité. Dans les toutes premières semaines de leur installation, les occupants lancent une entreprise de séduction d’une population abasourdie. Ils libèrent quelques centaines de prisonniers pour raisons politiques, parmi lesquels une soixantaine de communistes en région parisienne. Les communistes se prêtent à une négociation pour la reparution d’un journal pendant quatre semaines et non sans une grande méfiance, sous l’influence de directives contradictoires provenant de l’Internationale.

Sous le régime de Vichy
Alors que les militants à l’instar de la population reviennent peu à peu, l’activité du parti se développe. Les Allemands, qui ont d’abord pris en charge leur répression après la mi-juillet, comme celle de tous les fauteurs de troubles, permettent aux autorités françaises à l’automne 1940 de reprendre le dispositif répressif de la fin de la IIIe République. Après le flottement de l’été, c’est un retour à la continuité avec un partage des tâches qui confie aux Français la répression des communistes… sous la surveillance la plus attentive des occupants, comme toutes les activités des autorités françaises. La ligne politique du parti, bridée par l’alliance germano-soviétique, se fige à l’automne dans la dénonciation de la guerre impérialiste, renvoyant dos à dos l’Angleterre et l’Allemagne. L’occupation allemande n’en est pas moins attaquée dès juillet dans des documents diffusés peu à peu, ce qui explique leur perception décalée dans le temps. Elle l’est soit de façon transparente à travers un régime de Vichy dénoncé comme complice des
Allemands, soit plus ouvertement. En mai 1941, un appel à la lutte directe contre l’occupant signale un nouveau tournant politique majeur.
L’anticommunisme d’État ne change donc en rien de nature pour nombre de responsables politiques ou administratifs français sous le nouveau régime. Constituant un des points de rencontre fondamentaux entre le régime de Vichy et les nazis, il se renforce encore avec l’Occupation. Le régime juridique anticommuniste de la fin de la IIIe République non seulement ne disparaît pas, mais il se prolonge sous le régime de l’État français qui le revendique, même si l’incrimination de trahison du décret « Sérol » ne peut évidemment plus être maintenue, les bénéficiaires supposés de la trahison, les Allemands, étant devenus les amis du nouveau régime.

« L’opinion publique, déjà très réticente à l’égard des Allemands, principalement du fait des difficultés de la vie quotidienne, condamne fermement ces exécutions, bien que n’approuvant pas pour autant les attentats. »

Du côté allemand, même au cours de l’été 1940, le communisme et ceux qui s’en réclament sont perçus dès le début comme un danger, la négociation ne modifiant en rien la conception qu’ils en ont. Le responsable de la Gestapo, qui les considère en février 1941 comme un « danger permanent et effroyable » ne fait qu’exprimer la perception très ordinaire qu’ont les nazis d’un adversaire de toujours. L’alliance avec l’Union soviétique qu’ils savent tout à fait provisoire ne les fait évidemment pas changer d’avis. C’est durant toute cette période jusqu’à l’été 1941 que les occupants réalisent pleinement leur objectif fondamental : exploiter en toute sécurité le pays vaincu à moindres frais pour eux. La délégation de la répression des communistes à des autorités françaises rapidement réorganisées après la défaite, en constitue un des aspects.

Sous le double feu des nazis et des collabos
L’invasion allemande de l’URSS le 22 juin 1941 ouvre une nouvelle période et constitue une deuxième rupture, essentielle dans l’histoire de la conduite de la guerre et de la relation avec les habitants des territoires occupés.
Les communistes français, rapprochés par les Allemands des Soviétiques comme les gaullistes le sont des Britanniques, deviennent ipso facto soutiens des ennemis de l’Allemagne et les occupants procèdent d’emblée à une vaste opération préventive d’internement avec l’aide de la police française. L’opinion des Allemands est évidemment encore renforcée par les actions armées menées par les communistes, sous forme d’attentats contre le matériel à partir de juillet et contre des militaires allemands à partir d’août. Ils sont non seulement les premiers, mais aussi les seuls de tous les résistants organisés à mettre en œuvre de telles attaques contre les militaires allemands jusqu’en 1943.
Le communisme sous la forme du « bolchevisme », qui présente l’avantage d’allier anticommunisme et xénophobie, devient, tant pour les autorités françaises qu’allemandes un « ennemi universel », une « menace contre la civilisation européenne », un « danger commun ». Associé aux juifs, il devient le « judéo-bolchevisme », formulation là encore très commune de l’imaginaire nazi. La répression anticommuniste est ainsi associée un temps à la persécution antisémite jusqu’à l’autonomie prise par la politique de persécution antijuive à partir de juillet 1942, le thème du « judéo-bolchévisme » tendant alors à s’effacer du discours des occupants.

« Le régime juridique anticommuniste de la fin de la IIIe République non seulement ne disparaît pas, mais il se prolonge sous le régime de l’État français qui le revendique. »

L’anticommunisme s’enrichit de nouvelles dispositions françaises qui aggravent jusqu’à la mort les peines encourues pour des délits qui peuvent avoir été commis antérieurement à la loi, voire pour lesquels leurs auteurs ont déjà été condamnés. Après une première loi instituant des sections spéciales en août 1941, une deuxième loi s’avère nécessaire en septembre 1941 pour répondre plus complètement aux demandes allemandes d’exécutions en représailles du premier attentat contre un militaire allemand. Elle institue une nouvelle instance d’exception, le tribunal d’État, dont la compétence s’élargit potentiellement à tous les fauteurs de troubles. Pour permettre la poursuite des internements des communistes ou présumés tels par les préfets, les Allemands autorisent l’ouverture de plusieurs camps administrés par les Français dans la zone occupée, alors que le dispositif a été réorganisé par Vichy dans la zone non occupée dès la fin de 1940.
Parallèlement, tout en continuant à exhorter le gouvernement de Vichy à poursuivre et aggraver la répression, les Allemands appliquent aux communistes une répression particulière, se saisissant de militants ou de combattants arrêtés par la police française pour les condamner par leurs tribunaux militaires ou les fusiller comme otages. Inaugurant cette politique d’exécution d’otages en septembre 1941 à l’occasion de la poursuite des attentats, ils procèdent à une première vague importante d’exécutions d’otages en octobre, suivie d’une seconde en décembre 1941. Dès lors, les communistes font l’objet de deux circuits répressifs distincts bien que se recoupant en partie, un circuit français et un circuit allemand. Le partage des tâches initial est brouillé et fortement ébranlé. L’opinion publique, déjà très réticente à l’égard des Allemands, principalement du fait des difficultés de la vie quotidienne, condamne fermement ces exécutions, bien que n’approuvant pas pour autant les attentats. Si l’effet direct sur le matériel ou les militaires allemands est limité, l’impact politique de l’action armée est considérablement plus important, comme l’analyse très lucidement le commandant militaire allemand.
Cette situation se prolonge durant les premiers mois de 1942, date à laquelle les occupants poursuivent leur politique d’exécution d’otages et leurs exécutions judiciaires, les communistes comptant pour 90 % des otages fusillés, contre environ 60 % pour les exécutions judiciaires. Cependant, dès décembre 1941, la proposition de déportation de juifs et de communistes en représailles des attentats se prépare. Elle débouche sur un premier convoi vers Auschwitz exclusivement composé de juifs fin mars 1942. La décision de séparer juifs et communistes se traduit par l’envoi de quatre convois de juifs en juin, suivis d’un convoi de communistes début juillet, tous vers Auschwitz, tous d’environ un millier de déportés, tous sous le prétexte de la politique de représailles.

« Le parti communiste, dont tant les militants que les dirigeants ont été stupéfaits par le pacte germano-soviétique, est durement affecté, plus par la mobilisation militaire et par la défection de nombreux militants que par la répression elle-même, qui reste encore relativement limitée. »

Une redistribution des pouvoirs est opérée au début de 1942 : par le remplacement du commandant militaire allemand en février 1942, par le retour de Laval au pouvoir à Vichy en avril 1942, par le transfert du pouvoir répressif allemand à la Sipo-SD (Sicherheitspolizei, « police de sûreté ») début juin 1942. À l’été 1942, les négociations entre le secrétaire général à la police de Vichy et le responsable des polices allemandes aboutissent à renouer avec le partage des tâches qui avait prévalu jusqu’à l’été 1941. La répression des communistes est confiée aux autorités françaises, à l’exception des auteurs d’actes dirigés directement contre les occupants, mais en pratique les Allemands se saisissent de ceux qu’ils souhaitent pour les faire condamner par leurs tribunaux ou comme otages. Après une interruption de deux mois et demi, ils reprennent en effet cette politique des otages en procédant à deux vagues d’exécutions en août et en septembre 1942.
À partir de la mi-juillet 1942, la politique d’extermination des juifs est séparée de la politique de représailles pour connaître un paroxysme jusqu’à la fin de l’année. Des condamnés à des peines de prison par les tribunaux allemands sont également envoyés purger leur peine en Allemagne dans de petits convois et un instrument répressif nouveau fait son apparition à la fin mai 1942 : la déportation en petits convois de prévenus maintenus dans un strict secret sous le sigle « NN » et destinés à être jugés en Allemagne. Si les communistes sont concernés par ces instruments répressifs, ils subissent principalement la répression la plus drastique : la mort, que les exécutions aient un visage légal ou militaire, comme otages.

Le début de la fin
Les policiers français obéissent à l’injonction de Vichy d’accroître la souveraineté française dans le domaine clé de la répression. La préfecture de police à Paris obtient d’importants succès dans la lutte contre les communistes, démantelant régulièrement leurs organisations tant en matière d’action politique que d’action armée, sans pour autant réussir à les éradiquer. Cependant, à la fin de 1943, les coups portés aux organisations armées communistes sont tels que les policiers parisiens semblent proches d’atteindre leur objectif, sans pour autant remonter au niveau le plus central dont les dirigeants restent hors d’atteinte durant toute l’Occupation.
Avec l’extension des enjeux à l’ensemble du territoire national, la généralisation du refus du STO, l’élargissement et l’unification de la Résistance, un basculement se produit à l’été 1943 alors que le partage des tâches dans la lutte contre les communistes entre polices française et allemande se poursuit sans guère d’anicroches. L’année 1944 revêt un caractère exceptionnel dans l’histoire des quatre années d’occupation allemande du fait d’un déchaînement de la violence des occupants appuyée par un État milicien entièrement à son service et qui livre les détenus communistes aux Allemands pour les déporter, alors qu’à la base, policiers et magistrats commencent à se mettre en retrait et que l’influence communiste se développe dans le pays.
À partir de cette trame, l’ouvrage attire l’attention sur plusieurs éléments importants, dont certains ont fait l’objet de développements historiographiques contradictoires, parmi lesquels : l’interdiction du parti communiste, replacée dans l’évolution politique des radicaux depuis le Front populaire ; la politique de séduction allemande en été 1940 ; la résistance communiste avant juin 1941 ; le double circuit répressif, français et allemand ; l’attractivité juridique des dispositifs anticommunistes.
Un livre à lire, sur une période terrible de notre histoire nationale avec l’espoir au bout du tunnel.

Louis Poulhès est agrégé et docteur en histoire, ancien élève de l’ENA.

Cause commune • novembre/décembre 2021