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Intégrer le risque aux territoires et à leur aménagement est aujourd’hui une nécessité dans le cadre du développement durable. Pour être durables les territoires et leurs usages doivent compter avec les risques et leur gestion.

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A Saint-Pierre-des-Corps, cent quatre habitations entourent cette usine. Elles sont concernées par le nouveau plan de prévention des risques technologiques, qui prévoit treize expropriations d’office.

Le territoire désigne un espace sur lequel s’exerce un ou des pouvoirs. Ce peut être la commune, la communauté de communes, le département, la région… qui se définissent par des limites et sont associés à des acteurs, lesquels contribuent à gérer ces territoires. C’est un espace institutionnalisé où peuvent se développer des conflits, c’est un objet politique. La territorialisation inclut les pratiques et les représentations des individus socialisés par un réseau d’appartenance. Tout territoire peut être soumis à des dangers de nature variée : dangers ou aléas naturels – inondations, tempêtes, séismes, mouvements de terrain, avalanches, dangers industriels, technologiques, nucléaires, incendies, explosion, fuites de produits toxiques.

« Globalement, la population française connaît mal le danger, soit parce qu’elle a perdu la connaissance des processus naturels et des dynamiques de la planète, soit parce que, très mobile, elle n’a aucune connaissance des processus potentiellement dangereux qui peuvent exister dans son nouveau territoire d’implantation. »

Territoires de l’aléa, territoires du risque
Les aléas (avalanches, inondations, tempêtes, aléas technologiques…) se produisent dans un territoire, qui peut être une portion de commune (risque d’incendie très localisé, ou glissement de terrain), plusieurs communes, dans le cas notamment d’un aléa linéaire comme l’inondation. L’aléa peut aussi affecter un territoire de grande dimension, comme ce fut le cas des tempêtes qui, en 1999, ont balayé communes, départements, régions. Certains aléas peuvent aussi avoir une dimension internationale : inondations des fleuves frontaliers (Rhin, par exemple), pollutions de l’air (pluies acides ou pollutions d’origine nucléaire, telles celle issue de Tchernobyl). Le territoire affecté par la crise ou la catastrophe résultant de la manifestation de l’aléa est parfois différent du territoire de l’aléa ; une telle situation est fréquente en cas de séisme en raison de la nature des roches. Ainsi, lors du séisme survenu à Mexico en 1987, les effets ne sont pas concentrés dans le secteur de l’épicentre (défini comme la projection à la surface de la terre du foyer, point où se produit la rupture), comme on pourrait s’y attendre. Le séisme a provoqué des milliers de morts et d’importants dégâts à Mexico pourtant à quatre cents kilomètres de l’épicentre. Les raisons d’une telle situation sont liées à la nature du sous-sol ; les dépôts meubles lacustres du bassin de Mexico ont accentué les effets des secousses. Les conséquences d’un événement dangereux sont inégales aussi en fonction de la vulnérabilité du territoire affecté, de son accessibilité, de la densité de population concernée, de la connaissance du danger qu’a celle-ci, des types de constructions, traduisant eux-mêmes des inégalités sociales. Globalement, la population française connaît mal le danger, soit parce qu’elle a perdu la connaissance des processus naturels et des dynamiques de la planète, soit parce que, très mobile, elle n’a aucune connaissance des processus potentiellement dangereux qui peuvent exister dans son nouveau territoire d’implantation. Cette absence de connaissance, de mémoire du risque, que l’on nomme parfois sans très bien la définir « culture du risque » a des conséquences négatives. La population considère que l’État doit mettre en place une politique de prévention et, en cas de déroulement de la crise, c’est encore lui qui est considéré comme l’acteur principal voire unique du retour à une vie « normale ». Or il semble primordial que les citoyens davantage informés soient plus impliqués dans les instances décisionnelles locales.

Gestion territorialisée du risque 
L’analyse des territoires intègre désormais les risques en raison de l’application des réglementations en vigueur. Historiquement, les risques ont souvent été traités par des mesures de protection (construction de digues, de paravalanches), base de la politique de gestion du risque d’inondation notamment, mais le bien-fondé de ces mesures établies sur l’idée que la maîtrise de l’aléa pourrait permettre de parvenir au risque zéro est aujourd’hui remis en question, on sait que le risque zéro n’existe pas. On est passé à la prévention, à l’intégration des risques aux politiques d’aménagement des territoires afin de réduire l’exposition des enjeux et d’accroître la résilience des territoires. Ainsi a été mise en œuvre la politique des plans de prévention des risques naturels (PPRN) qui établissent un zonage à l’échelle communale distinguant, en fonction du niveau d’aléa, les « zones rouges » où les constructions sont interdites, les zones bleues pour un aléa moyen, où les projets sont soumis à des prescriptions adaptées au type d’enjeu. Les zones blanches, non directement exposées aux risques mais où des constructions, ouvrages, aménagements pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux, sont soumises à des interdictions ou à des prescriptions.

Plans de prévention des risques technologiques, loi du 30 juillet 2003
La promulgation de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, réponse du législateur à la catastrophe d’AZF, conduit à l’élaboration des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) concernant les six cent soixante-dix sites Seveso dits « seuil haut » (du nom de directives européennes édictées à la suite de la dispersion d’un nuage toxique de dioxine en 1976 sur la ville italienne de Seveso). L’objectif de ces plans étant de résoudre des situations héritées : proximité des usines et des espaces urbanisés. À la Mède près de Fos-sur-Mer, autour de l’établissement Total, les populations riveraines des espaces à risques se sont organisées pour contester les dispositions du PPRT. Comment expliquer cette opposition, dont l’objectif est la réduction des risques et la protection de la population ? À la Mède, la population, composée en partie de retraités de l’usine, est attachée à celle-ci, et les riverains qui ne sont pas opposés au maintien de l’activité industrielle, ne demandent pas la délocalisation de l’usine. La contestation porte sur le PPRT lui-même, ses modalités d’application, de financement et la concertation associée. La loi prévoit l’obligation de travaux de sécurisation des habitations situées en zone à risques si, après application des meilleures pratiques et techniques disponibles « économiquement acceptables », les zones de danger n’ont pas été suffisamment réduites. Selon la loi de 2003, l’étude de dangers, réalisée par l’industriel, doit en effet réduire les risques à la source « dans des conditions économiquement acceptables ». Cette dernière notion est contestée par les habitants. Elle n’inciterait pas l’industriel à effectuer la démarche la plus complète de réduction des risques. Les riverains ne veulent pas participer financièrement à la protection de leurs habitations, ils considèrent que cela est de la responsabilité de l’industriel. Dans les espaces définis par le zonage du PPRT, l’identité territoriale et le patrimoine immobilier se dévaluent en raison de l’exposition au risque. L’évolution des quartiers péri-industriels, telle que le PPRT la prévoit, devrait aboutir au départ d’une partie au moins de la population, celle qui parvient à vendre ses biens. Le renouvellement de la population va favoriser l’installation d’une population socialement défavorisée, attirée par un marché de l’immobilier bas. Cette évolution conduit à une double inégalité : environnementale définie comme une inégalité d’exposition aux polluants, nuisances et risques environnementaux et sociaux, seuls les plus pauvres demeurent finalement dans les espaces dangereux.

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Ces plans ont pour objectifs la limitation de l’urbanisation autour des installations à risques, l’éloignement des habitations et la programmation de travaux sur les habitations existantes très exposées. Ainsi le PPRT conduit à interdire ou à limiter la réalisation d’aménagements, d’extensions ou de constructions nouvelles dans certains espaces proches des établissements potentiellement dangereux. Dans ces zones peuvent être appliquées des procédures d’expropriation des populations ou le droit de délaissement qui permet aux propriétaires de céder leur bien à la commune. Pour les zones plus éloignées, le PPRT impose le renforcement des bâtiments pour résister aux effets thermiques ou de surpression (onde de choc suite à une explosion) : installation de triple vitrage, construction d’un local de confinement, renforcement des toitures, etc. L’ensemble de ces mesures devant être financé par l’État, les collectivités locales, l’industriel et les riverains. Le PPRT de la vallée de la Chimie à Lyon, qui a été approuvé en 2016, définit des espaces à fortes contraintes pour les populations riveraines parmi les plus pauvres de l’agglomération lyonnaise. Ce plan réglemente l’urbanisation future et existante autour des dix établissements classés Seveso seuil haut de la vallée de la Chimie, sur les communes de Lyon 7e, Pierre-Bénite, Saint-Fons, Irigny, Feyzin, Vénissieux, Oullins, Solaize, Saint-Symphorien-d’Ozon et Vernaison. Initié en 2009, il résulte d’une étroite collaboration entre les industriels à l’origine du risque, les collectivités, les services de l’État et le public. Il établit des normes de sécurité pour 26 000 habitants et 12 000 employés exposés aux effets d’un possible accident industrie. L’analyse des conflits que suscite parfois l’élaboration des PPRT pose la question de la place et du maintien des industries à risques dans les territoires. Pour les élus locaux, l’industrie est source d’emplois, ce qui justifie leur position en faveur du maintien du tissu industriel. Leur inquiétude résulte plutôt des conséquences pour les industries de la politique nationale de réduction des risques. Pourra-t-on maintenir des industries, parfois fragiles, contraintes par une réglementation qui leur impose de nouveaux investissements pour la réduction des risques majeurs ? Peut-on envisager la pérennité des territoires industriels face aux difficultés économiques aggravées par le coût de la gestion des risques ?

Les zones à risques et les populations menacées
S’agissant des risques naturels, l’aménagement du territoire qui intègre ces risques par le biais des zonages des PPRN est généralement très mal perçu par les populations menacées. Dans de nombreux exemples, soit la population qui habite en zone à risques minimise ceux-ci ou les refuse, soit elle considère que la sécurité est l’affaire de l’État, soit enfin elle ne peut accepter l’idée de devoir vivre ailleurs et autrement. L’exemple des habitants des îles de la Marne pourtant en zone rouge du premier PPR en témoigne (îles Fanac à Joinville-le-Pont, Sainte-Catherine et Brise-Pain de Créteil, des Loups de Nogent-sur-Marne, d’Amour de Bry-sur-Marne). Le zonage a provoqué un tollé au sein des communes concernées. Plusieurs riverains regroupés en associations (Association pour la protection des riverains et des îliens à Bry-sur-Marne), soutenus par les élus, ont obtenu la modification du zonage, modification qui naturellement ne va pas dans le sens d’une meilleure prise en compte du danger. L’exemple du littoral atlantique où la tempête Xynthia a provoqué la mort de quarante-sept personnes en février 2010 permet des conclusions similaires. Les premières estimations des pouvoirs publics considéraient que cinq cent quatre-vingt-quinze habitations en Charente-Maritime, et sept cent quatre-vingt-dix-huit en Vendée devaient être démolies dans les « zones noires ». Les habitations rachetées par l’État ont été progressivement détruites sur ces espaces pour la plupart récemment urbanisés. Mais les habitants, pourtant très affectés par la situation dramatique qu’ils venaient de vivre, n’ont pas accepté cette solution. Regroupés en associations, ils se disaient prêts dans un tract de fin 2010 à attaquer l’État en justice pour empêcher la destruction de leurs maisons. Si cette procédure a conduit à revoir de manière plus fine la définition des zones « noires » devenues « zones de solidarité », la réaction de personnes pourtant meurtries, face au danger toujours présent, ne laisse pas de surprendre. Quelle leçon cette population a-t-elle tirée d’un tel drame ? Se pose donc la question des conflits entre intérêt collectif et intérêt individuel, entre la place de l’État et le comportement des particuliers. Qui doit trancher ? Habiter un territoire à risques renvoie donc à des questions de pratiques de la démocratie et de l’éthique. Beaucoup de communes considèrent que les obligations imposées par l’État bloquent leur développement, stérilisent leur territoire en raison du gel de l’urbanisation envisagé en zone rouge. Certains élus et citoyens jugent le risque négligeable et considèrent qu’il est très surestimé par les services de l’État, cette surestimation produisant des effets inacceptables sur leur territoire. L’existence d’espaces non constructibles obère le développement communal, ce que les élus vivent en général très difficilement. Les biens des citoyens implantés en zones à risques perdent leur valeur foncière, ce qui ne peut que mécontenter les propriétaires.

« Dans de nombreux exemples, soit la population qui habite en zone à risques minimise ceux-ci ou les refuse, soit elle considère que la sécurité est l’affaire de l’État, soit enfin elle ne peut accepter l’idée de devoir vivre ailleurs et autrement. »

Désormais, dans les lieux à risques forts sur les territoires littoraux affectés par les tempêtes et la montée du niveau marin notamment, l’État envisage la stratégie de repli ; « le repli stratégique » est relativement nouveau dans la politique française de gestion des territoires à risques. Le retrait (ou déplacement) conduit à quitter le territoire dangereux de manière temporaire ou définitive. Afin de résorber les constructions en zone dangereuse, un « droit de délaissement » est créé au profit des propriétaires : ceux-ci pourront mettre les collectivités locales en demeure d’acquérir leur bien (article L.515-16 § 2 II nouveau du code de l’environnement). L’expropriation est une procédure qui permet à une personne publique (État, collectivités territoriales…) de contraindre un particulier ou une personne morale (entreprise) à céder la propriété de son bien, moyennant le paiement d’une indemnité. Un certain nombre de territoires dangereux, sur les littoraux par exemple, devant très probablement dans un futur assez proche être évacués sous l’effet des dangers grandissants liés notamment aux conséquences du réchauffement.
Cette rapide réflexion sur les relations entre territoire et risques permet de rappeler que, souvent, les espaces à risques correspondent aux quartiers les plus pauvres. Les risques et les catastrophes associées sont des révélateurs ou des marqueurs des inégalités sociales, environnementales et territoriales. Les aménagements après le déroulement d’une crise due à la manifestation de l’aléa doivent intégrer le risque aux politiques mises en œuvre pour un développement durable signifiant activités économiques pour tous, qualité de l’environnement et équité sociale. Ce triple objectif, difficile à atteindre demeure bien souvent encore utopique dans la gestion des territoires à risques. Ne faut-il pas dès lors repenser totalement l’implantation de certaines activités et des populations associées, comme en témoigne l’exemple de Saint-Martin ? l

Yvette Veyret est géographe. Elle est professeur émérite à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018