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La Réunion est notamment entravée par l’amendement Virapoullé, qui prive l’île de la possibilité de bénéficier des « adaptations » possibles dans d’autres départements et régions d’outre-mer. Pour faire sauter ce verrou, un travail est notamment en cours au sein de la commission d’enquête parlementaire sur la vie chère en outre-mer.

Le 19 mars 1946, à la suite des discours successifs et coordonnés des députés de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe et de La Réunion, ces « quatre colonies » deviennent des départements français. Le député Gaston Monnerville s’exprimait ainsi devant l’Assemblée constituante : « Après la fraternité et la liberté, nous venons vous demander l’égalité devant la loi, l’égalité des droits ». Soixante-dix sept ans après cet acte fondateur de la départementalisation, où en sommes-nous ? La demande d’égalité exprimée par les représentants de la nation a-t-elle été honorée ?

Un constat actuel
À La Réunion, 39 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les chiffres ont une vertu : ils ne sont ni de droite ni de gauche mais ils penchent toujours du côté de la vérité et dans notre cas précis cela représente 332 500 Réunionnais et Réunionnaises qui luttent tous les jours pour savoir comment se nourrir, comment se déplacer, tout simplement comment survivre. Dans l’hexagone, ce chiffre ne dépasse pas 14,6 %. Quel serait le climat dans l’hexagone si ce seuil était le même que le nôtre ? Cette disparité est criante et choquante : la précarité est bien plus forte à La Réunion que dans l’hexagone. L’objectif d’égalité qui a motivé la départementalisation n’est nullement atteint.

« 332 500 Réunionnaises et Réunionnais luttent tous les jours pour savoir comment se nourrir, comment se déplacer, tout simplement comment survivre. »

À La Réunion, les prix sont en moyenne 7 % plus élevés que dans l’hexagone et l’écart de prix sur les produits alimentaires s’élève à plus de 28 %. Or, les conséquences, non-chiffrées à ce jour, de l’inflation rampante, héritage de la crise du covid et de la guerre en Ukraine, seront néfastes. De même, le taux de chômage est plus élevé à La Réunion : en 2021, les chiffres de l’INSEE montrent que 26 % des jeunes de 19 à 26 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation contre 12 % dans l’hexagone. Or je ne vous apprends rien : l’absence d’emploi est la principale cause de précarité.
En 2023, dans un pays qui est le septième pays le plus riche au monde, ce constat est inacceptable et incompréhensible : comment peut-on accepter qu’aucune politique sociale efficiente et pérenne n’ait encore été choisie pour lutter contre ce fléau qu’est la précarité ?

Mesures actuelles et écueils
L’amendement Virapoullé, inscrit au cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution empêche la région Réunion de demander à œuvrer dans le domaine de la loi. Concrètement, mon Péi ne peut bénéficier d’un mécanisme qui vise à adapter les politiques aux contraintes locales car colonie un jour, colonie toujours ! Or, c’est encore le meilleur moyen d’œuvrer contre la précarité endémique réunionnaise : lui trouver des solutions précises et adaptées.
Depuis 2012, pour permettre aux Réunionnais de s’approvisionner correctement, il a fallu pérenniser la mesure d’urgence du bouclier qualité prix en l’entérinant et l’amplifiant : on parle désormais de bouclier qualité prix +, dont le panier de denrées est passé de 109 à 153 produits.
Voilà donc dix ans que les Réunionnais ont accepté de vivre avec ce dispositif, sans pour autant régler sa raison d’être. Nous nous contentons de traiter les symptômes d’une économie malade sans prendre les mesures pour la guérir. Nous tournons en rond et les mêmes se gavent sur le dos des Réunionnais. Face à ce problème de taille, pas de place pour la langue de bois. Chacun doit prendre ses responsabilités ; tant les acteurs économiques que les pouvoirs publics.

Projets et engagements pour La Réunion
La sortie de la précarité ne peut se faire que par un changement en profondeur de notre vision politique. Il faut en priorité faire sauter le verrou qu’est l’amendement Virapoullé au moyen d’une réforme constitutionnelle : donnons à La Réunion le peu d’autonomie qu’on lui a promis.
Pour y travailler, je me suis engagé au sein de la commission d’enquête parlementaire sur la vie chère en outre-mer. Il faut la volonté de déterminer les raisons de la précarité et y remédier. Des premiers éléments de réponse ont d’ores et déjà été identifiés.
En fixant les prix à sa guise, la grande distribution ne raisonne qu’en matière de marges et de profits, au détriment des conditions de vie des Réunionnais.

« La jeunesse réunionnaise contrainte de s’exiler doit pouvoir revenir travailler dans son pays. Il faut instituer un cercle vertueux : un jeune sans emploi à la Réunion ne craindra plus d’aller se former dans l’hexagone s’il est assuré de rentrer facilement travailler chez lui. »

Plus haut dans la chaîne d’approvisionnement, les sociétés d’import de denrées participent à augmentation des prix en se dégageant des marges qui se chiffrent en milliards, nourrissant encore et toujours la précarité des Réunionnaises et des Réunionnais.
Si ces causes peuvent paraître évidentes, les solutions le sont moins. Tout l’intérêt de cette enquête parlementaire est d’identifier précisément les causes de précarité pour y remédier durablement. Par ailleurs, une revalorisation de nos forces vives est primordiale, nécessaire. À ce titre, j’ai déjà pu montrer mon engagement pour que soit facilitée la scolarité des jeunes Réunionnaises et Réunionnais en interpellant le ministre de l’Éducation sur le prix des effets scolaires.
Plus encore, la jeunesse réunionnaise contrainte de s’exiler doit pouvoir revenir travailler dans son pays. Il faut instituer un cercle vertueux : un jeune sans emploi à La Réunion ne craindra plus d’aller se former dans l’hexagone s’il est assuré de rentrer facilement travailler chez lui. Cette mesure, j’y travaille avec d’autres députés qui ont à cœur de favoriser le travail des jeunes ultramarins et la lutte contre le chômage dans nos territoires.
Faut-il le rappeler, notre histoire est liée à l’exil. Nous avons d’abord eu l’esclavage avec des hommes et des femmes venus d’Afrique et de Madagascar. Puis l’engagisme des hommes et des femmes venus de Chine et d’Inde. Ces hommes et ces femmes ont construit La Réunion et ont fait de nous des Réunionnais. Aujourd’hui, c’est aux Réunionnais de continuer à construire ce Péi mais avec l’hexagone comme seule échappatoire face au chômage de masse, l’exil au travers de la mobilité est un choix trop souvent stérile, car il nous éloigne de notre environnement aussi bien culturel qu’identitaire.
Cet engagement transcende les territoires et les députés des outre-mer se sont réunis en janvier 2023 en Guyane sur invitation de mon collègue et frère de lutte Davy Rimane. Le constat est partagé et il nous apparaît urgent d’œuvrer de manière conjointe pour sortir nos Péi de leurs précarités endémiques. Comme le disait Nelson Mandela « Madiba » : « Vaincre la pauvreté n’est pas un geste de charité. C’est un acte de justice. » Nous, descendants d’Africains, d’Indiens, de Malgaches, nous avons soif de justice. Cet acte de justice, je le dois aux militants mais plus largement à l’ensemble des Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais et Mahorais, qui à défaut de pouvoir vivre dignement, survivent difficilement. En alliant nos engagements et nos forces politiques, nous, députés d’anciennes colonies pouvons renverser la précarité qui s’est installée insidieusement dans nos territoires, trahissant les promesses de la départementalisation car la liberté ne se donne pas, elle se prend.

Frédéric Maillot est député (PLR) de La Réunion.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023