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La jeunesse ne dure qu’un temps et ces centaines de milliers de jeunes qui sont passés par les organisations de jeunesse communistes en sortent rarement sans héritage.

L’ année 2020 marque le centième an­ni­versaire de la création de la Jeunesse communiste ou, plus exactement, de l’adhésion des Jeunesses socialistes (JS) à l’Internationale communiste des jeunes lors de leur congrès national (Paris, la Bellevilloise). Signe s’il en est que la « génération du feu » et ses cadets aspiraient à sortir d’une social-démocratie ayant à leurs yeux failli (selon la formule de Lénine), la JS est la première à sauter le pas de l’adhésion au communisme, quel­ques semaines avant la SFIO.
Pour autant, l’existence d’une organisation de jeunesse spécifique, à côté du parti, n’est pas une nouveauté communiste. Cela s’inscrit dans le prolongement de l’histoire du mouvement socialiste du XIXe siècle : le Parti ouvrier français de Jules Guesde, pionnier en matière d’organisation en France, dispose alors d’une déclinaison juvénile, et il n’est pas le seul. La SFIO est accompagnée de la JS à partir de 1912.

« La jeunesse ne dure qu’un temps et ces centaines de milliers de jeunes qui sont passés par les organisations de jeunesse communistes en sortent rarement sans héritage. »

Mais en dehors de l’héritage organisationnel, pourquoi les communistes ont-ils décidé de maintenir une organisation spécifique cent ans durant ?
L’essentiel de la réponse à cette question tient dans le caractère jugé stratégique de la jeunesse, temps de cristallisation politique de longue portée, et l’ampleur des spécificités de cet âge.
Les conditions de travail des jeunes, dans l’essentiel du XXe siècle, ne sont pas à l’image de celles de leurs aînés. Jusqu’en 1968, notamment, le principe « À travail égal salaire égal » n’est pas respecté car un « abattement » de salaire frappe les salariés les plus jeunes, contraints de travailler pour moins cher. Le dernier tiers du XXe siècle et les premières décennies du XXIe n’ont pas été avares pour leur part en contrats précaires réservés à la jeunesse sous des acronymes divers – ou, plus récemment, en mesures de recul social réservées aux dernières générations. Les jeunes ont trouvé là matière à mobilisations et ont pu décider de les mener avec les jeunes communistes.

Le droit de vote à 18 ans
Le statut de minorité politique dans lequel tend à être tenue la jeunesse a également fait l’objet de combats pour les JC. C’est le cas en particulier pour le droit de vote à 18 ans. « Il serait immoral que ceux qui n’ont pas voulu attendre 21 ans pour donner leur sang à la patrie n’aient pas le droit de voter, tandis que les trafiquants du marché noir et les […] collaborateurs traîtres, qui ne sont toujours pas arrêtés, ont le droit d’influencer la vie politique du pays », lit-on dans L’Avant-Garde, journal des JC, à l’automne 1944. Sur ce chapitre, les JC sont particulièrement actifs, étant parvenus à inscrire le droit de vote à 18 ans dans la charte de la jeunesse des Forces unies de la jeunesse patriotique (pendant juvénile du programme du CNR). Cette campagne connaît un nouveau temps d’intensification au début des années 1970, de sorte que les JC n’auront vraiment pas été pour rien dans cette mesure improprement attribuée au seul Valéry Giscard d’Estaing.

Émancipation culturelle, questions internationales
Mais la jeunesse reste, dans les représentations communes, le bel âge ou ce qui devrait être tel. Aussi, dans un contexte de pénurie de loisirs accessibles au plus grand nombre, les JC, surtout à partir des années 1930, proposent divertissements et randonnées, sorties au théâtre, au musée ou à la mer. Il y a assurément ici un souci d’émancipation culturelle. Et aussi celui de ne pas laisser seules les puissantes structures confessionnelles d’encadrement de la jeunesse. Cet enjeu déborde même, en amont, la jeunesse, avec l’action de la JC en direction des enfants dans le cadre des Vaillants ou des Pionniers.

« Il serait immoral que ceux qui n’ont pas voulu attendre 21 ans pour donner leur sang à la patrie n’aient pas le droit de voter, tandis que les trafiquants du marché noir et les […] collaborateurs traîtres, qui ne sont toujours pas arrêtés, ont le droit d’influencer la vie politique du pays. »
L’Avant-Garde, automne 1944

Il faut enfin souligner deux dernières spécificités qui ne sont pas indifférentes au sexe : les jeunes hommes ont cette particularité d’être, hors mobilisation générale, les acteurs exclusifs de la guerre ; les jeunes femmes sont tôt coupées de la vie politique. Le premier aspect fait de la JC l’organisation par excellence, dans le dispositif communiste, pour toutes les questions relatives à l’armée et, par ricochet, les questions internationales. Occupation de la Ruhr, guerre du Rif, Résistance, guerre d’Indochine puis d’Algérie, guerre du Vietnam, guerre du Golfe, etc. : les JC sont en première ligne sur ce terrain. Idem pour la libération de Nelson Mandela, emprisonné dans les geôles sud-africaines de 1962 à 1990 en raison de sa lutte contre l’apartheid.

L’Union des jeunes filles de France
Du côté des jeunes filles – bien sûr également mobilisées pour les questions précédentes –, la situation qui est la leur dans une longue partie du siècle écoulé, ne va pas sans lourds problèmes pour l’organisation de leur mobilisation. Surveillées de près par leurs parents qui craignent que des réunions mixtes n’entraînent des grossesses très malvenues, nombre d’entre elles restent en marge d’une organisation politique mixte dominée par des jeunes hommes. Toutefois, et le fait est notable si on adopte une démarche comparative, on compte très tôt des jeunes femmes à des postes de responsabilité dans la JC, comme Rosa Michel ou Danielle Casanova mais, en 1936, il apparaît qu’il faut faire bien davantage. Une organisation propre est ainsi créée : l’Union des jeunes filles de France. Elle ne sera pas pour rien dans le fait que deux parlementaires de sexe féminin sur trois sont communistes, en France, de la Libération jusqu’à la fin des années 1970.
La jeunesse ne dure qu’un temps et ces centaines de milliers de jeunes qui sont passés par les organisations de jeunesse communistes en sortent rarement sans héritage. Ce peut être une porte d’entrée durable dans le mouvement communiste organisé, comme l’illustre le cas de ces députées et sénatrices. Ce peut être bien plus labile, mais cela participe fortement à cette empreinte communiste qui caractérise l’histoire de notre pays.

Guillaume Roubaud-Quashie est historien. Il est doctorant en histoire contemporaine de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020