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Après une première annonce de fermeture le 17 février 2017, l’Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté, le 18 mai 2017, a annoncé la mise sous administration provisoire de l’hôpital de Saint-Claude, dans le Jura. Cette décision va de pair avec la mise sous administration provisoire de la communauté hospitalière de territoire, qui concerne aussi l’hôpital de Lons-le-Saunier, soit presque la moitié du département. Entretien avec Francis Lahaut.

 

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Francis Lahaut a été maire (PCF) à deux reprises de la cité sanclaudienne et est membre du conseil d’administration de l’hôpital depuis 1995. Il anime la mobilisation citoyenne contre cette décision qui va entraîner la fermeture en avril 2018 des services de chirurgie et de maternité. Il nous présente le territoire.

Notre territoire montagneux, le Haut-Jura, compte plus de 60 000 habitants de Morez, Les Rousses, jusqu’à Moirans-en-montagne et incluant bien sûr Saint-Claude. Entre certains villages et notre centre hospitalier, il faut compter quarante-cinq minutes de temps de transport, et plus d’une heure dans des conditions hivernales. En 2016, l’hôpital de Saint-Claude a accueilli 11 480 patients au service des urgences, dont 3 007 hospitalisés sur place et 211 transférés. Il y a eu 342 naissances à la maternité (seuil de fermeture – parfaitement arbitraire d’ailleurs – 300). Et il y a eu 2 502 interventions au bloc opératoire. La décision de fermeture de nos services majeurs de chirurgie et de maternité, qui conduira rapidement à la liquidation totale de l’hôpital, est donc totalement inacceptable alors que nous relevions jusqu’à maintenant de « l’exception géographique ». Notre combat n’en a que plus de vigueur et va se poursuivre.
En 1995, une mobilisation de grande ampleur des Hauts-Jurassiens avait arraché le maintien de notre hôpital déjà menacé et des financements pour la construction d’un plateau technique qui nous est très envié. Aujourd’hui, l’agence régionale de santé aux ordres du ministère justifie ses décisions criminelles par la nécessité d’un retour à l’équilibre des hôpitaux de Lons-le-Saunier et de Saint-Claude, en escomptant 5,6 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires pour l’hôpital de Lons avec la fermeture de celui de Saint-Claude. Une illusion comptable absolue. Le financement actuel de l’hôpital public avec la « tarification à l’activité » maintiendra Lons en déficit, comme le sont les hôpitaux voisins de Pontarlier dans le Doubs et d’Oyonnax dans l’Ain. Avec des patients du Haut-Jura qui se tourneront naturellement vers Lyon ou Bourg-en-Bresse.

Pourquoi maintenir un hôpital à Saint-Claude ? Quels arguments juridiques ?
Notre territoire est très montagneux, et les distances se comptent en temps et non en kilomètres. Pendant longtemps, nous avons bénéficié de « l’exception géographique » ; et en 2016, la loi Montagne adoptée par l’Assemblée nationale rappelait dans son article 23 le principe d’équité : « L’État peut autoriser, à titre expérimental et pour une durée maximale de trois ans, au nom du principe d’équité territoriale, que le projet régional de santé s’attache à garantir aux populations un accès par voie terrestre à un service de médecine générale, à un service d’urgence médicale, à un service de réanimation ainsi qu’à une maternité dans des délais raisonnables non susceptibles de mettre en danger l’intégrité physique du patient en raison d’un temps de transport manifestement trop important. » Il faut souligner aussi que tant que c’étaient les préfets qui avaient la main sur la santé, nous pouvions discuter, être parfois entendus en tant qu’élus locaux. Aujourd’hui, avec les ARS, avec la verticalité qu’elles imposent entre le ministère et les populations, il n’y a aucun moyen de discuter : l’ARS vient de publier le 7 décembre 2017 un nouveau zonage des territoires en tension dans l’accès aux soins. Dans le Jura, deux territoires sont classés en zone d’intervention prioritaire, en raison d’un déficit de médecins libéraux : Saint-Amour et Saint-Claude, et des aides pourraient être allouées pour permettre l’installation de nouveaux médecins. Mais en attendant, pour lutter contre le désert médical, l’ARS ferme l’hôpital de Saint-Claude au mois de mars 2018. Logique imparable.

Comment cela a-t-il pu produire la mobilisation de 5 000 personnes lors de la manifestation du 13 mai 2017 et d’autres événements comme la marche Saint-Claude-Lons ou le meeting de 700 personnes au palais des sports ?
Déjà tous les syndicats ouvriers et hospitaliers sont unis ; les élus se battent également ensemble, il faut voir le maire Mouvement pour la France (MPF) parler devant les banderoles CGT ! Mais trente-six chefs d’entreprises du secteur, comptant près de 2 500 salariés, se sont joints à la mobilisation, prêtant des tracteurs ou s’engageant à fond dans la bataille. Car s’il n’y a plus de service public, il n’y aura jamais de personnel qualifié pour venir ou rester dans les entreprises qui créent des richesses sur le territoire. De même les médecins libéraux ont aussi demandé à être reçus par l’ARS, car ils sont peu nombreux et cela va augmenter leur charge de travail, surtout avec une population vieillissante ; eh bien ils n’ont toujours pas eu de réponse ! Il faut savoir que Genève est très proche et que le secteur entre Morez, Saint-Claude et Oyonnax a déjà subi une forte désindustrialisation. La population apprécie que l’on se batte comme ça, et c’est aussi grâce au comité de défense.

En parlant du comité de défense, quels sont les éléments de tactique, d’organisation qui peuvent aider à comprendre que la mobilisation peut espérer gagner quelque chose ?
Je ne suis pas le président du comité de défense, ni le maire, c’est André Jannet, qui est président d’une association qui combat la leucémie, et qui est bien connu sur le territoire. C’est un battant qui fédère derrière lui. Ensuite, nous avons été invités à Oloron-Sainte-Marie, dans les Pyrénées-Atlantiques, où la maternité fermait aussi, pour témoigner ; en retour, le président (communiste) du comité de défense de là-bas est venu, avec son député, Jean Lassalle. Cela permet une meilleure médiatisation. Nous avons aussi également fait venir Pierre Dharréville, député PCF, pour visiter les infrastructures ; cette visite a été très appréciée par les gens sur place et par les personnels hospitaliers. On a fait venir ces députés, car on ne peut pas compter sur l’élue de Lons (En marche, ex-PS) : elle a voulu intervenir auprès de la ministre et elle s’est fait remonter les bretelles par un de ses conseillers ! À plusieurs reprises, dans mes discours, j’ai souligné le parallèle entre le 1.5 milliards d’euros qui manque à l’hôpital public en 2017 et les 80 milliards d’évasion fiscale, tout le monde applaudit et est d’accord. Enfin, il faut souligner que nous avons invité les sociétés d’ambulance à venir témoigner et à participer à la mobilisation : d’après le service départemental d’incendie et secours, les transferts sanitaires ont explosé en 2016, et cela va augmenter avec les fermetures, ce qui inquiète les professionnels du secteur, car s’il faut faire soixante ou quatre-vingts kilomètres pour une urgence, il y aura forcément des soucis.

Après la manifestation du 24 mars qui a rassemblé plus de 1 800 personnes, quelles suites allez-vous donner ? Et quel pourrait être le rôle des institutions et élus locaux ?
Déjà le 23 juin à Paris, il y aura un grand rassemblement, une proposition de la coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, qui sont nombreux dans notre région Bourgogne-Franche-Comté : Clamecy (où des dizaines de maires de communes voisines ont démissionné, en février), Gray, Vesoul, Autun, etc. Le maire de Saint-Claude envisage d’aller au tribunal administratif (interview dans Voix du Jura), et le docteur Jean-Paul Guy parle carrément de « crimes contre l’humanité » car des décès seront inévitables (césariennes en urgence, par exemple). Sur la question des soins, avec la Communauté de communes, nous avions créé des maisons de santé avec lesquels l’hôpital peut coopérer mais qui ne le remplaceront jamais. Et il est évident qu’avec le financement via la tarification à l’acte, ils n’y ont aucun intérêt. Alors qu’une collaboration originale pourrait permettre d’inventer des solutions pour un service public du XXIe siècle.  n

Francis Lahaut à été maire (PCF) de Saint-Claude (Jura).

Entretien réalisé par Pierrick Monnet

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018