Par

Le gouvernement de coalition de l’État espagnol est sans doute à un tournant de son histoire. Depuis son investiture, il doit faire face à de multiples tentatives de déstabilisation et à un procès en légitimité de la part de la droite conservatrice réactionnaire et de l’extrême droite (celle du Parti populaire et de Vox), mais aussi de la part de la bourgeoisie espagnole, des groupes de pression économiques et financiers, des grands groupes de presse, voire de l’armée et de l’Église.

Alors que les résultats pour la gauche de transformation sociale n’ont pas été au rendez-vous lors des élections régionales en Galice et en Euskadi, la frange libérale du PSOE repart à l’offensive pour trouver une entente avec les libéraux de Ciudadanos, en violation de l’accord gouvernemental avec Unidas Podemos, dans le cadre des discussions budgétaires qui s’annoncent très difficiles.
Il est impératif de soutenir la lutte que mènent sans relâche nos camarades du Parti communiste d’Espagne et de la Gauche unie, au sein de la coalition Unidas Podemos, dans le rapport de force politique et social qui s’annonce, pour renforcer le programme de « récupération » sociale et démocratique dans une situation sanitaire, économique et sociale dramatique. La crise actuelle renforce le caractère périphérique du capitalisme espagnol, au bénéfice d’un développement totalement déséquilibré, en faveur du tourisme par exemple, au détriment du tissu industriel, ou de l’agriculture. Les vagues de délocalisations/ licenciement massifs, aussi bien de l’usine Siemens de Pampelune, que de Nissan ou d’Airbus, suscitent des luttes locales importantes, qui prennent immédiatement une dimension nationale.

Les axes d’intervention du PCE et de la Gauche unie
Dans ce contexte, le PCE et la Gauche unie mettent l’accent sur trois dimensions d’intervention politique. Les dernières réunions du comité central du PCE et de la coordination fédérale de la Gauche unie, qui se sont tenues mi-juillet, sont particulièrement importantes.

« La démarche de nos camarades espagnols mobilise à la fois trois niveaux : l’action politique immédiate associée à une tactique politique, des propositions visant à ouvrir des brèches dans la domination capitaliste et une stratégie politique d’ensemble d’union populaire. »

1/ Agir dans le gouvernement en mettant l’accent sur des mesures sociales et démocratiques. Après avoir conquis, au prix d’un rapport de force avec la social-démocratie, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit, ainsi que l’obtention d’un revenu minimum pour les personnes sans revenu (à distinguer du « revenu de base »), les prochaines batailles s’annoncent au moins tout aussi importantes. Il s’agit de mettre en place des mesures redéveloppant la souveraineté productive et énergétique, en lançant un processus de réindustrialisation verte et soutenable, en renforçant les services publics et le système national de soins. Cela s’appuie sur une réforme fiscale accentuant l’imposition des bénéfices des entreprises, du capital et du patrimoine. Le PCE et la Gauche unie développent des propositions concrètes : formalisation d’un pacte d’État pour l’industrie, contre les délocalisations, notamment à destination des industries stratégiques ; cadrage de plans stratégiques pour les entreprises sur trois à cinq ans pour que les difficultés conjoncturelles ne servent pas de prétexte pour détruire l’outil productif ; conditionnalité des aides aux entreprises qui doivent s’engager pour le maintien et le développement de l’emploi ; investissements dans les secteurs clés de l’éducation et de l’innovation dans les services publics. C’est ce que nos camarades défendent dans l’âpre débat budgétaire qui s’annonce.
2/ Cela doit prend appui sur le développement du rapport de force. L’appui populaire est déterminant et, d’ailleurs, l’absence de mouvement populaire d’ensemble dans l’État espagnol, au-delà des mobilisations régionales, est une des difficultés auxquelles sont confrontés nos camarades. D’autre part, le PCE et la Gauche unie appellent, dans le contexte politique particulier de la gauche en Espagne, à un renforcement de la coalition Unidas Podemos, pour la rendre plus démocratique et mieux ancrée dans les territoires, afin de peser davantage à la fois au sein du gouvernement face aux tendances libérales du PSOE et face à la droite revancharde.
3/ Retravailler le bloc historique pour développer un projet nouveau pour le pays qui s’appuie sur la majorité sociale. Les communistes d’Espagne utilisent volontiers la formule d’« unité populaire », qui est en fait très proche de l’ « union populaire agissante » de la plate-forme de sortie de crise adoptée par le CN du PCF le 12 juin dernier. Dans le cas de l’Espagne, il s’agit de travailler avec la société civile et le mouvement social, en s’appuyant sur trois principes fondamentaux, comme l’a rappelé l’assemblée politique et sociale de la Gauche unie du 22 février dernier : la fermeté des idées et du projet, la dynamique de la réalité quotidienne dans les villes et les quartiers (d’où l’importance du rôle d’une organisation structurée au plus près de ces derniers), l’utilité pour les conquêtes sociales autour de grandes revendications politiques ouvrant des brèches dans l’ordre dominant.
La démarche de nos camarades espagnols, adaptée aux conditions sociales et politiques particulières de l’État espagnol, est intéressante dans le sens où elle mobilise à la fois trois niveaux : l’action politique immédiate associée à une tactique politique, des propositions visant à ouvrir des brèches dans la domination capitaliste et une stratégie politique d’ensemble d’union populaire. C’est utile à étudier de plus près.

Cause commune n°19 • septembre/octobre 2020