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S’il est avéré que les catholiques votent majoritairement à droite en France, les mouvements récents tels que La manif pour tous ont amené certaines et certains à se porter sur un vote extrême droite, Marine Le Pen ou Zemmour plus récemment. Pour autant ce vote est-il acquis définitivement à l’extrême droite ?

Entretien avec Mégane

CC : Peut-on encore corréler le vote à l’appartenance religieuse ?
La sociologie électorale a grandement souligné l’existence d’une corrélation entre l’appartenance religieuse et les comportements électoraux. En revanche, il n’existe pas une religion qui serait intrinsèquement plus progressiste ou plus conservatrice qu’une autre. Le positionnement politique des différents groupes religieux est effectivement davantage corrélé aux positions sociales qu’ils occupent. En l’occurrence, en France, dans un pays longtemps qualifié de « fille aînée de l’Église », les catholiques occupent des positions majoritairement dominantes et votent plus à droite. En 2012, l’opposition de nombreux catholiques au « mariage pour tous » rend d’ailleurs visible un militantisme conservateur encore vivace.

CC : Comment expliquer le sentiment de marginalisation ressenti par les catholiques les plus conservateurs ?
Historiquement, il convient de rappeler que la morale familiale a été imposée par l’Église catholique dès le ive siècle. Or, à partir des années 1960, de l’adoption du pacte civil de solidarité (PACS) jusqu’au « mariage pour tous », les positions ecclésiastiques sont progressivement marginalisées et cette marginalisation renforce un sentiment d’exclusion. Ce sentiment va se traduire par un accroissement du poids des conservateurs.

CC : Est-ce que cela concerne tous les catholiques ?
Les communautés religieuses sont traversées par plusieurs courants et les catholiques ne font pas exception à cette règle. Les mobilisations contre la « loi Taubira » n’ont pas éliminé la pluralité au sein de l’Église et ont même parfois pu réaffirmer certaines divergences en interne. Selon Yann Raison du Cleuziou, dans un contexte d’affaiblissement des pratiques religieuses et de défections d’un nombre croissant de fidèles, ce sont toutefois les catholiques traditionalistes, intransigeants dans le domaine de la pratique cultuelle, qui sont aujourd’hui les plus à même de perpétuer leur foi et de la transmettre sur plusieurs générations. Ces marges restent une minorité numérique, mais elles constituent le groupe le plus important chez les pratiquants hebdomadaires et l’un des plus mobilisés.

« Le positionnement politique des différents groupes religieux est effectivement davantage corrélé aux positions sociales qu’ils occupent. »

CC : Comment se structure la mobilisation des militants catholiques familialistes ?
En dehors des manifestations les plus visibles contre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, les militants catholiques conservateurs ont la particularité d’être multisitués et d’avoir un répertoire d’action diversifié. Ils participent aux financements d’écoles privées pour diffuser leur idéologie, exercent des activités de lobby ou occupent des postes à responsabilité politique. Depuis les années 2000, on constate également l’émergence d’organisations non gouvernementales, telle qu’Europe for Family, ou la création de partis politiques, comme les Poissons roses ou le Parti chrétien-démocrate présidé par Christine Boutin.

CC : Existe-t-il des distinctions sociales entre les personnes qui gravitent autour de cette nébuleuse idéologique ?
Si les personnes conservatrices sont fréquemment associées aux classes dominantes, la totalité d’entre elles ne fait pas nécessairement ­partie des classes économiques supérieures. Certaines appartiennent effectivement aux classes moyennes, tandis que d’autres peuvent être issues de milieux populaires. Au sein du mouvement de La manif pour tous (LMPT), elles ont toutefois la particularité d’avoir majoritairement connu une forte socialisation religieuse traditionnelle et de défendre conjointement ­un même ordre moral chrétien. Certains membres se sont d’ailleurs déjà mobilisés contre le ­PACS et défilent régulièrement en faveur des « marches pour la vie ».

CC : Quelles sont les revendications et actions politiques du mouvement de La manif pour tous ?
Depuis 2012 et jusqu’à aujourd’hui, LMPT se mobilise en opposition au « mariage pour tous », mais également contre la diffusion d’une « théorie du genre à l’école », de la « PMA sans père » et du « trafic des mères porteuses ». Malgré son indépendance politique proclamée, le mouvement a élaboré différentes chartes à destination des élus, chartes que ces élus doivent signer s’ils veulent obtenir le soutien du mouvement familialiste. Ses intérêts ont également été représentés au sein de nouvelles mouvances dans des partis de droite, comme Sens commun à l’époque au sein de l’UMP, ou le Cercle fraternité au sein du Front national.

CC : Est-ce que La manif pour tous est un point d’entrée à l’extrême droite pour ces groupes socialement hétérogènes ?
À la veille de l’élection présidentielle de 2017, LMPT a encouragé ses militants à s’opposer au candidat d’En marche et les a invités implicitement à voter en faveur du FN. La présence de certaines figures historiques du parti, comme Marion Maréchal, aux manifestations « pour tous », est également un signal directement adressé aux membres du mouvement familialiste. Ces « signaux » sont plus ou moins bien reçus en fonction de l’ancrage politique des militants conservateurs. Certains ont des habitudes de vote ancrées à l’extrême droite de longue date, mais la plupart privilégient la droite de gouvernement. Dès lors, l’abstention ou le vote en faveur du FN sont devenus des possibilités.

« En soutenant Éric Zemmour à la dernière élection présidentielle, Marion Maréchal a probablement conduit de nombreux militants catholiques conservateurs à voter en sa faveur. »

CC : Comment des électeurs de la droite traditionnelle ont-ils pu se tourner vers l’extrême droite ?
L’absence d’une remise en cause des « lois sociétales » depuis plus de quarante ans par le pouvoir en place, qu’il soit de gauche ou de droite, a participé à créer un sentiment de défiance vis-à-vis des partis de gouvernement. De plus, leurs rassemblements dans le cadre de leurs actions militantes ont renforcé cette défiance. En effet, les critiques et les moqueries à l’encontre d’Emmanuel Macron se sont multipliées au sein du mouvement ces dernières années et ont produit des effets de réassurance collective. Le candidat d’En marche est notamment accusé de se prononcer en faveur du « mariage pour tous » et d’être un « danger » pour la souveraineté nationale. Cette souveraineté nationale est selon eux menacée par la mondialisation, mais aussi par l’immigration maghrébine en France. Cette double menace, incarnée par les mesures politiques familiales mais aussi migratoires, permet en partie d’expliquer la convergence électorale de certains membres de LMPT autour de l’extrême droite, qui paraît, dans certaines circonstances, la plus à même de préserver l’ordre qu’ils défendent.

CC : L’association entre catholiques et vote en faveur du Rassemblement national va-t-elle de soi ?
Si LMPT s’adresse à des individus principalement catholiques et les invite de fait à privilégier le parti frontiste, l’association entre catholiques et vote en faveur du RN ne va pas de soi. Les sociologues Guy Michelat et Michel Simon montrent que les catholiques en France votent majoritairement à droite, mais non à l’extrême droite. De toute évidence, le travail de mobilisation du mouvement conservateur en 2017 n’a donc pas provoqué une conversion électorale soudaine et généralisée de l’ensemble des catholiques au profit de l’extrême droite. Si certains peuvent voter pour ce parti, ce choix s’effectue dans des configurations politiques spécifiques et ne constitue que rarement un premier choix. Il est souvent un vote par défaut en l’absence d’un ou d’une candidate leur paraissant plus convenable.

CC : Est-ce un vote acquis définitivement au RN ?
Il est nécessaire de ne pas surestimer l’importance du vote en faveur du RN qui n’est pas automatique. Peu de catholiques conservateurs militent pour le moment au sein du parti et souhaitent y adhérer. Cette distance vis-à-vis du RN est d’abord à comprendre dans le rapport que les militants de LMPT entretiennent avec les partis politiques en général. En effet, ses recrues sont souvent des adeptes du concept de la liberté et de la responsabilité individuelle prôné par l’Église, et sont par principe plutôt réticentes à l’identification partisane. De plus, cette distance peut être analysée dans les rapports qu’elles entretiennent avec le parti d’extrême droite lui-même. Sa rhétorique possiblement agressive, ses positions confuses sur le rôle de l’État et la vie privée de ses membres ne correspondent pas toujours à leur éthique religieuse. Le RN est également souvent en deçà des attentes des catholiques conservateurs sur les « questions sociétales ». En revanche, les membres des « manifs pour tous » expriment plus d’affinité avec Marion Maréchal qui affiche un conservatisme beaucoup moins « agressif » dans la forme, mais probablement plus affirmé dans le fond. En soutenant Éric Zemmour à la dernière élection présidentielle, celle-ci a probablement conduit de nombreux militants catholiques conservateurs à voter en sa faveur. Il est bien sûr trop tôt pour parler d’un vote acquis, mais il conviendra de suivre cette tendance sur une plus longue durée afin de vérifier si ce soutien se confirme dans le futur.

Mégane est doctorante en sciences politiques.

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022