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La place particulière et l’empreinte laissée par le Parti communiste dans la société française peuvent aussi se lire à travers le prisme des archives. Longtemps marquées par le sceau du secret, les archives du PCF sont maintenant déposées dans des institutions publiques. Cette démarche d’ouverture demeure aujourd’hui encore inédite dans le monde politique.

Durant plusieurs décennies, les archives du PCF furent conservées par la Bibliothèque marxiste de Paris (BMP), fondée en 1955 et accueillie par l’Institut Maurice-Thorez (IMT) à sa fondation dix ans plus tard. L’accès aux fonds était alors strictement contrôlé, réservé aux chercheurs gravitant autour de l’IMT, et ondulait au rythme des infléchissements politiques de la direction du PCF. Néanmoins, malgré des critères précis en matière de communicabilité, l’accès aux archives conservées à la BMP s’est étendu progressivement dans les années 1980, jusqu’à la décision de l’ouverture généralisée, annoncée le 5 mars 1993 par la direction du PCF. Il fut alors décidé d’appliquer pour les fonds du PCF les règles de communication en vigueur pour les archives publiques.

Dépôt des archives du PCF
L’année 2003 a marqué une nouvelle étape dans le processus d’ouverture, le ministère de la Culture acceptant le classement par l’État des archives du PCF. Il s’agit à l’heure actuelle du seul parti politique ayant bénéficié d’une telle reconnaissance, ce qui souligne l’intérêt public de ces archives et leur inscription au patrimoine national. La même année, le PCF signait une convention avec le conseil général de la Seine-Saint-Denis, prévoyant le dépôt des archives papiers et microfilmées du PCF et de la BMP aux archives départementales (AD93) à Bobigny, effectif depuis 2005. Cette option permet au Parti communiste de rester propriétaire de ses archives et de garder la main sur les conditions de leur communication, tout en bénéficiant de leur prise en charge par une structure publique disposant de moyens plus importants. Le dépôt aux AD93 couvre toute la période antérieure à 1994 et concerne les archives des organes de direction du PCF, de ses multiples commissions et organismes de travail, de fonds personnels de dirigeants et de militants, ainsi que des publications et des collections imprimées (revues, journaux, tracts, affiches). Seuls les questionnaires biographiques et les dossiers de la commission centrale de contrôle politique, qui contiennent des renseignements d’ordre privé sur les militants, n’ont pas été transférés et restent consultables sous conditions au siège national du PCF. Toutefois, certains de ces dossiers, portant sur la Seconde Guerre mondiale ou certaines grandes affaires internes, ont été déclassifiés et déposés aux AD93.

« Il s’agit à l’heure actuelle du seul parti politique ayant bénéficié du classement par l’État, ce qui souligne l’intérêt public de ces archives et leur inscription au patrimoine national. »

Le service des archives du PCF se préoccupe également du sort des archives des fédérations départementales et des sections du parti, qui témoignent de son implantation et de son ancrage territorial. Elles sont le reflet, à l’échelle locale, d’un siècle d’engagement et de luttes menées par les communistes, et méritent à ce titre de sortir de l’ombre et d’être mieux valorisées. C’est pourquoi le PCF encourage, à l’instar de la démarche engagée nationalement, l’ouverture et le dépôt des archives fédérales, locales et personnelles des militants dans les institutions publiques de conservation (archives départementales ou municipales). Un nombre significatif de fédérations ont déjà opté pour ce choix, à l’image de celle des Bouches-du-Rhône qui a déposé un fonds de deux cent mille documents en mars 2019.

Mise en place de partenariats
Enfin, le Parti communiste a engagé plusieurs partenariats, qui participent de la mise en valeur de ses fonds d’archives et de leur exploitation scientifique, avec la fondation Gabriel-Péri, le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Maitron) ou dans le cadre du collectif des centres de documentation en histoire ouvrière et sociale (Codhos). Un travail commun est également engagé depuis plusieurs années avec l’université de Bourgogne et la Maison des sciences de l’homme de Dijon, portant sur la numérisation et la mise en ligne des archives communistes. Ainsi, à la suite de l’ouverture des archives soviétiques, un vaste corpus de documents de l’Internationale communiste, en particulier de sa section française durant l’entre-deux-guerres, est désormais accessible gratuitement en ligne pour les chercheurs. D’autres projets de numérisation des archives de la direction, de brochures communistes et de revues du PCF sont également en cours.

« À la suite de l’ouverture des archives soviétiques, un vaste corpus de documents de l’Internationale communiste, en particulier de sa section française durant l’entre-deux-guerres, est désormais accessible gratuitement en ligne pour les chercheurs. »

Ce chantier de l’ouverture et de la mise à disposition des archives du Parti communiste est loin d’être terminé et se poursuit aujourd’hui sous la responsabilité de la commission Archives et mémoire du PCF. Composée d’archivistes, d’historiens et de militants, elle participe aussi à la coordination des initiatives mémorielles et historiques organisées par le PCF.

Corentin Lahu est archiviste du PCF.

 


Un intérêt renouvelé des chercheurs pour le communisme français

Par Dimitri Manessis

Jadis parti le plus étudié de France, le PCF peut-il encore susciter l’intérêt des chercheurs ?
On peut, et on doit, répondre à cette question par l’affirmative. La masse des productions passées – et parmi elles de véritables monuments qui peuvent toujours instruire et inspirer aujourd’hui –, la « révolution documentaire » menée de manière plus polémique que sérieuse, l’érosion électorale d’un parti que certains ne finissent pas d’enterrer, n’ont finalement pas eu raison de l’intérêt et de l’étude scientifiques.
Il suffit pour cela de se plonger dans les thèses récemment soutenues (comptons, sans exhaustivité, une quinzaine de thèses prenant pour objet le communisme français lors des quinze dernières années) ou celles en cours – un indicateur toujours bienvenu lorsqu’on se penche sur le dynamisme d’un sujet – pour en faire le constat. Ou encore d’étudier les publications récentes, les ouvrages comme les numéros de revues consacrés au PCF, à ses périphéries ou à ses dissidences. Il faudrait encore mentionner les séminaires (ceux organisés par la fondation Gabriel-Péri et l’université de Bourgogne ou par le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains de l’université Paris 1), ou les nombreux colloques, rencontres et journées d’études consacrés à ce thème.
Ces recherches enrichissent l’histoire du communisme français, par exemple en s’orientant vers des enjeux plus spécifiques, comme les rapports au genre, aux territoires, à la paysannerie, aux effectifs du parti, à la culture et aux intellectuels, à la jeunesse ou au colonialisme. Elles intègrent les apports de la socio-histoire, explorent, autour du parti, la « galaxie communiste » et les multiples facettes du militantisme, utilisent avec bonheur l’histoire globale et les jeux d’échelles. L’énumération serait longue, et révélatrice non seulement de l’engouement mais également du renouveau qui entoure l’objet d’étude communiste.
Ajoutons, dans le domaine de l’archive, un accès toujours plus grand et aisé, facilité par des politiques de numérisation ambitieuses. La Maison des sciences de l’homme de Dijon, via son portail Pandor, permet ainsi l’accès aux archives communistes de l’entre-deux-guerres, mais aussi à celles de la surveillance et de la répression. Sont également au rendez-vous brochures et revues communistes (Économie et politique, Les Lettres françaises, tout récemment les Cahiers du communisme...). Depuis les archives municipales et départementales jusqu’à la bibliothèque marxiste de Paris (intégrée au campus Condorcet) et les archives nationales, peu d’organisations politiques offrent un si ample champ archivistique à moissonner, un « patrimoine dormant » qui ne demande qu’à être réveillé.
Chercheurs confirmés, jeunes docteurs et doctorants, historiens, politistes ou philosophes s’attachent toujours à interroger, comprendre et expliquer le phénomène, bien davantage qu’à le juger, et c’est heureux. Car le communisme en France apparaît bien comme indispensable à une compréhension plus large de la vie politique, sociale, culturelle du pays.
Loin d’être donc une « impasse », comme le postulait un fameux article, l’étude – et en particulier l’historiographie – du communisme français semble au contraire ouvrir bien des chemins.

Dimitri Manessis est historien. Il est doctorant en histoire contemporaine de l'université de Bourgogne.