Les mises en réseaux peuvent être le départ de combats émancipateurs au-delà de l’utilisation qu’en fait le capital.
Une classe dirigeante réduite en nombre
À force de laisser les affaires du monde au monde des affaires, celui-ci compose maintenant le gouvernement de notre pays avec une majorité parlementaire écrasante. Partout les classes dominantes assoient leur pouvoir en absorbant toutes les évolutions.
Une oligarchie des 1 % s’est formée à l’échelle mondiale comme à l’échelle nationale, disposant d’une part énorme du patrimoine (50 % au niveau de la planète), s’appropriant l’essentiel des richesses créées, détenant les leviers économique, politique et médiatique et structurant fortement le paysage social et l’ordre politique et économique dans son ensemble.
Une classe capitaliste réduite en nombre s’oppose maintenant à la classe du travail. Elle cherche à préserver sa chasse gardée sur la création de richesses et à renvoyer le débat sur la répartition des richesses vers les 99 %, de manière à diviser la classe du travail. Les politiques de gestion de la pénurie ou les populismes sont ainsi les outils les plus efficaces pour empêcher l’unité.
Révolution numérique : un combat planétaire
Composante de la révolution numérique, la robotisation, y compris l’intelligence artificielle et l’économie de plateformes, dessine un nouveau modèle d’affaires. En contrôlant ces deux volets, la classe dominante assure la captation de la valeur produite. Pour empêcher que cette révolution numérique ne favorise la démocratie et mette en cause son pouvoir, la classe des 1 % multiplie les lois antilibertés, renforce le contrôle d’Internet et des réseaux sociaux.
Face aux moyens utilisés par les 1 %, la classe du travail a de nouveaux atouts pour travailler à son unité :
- le développement du pouvoir d’agir, élément porteur d’émancipation, de libération, de démocratie d’intervention ;
- une conjugaison de l’individu et du collectif susceptible de donner corps à un commun débarrassé de la délégation à un leader, mettant en cause l’organisation hiérarchique de la société.
Aujourd’hui, les 1 % continuent de vanter la promesse de la réussite, malgré le système inégalitaire. L’objectif est d’empêcher qu’une autre forme d’organisation de la société ne naisse en s’appuyant sur la démocratie d’intervention.
Des potentialités de processus révolutionnaire ont émergé au travers du mouvement contre la loi Travail en France en ouvrant une conjugaison entre réseaux numériques et terrain, travailleurs et citoyens, jeunes et actifs : pétitions numériques, grèves et manifestations, Nuit debout… Elles n’ont pas trouvé de débouchés politiques lors des récentes élections présidentielle et législatives.
La conscience d’une classe du travail refaçonnée par la révolution numérique ne se décrète pas et n’est pas qu’un exercice de communication.
« Le capital cherche à opérer un dépassement du salariat non par le haut mais par le bas en détruisant notre modèle social structuré autour de droits et garanties et la protection sociale assise sur le travail. »
Le développement du « pouvoir d’agir » revivifie la démocratie
La révolution numérique inaugure donc aussi le développement du « pouvoir d’agir » (empowerment) avec de nouvelles formes de mises en réseaux, de lien social avec des individus qui aspirent à jouir de cette liberté et veulent être citoyens. Chacun a pu noter son importance dans les révolutions arabes, dans le mouvement des indignés aux États-Unis, dans le développement de Podemos en Espagne, dans le lancement du mouvement social sur la loi Travail en France.
Dans les années 1990, le capitalisme avait annoncé la fin de l’histoire ; chacun peut pourtant constater que le développement même du capitalisme globalisé est antinomique avec la démocratie. Les souverainetés populaires sont niées (France, Grèce…). La démocratie est bafouée dans les entreprises comme dans l’ensemble de la société.
Le capitalisme français est amené à régénérer son patrimoine par les revenus de la révolution numérique et s’est donné, avec l’élection d’Emmanuel Macron, les moyens politiques d’un maintien et d’un développement de son pouvoir. Cette élection, c’est un braquage démocratique mais c’est aussi l’enclenchement d’une dynamique propre à tirer le maximum de la mondialisation et de la révolution numérique.
Une autre forme de démocratie s’impose, non seulement délégataire ou participative, mais également démocratie d’intervention avec des citoyens acteurs, à partir de la pleine expression de leur qualification et de leur individualité. Repenser le collectif à partir de ces impératifs devient maintenant une urgence. La révolution numérique a ouvert un champ de bataille majeur sur cette question.
En réponse à la « constitution de communs » que permettent les mises en réseaux, le capital développe de nouvelles formes de surexploitation et s’emploie à construire un individualisme forcené, avec l’atomisation des collectifs de travail et du salariat, passant par la mise en cause les garanties collectives.
« La révolution numérique a ouvert un champ de bataille majeur sur une autre forme de démocratie. »
Classe du travail et numérique
La classe du travail est structurée par le salariat. Il représente 92 % de la population active, est sociologiquement multipolaire avec deux grandes composantes que sont les salariés qualifiés à responsabilité (cadres, ingénieurs, techniciens) et le salariat d’exécution (ouvriers, employés), dont les approches, le rapport au travail, les revendications, les liens au politique ne sont pas les mêmes en fonction de la place qu’ils ont dans les rapports sociaux et de leur rôle dans le travail et les entreprises.
L’ensemble doit faire face aux attaques du capital contre le statut de salarié et des usines sans salariés statutaires apparaissent. Avec le numérique, la notion de lien de subordination hiérarchique est questionnée par l’émergence rapide de travailleurs surexploités dépendants économiquement. Le rapport contrainte/émancipation évolue au sein du travail, remodelé par la révolution numérique, alors que le capital cherche à opérer un dépassement du salariat non par le haut mais par le bas en détruisant notre modèle social structuré autour de droits et de garanties et la protection sociale assise sur le travail.
La casse du statut de salarié est au cœur du projet de la classe dominante. Le rapport de force à engager pour une sécurité professionnelle universelle avec des dispositifs conventionnels et publics développant et sécurisant l’emploi, la formation et la qualification nécessite de gagner l’unité de la classe du travail. Il en est de même pour défendre et gagner une protection sociale solidaire de notre temps.
Les bouleversements dus au numérique sont surtout transverses et touchent tout le monde, avec des aspects positifs et négatifs. La robotisation touche toutes les catégories. Des jeunes de quartiers défavorisés, via un travail associatif remarquable, tentent des expériences et démontrent qu’ils peuvent aussi devenir des experts en codage numérique. La révolution numérique explose la frontière étanche des connaissances et ouvre de nouveaux combats émancipateurs. La révolution numérique n’est pas une fracture de classe mais un combat de classe.
Gagner l’unité des 99 % en orientant la révolution numérique à notre profit est le combat politique de ce début de XXIe siècle.
*Jean-François Bolzinger est membre du Conseil national du PCF. Il est directeur de la revue Progressistes.