Par

Pour affronter les défis écologiques de notre temps, l’approche marxienne est indispensable. Les communistes s'emploient à la mettre en avant.

marx-fredo_coyere.jpg

Selon les conceptions anthropologiques de Marx et Engels, si la nature a produit homo sapiens et homo neanderthalensis, c’est l’humanité qui a produit l’être humain d’aujourd’hui dans un chantier permanent. Nous devons assumer la responsabilité de prolonger l’hominisation biologique d’avant homo sapiens puis sociale depuis, dans un processus d’humanisation de plus en plus civilisée, porteur de sens et respectueux dans ses liens avec la nature, comme l’a montré Lucien Sève dans Commencer par les fins (La Dispute, 1999). C’est une conception dialectique du mouvement fait de rapports et de contradictions.

L’apport décisif d’une pensée marxienne en écologie
Marx a montré que le genre humain ne se résume pas à son espèce biologique mais qu’il édifie continûment un monde extérieur aux organismes de chaque individu (processus d’évolution de l’humanité) et que le lien entre l’homme et la nature s’enracine dans le travail et les systèmes de production. La pensée marxienne n’est pas une suite de dogmes ou de règles à appliquer. C’est une méthodologie qui nous impose de réaliser, dans chaque situation concrète, un effort d’analyse théorique et pratique. Appliquée à l’écologie, elle peut être résumée comme suit :
• inscrire toute activité humaine dans les cycles naturels, car l’humain appartient à la nature ;
• reconnaître le double rôle de l’humain comme producteur et consommateur, lui permettant par l’inter­médiaire de son travail, de rendre la société compatible avec le renouvellement des écosystèmes ;
• analyser concrètement le métabolisme des rapports homme-nature (c’est-à-dire l’ensemble des échanges de matière et d’énergie entre la société humaine et son environnement naturel) pour déceler et combattre à chaque instant toute contradiction entre eux ;
• développer les biens communs de l’humanité en organisant efficacement leur partage et leur gestion entre et par tous les humains.
L’expérience montre que la mise en pratique de cette pensée marxienne ne va pas sans l’organisation d’une lutte de classe acharnée.

« La pensée marxienne n’est pas une suite de dogmes ou de règles à appliquer. C’est une méthodologie qui nous impose de réaliser, dans chaque situation concrète, un effort d’analyse théorique et pratique. »

L’usage de Marx que font les communistes pour nourrir leur perspective écologique
Depuis les années 1960, le PCF a produit beaucoup de réflexions, d’analyses et de concrétisation (dans les communes et les départements qu’il dirige) se référant à la pensée marxienne sur l’écologie (cf. l’ouvrage de Guy Biolat, Marxisme et environnement, Les éditions sociales, 1973), même si des difficultés apparaissent pour les intégrer de manière permanente et cohérente à la vie et dans les actions quotidiennes du parti. Cela va de la création de la commission « Cadre de vie, environnement, écologie » en 1969, au rapport de Pierre Juquin « Les communistes et le cadre de vie », lors du comité central de juin 1976 (le PCF est alors le premier parti à consacrer une séance de son instance dirigeante à ce thème), en passant par le traitement de l’écologie dans les textes de congrès du PCF depuis le XXIIe (1976) et dans les différents journaux quotidiens, revues et périodiques qu’il anime (notamment Avancées scientifiques et techniques, Progressistes, La Revue du projet et Cause commune). De nombreux auteurs, communistes engagés ou théoriciens marxistes, participent à ce mouvement.
Pour aller dans le sens de l’émancipation humaine, il est nécessaire de résoudre un certain nombre de défis. Parmi les principaux, nous en relevons cinq :
1. Celui du développement des connaissances : comment pouvons-nous utiliser nos connaissances et gérer les applications techniques potentiellement dangereuses qui en résultent, s’adapter aux transformations sociétales qui en découlent dans le respect des hommes et de la nature ?
2. Celui des obstacles au développement humain durable. Allons-nous continuer à produire en épuisant les ressources naturelles d’un côté et en accumulant de l’autre les déchets ? Marx répondait déjà en partie à la question en utilisant le concept de métabolisme pour décrire l’économie circulaire dans toute la complexité des rapports homme/nature.
3. Celui de la nécessaire préservation de la biosphère. Elle est notamment altérée par les pollutions massives (les résidus plastiques dans les océans, l’air pollué…) et le réchauffement climatique, qui est déjà visible, dû à l’effet de serre lié à la combustion des ressources carbonées fossiles.

« Notre conception de l’écologie est fondamentalement politique car elle n’est pas coupée des luttes sociales, environnementales, économiques et éthiques. »

4. Celui du recul observé de la biodiversité, qui constitue un enjeu central car les êtres humains y sont pour quelque chose. Les tentatives de privatisation de ce bien commun se généralisent sous la férule du système capitaliste ainsi que, à l’inverse, la sacralisation d’une nature idéalisée qui exclut l’humain. Ces deux approches conduisent à des catastrophes humaines et environnementales.
5. Celui de la nécessaire prévention des risques et des pollutions, qui concerne les différents domaines de l’activité productive humaine et qui touche l’ensemble des gens, en particulier les salariés des entreprises. Comme le faisait déjà remarquer Engels dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre au sujet des conditions de vie des ouvriers anglais, les inégalités sociales vont de pair avec les inégalités environnementales et cela se vérifie aussi aujourd’hui !
Dans tous les cas l’application des principes de la dialectique marxienne s’avère judicieuse : ne pas opposer les humains à la nature ; examiner attentivement les ruptures de métabolisme entre la société et la nature et y porter remède ; s’opposer à toute délocalisation de productions polluantes ou dangereuses, mais modifier les modes de production jusqu’à les rendre propres et sans risques en utilisant les techniques les plus modernes et l’intervention des salariés ; ne pas opposer production et consommation car l’une ne va pas sans l’autre ; s’opposer aux privatisations et marchandisations des biens communs et au contraire développer leurs domaines de partage et de gestion collective ; favoriser la convergence des luttes sociales et environnementales comme cela a été fortement le cas lors des conflits engagés par les cheminots pour sauver la SNCF de la privatisation…
Enfin, il est indispensable d’instaurer dans tous les domaines la justice sociale et la démocratie. Les biens communs de l’humanité reposent sur deux piliers indissociables : le partage de leur usage entre tous les êtres humains et la cogestion durable de ces biens par tous les citoyens. Cette conquête apparaît comme la condition indispensable pour que l’humanité puisse se développer sans aliénations ni exploitations, dans le respect des hommes et de la nature. C’est une suite de luttes, une bataille de classe. En ce sens notre conception de l’écologie est fondamentalement politique car elle n’est pas coupée des luttes sociales, environnementales, économiques et éthiques. C’est un des enseignements forts que l’on peut tirer des assises de l’écologie que le PCF organisait les 4 et 5 mai 2018.

« Les biens communs de l’humanité reposent sur deux piliers indissociables : le partage de leur usage entre tous les êtres humains et la cogestion durable de ces biens par tous les citoyens. »

Avec notre approche novatrice de l’écologie politique élaborée autour du concept d’écommunisme, nous contribuons aux actions et aux réflexions nécessaires pour dépasser le capitalisme car nous retrouvons le constat que Marx faisait il y a déjà cent quarante ans : le capitalisme exploite partout avec la même indécence les hommes et la nature. n

Roland Charlionet est chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Luc Foulquier est ingénieur et chercheur en écotoxicologie. Ils sont membres de la coordination de la commission écologie du PCF.

Cause commune n°8 • novembre/décembre 2018