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Loin d’être une simple question budgétaire, la bataille pour l’école rurale est un enjeu central de la lutte pour le service public. Elle pose la question de l’égalité devant l’accès au savoir et porte en elle une dimension fondamentalement démocratique.

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Depuis des mois, enseignants, parents, élus se mobilisent pour sauver les écoles rurales de la fermeture. Pour dédoubler sans moyens supplémentaires les CP et CE1 en éducation prioritaire, le ministère ferme des classes en maternelle et dans les zones rurales, arguant d’effectifs moins élevés. Au-delà de l’école rurale, c’est le caractère national du service public d’éducation qui est en jeu. En opposant école rurale et éducation prioritaire, villages et banlieues, le gouvernement s’inscrit dans la continuité d’une politique de territorialisation de l’éducation, qui articule désengagement de l’État, développement du marché scolaire et mise en concurrence des territoires, dont les conséquences sont sensibles bien au-delà de l’école.

Un maillage communal
En 1833, la loi Guizot fait obligation à chaque commune de France d’entretenir une école primaire et un instituteur. Historiquement, l’école de la République s’est identifiée à l’école rurale et la démocratisation de l’accès aux savoirs est passée par une politique de maillage territorial. Ce modèle a dû évoluer sous la pression conjointe de la baisse des effectifs – liée au faible dynamisme démographique et économique – et des politiques de baisse des dépenses publiques, subies aussi bien par le service public d’éducation nationale que par les communes. Les collectivités locales ont cependant cherché à préserver le tissu scolaire local, dans la mesure où la présence d’une école est essentielle à la vie d’une commune et à son attractivité. Depuis les années 1970 se sont ainsi mis en place des réseaux d’écoles, permettant de mutualiser les effectifs et les moyens tout en conservant l’ensemble des établissements, mais rendant nécessaires d’importants investissements dans les transports et la restauration scolaires.

« En opposant école rurale et éducation prioritaire, villages et banlieues, le gouvernement s’inscrit dans la continuité d’une politique de territorialisation de l’éducation, qui articule désengagement de l’État, développement du marché scolaire et mise en concurrence des territoires. »

Depuis une dizaine d’années, ce tissu scolaire est attaqué par des politiques visant à imposer la concentration scolaire et la raréfaction des établissements. En dix ans, mille sept cents écoles à classe unique ont fermé, soit près d’un tiers du total. Les regroupements d’écoles sur un site unique sont encouragés. Plus récemment, la politique socialiste de « rapprochement école-collège », regroupant CM2 et 6e dans un même « cycle », a été le prétexte à l’instauration de cités scolaires regroupant écoles et collège. La casse du tissu scolaire fait disparaître des pratiques spécifiques – pratiques pédagogiques liées à la classe unique, relations privilégiées entre école et familles –, patrimoines de l’école rurale. Ces mesures sont imposées par le biais de conventions passées entre l’éducation nationale et les élus d’un département ou d’un groupement de communes, qui extraient les politiques éducatives du cadre national. Les communes sont ainsi incitées à regrouper primaire et maternelle dans un établissement unique sous la responsabilité du maire, qui gérerait les effectifs enseignants. Les conventions récompensent les collectivités mettant en œuvre la concentration scolaire par une dotation spécifique. Dans un contexte de pénurie, ces quelques postes d’enseignants supplémentaires permettent d’imposer une restructuration du tissu scolaire local et une transformation de l’école rurale.

Les enjeux de la restructuration du tissu scolaire rural
On le voit, les enjeux de cette restructuration du tissu scolaire rural dépassent les questions budgétaires, qui permettent surtout de les imposer.
Premier enjeu : l’extension du marché contre les services publics, et donc l’isolement des citoyens-consommateurs et la destruction de tous les cadres collectifs cons­truisant du commun. Pour l’école, comme pour la poste ou la santé, le désengagement de l’État ouvre la voie au développement d’entreprises privées. Pire, les communes elles-mêmes, pour répondre aux aspirations des populations, sont poussées à se substituer à l’État ou à recourir au privé, et à jouer ainsi le jeu de la casse des services publics nationaux et de la mise en concurrence des territoires. Dernière mesure en date, l’instruction obligatoire à partir de 3 ans va contraindre les communes à subventionner les maternelles privées et à salarier les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM) – aux dépens d’autres missions.

« La casse du tissu scolaire fait disparaître des pratiques spécifiques – pratiques pédagogiques liées à la classe unique, relations privilégiées entre école et familles –, patrimoines de l’école rurale. »

Deuxième enjeu : celui du partage des savoirs. Les savoirs complexes jouent un rôle de plus en plus important dans notre société et les politiques libérales actuelles visent à empêcher leur appropriation collective en construisant une école inégalitaire qui divise. Dans les zones rurales, la concentration scolaire et la raréfaction des écoles accroissent les inégalités. Dans les zones urbaines, la différenciation de plus en plus nette et assumée des formes et des contenus de l’éducation prioritaire est un autre vecteur d’inégalités. La bataille pour l’école rurale n’est donc pas une bataille contre l’école des cités : c’est une bataille pour l’égalité, au sein d’un grand service public national. Il ne s’agit pas non plus d’une nostalgie de l’école de jadis. Face aux défis de la place croissante des savoirs, nous avons besoin d’une nouvelle phase de démocratisation scolaire pour une élévation continue du niveau de connaissance et de qualification, et donc d’une transformation en profondeur de l’école.
Troisième enjeu, institutionnel et démocratique : ces politiques visent à imposer une gestion de plus en plus autoritaire de territoires extraits de la solidarité nationale et opposés les uns aux autres. La réforme des rythmes scolaires, en contraignant les communes à mettre en place rapidement des activités périscolaires, les a obligées à se regrouper pour mutualiser les moyens, créant des structures nouvelles et éloignant ainsi les lieux de décision des citoyens. De même, les regroupements d’établissements créent des besoins nouveaux en termes de transports scolaires et des structures nouvelles pour les gérer, en dehors des institutions démocratiques.

« Nous avons besoin d’une nouvelle phase de démocratisation scolaire pour une élévation continue du niveau de connaissance et de qualification, et donc d’une transformation en profondeur de l’école. »

Face au démantèlement du tissu scolaire, il est urgent de défendre les écoles rurales et les pratiques spécifiques qui s’y développent. Mais, pour réussir, ces luttes doivent répondre aux défis nouveaux posés à la ruralité comme à l’ensemble du pays : obtenir le réengagement de l’État dans un service public national renforcé – par exemple en revendiquant, comme le font les parlementaires communistes, la gratuité des transports scolaires ; revendiquer une éducation ambitieuse, reconnue par un baccalauréat national garantissant à tous l’accès aux études supérieures ; inventer des formes nouvelles de coopération entre l’État et les collectivités locales impliquant pleinement les citoyennes et les citoyens dans les décisions qui engagent leur avenir. Le développement de batailles pour l’école rurale peut donc déboucher sur la construction d’un projet de société articulant le développement des services publics nationaux au service de l’égalité, la prise de pouvoir par les citoyens, et la maîtrise des savoirs comme condition de cette prise de pouvoir.

Marine Roussillon est responsable du secteur école du PCF.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018