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Les femmes ont toujours travaillé et si à différentes reprises la question de la rémunération du travail domestique a été posée, il n’en reste pas moins que le travail des femmes a été et reste un vecteur formidable de leur émancipation.

Le travail des femmes et les statistiques
Comme l’ont montré les travaux de l’historienne Sylvie Schweitzer, les femmes ont toujours travaillé. On semble ignorer que tout comme les hommes, elles ont été paysannes, commerçantes, ouvrières, employées ou infirmières. À la rigueur, nous rappelle Sylvie Schweitzer, on évoquera le travail des femmes durant la Première Guerre mondiale comme une parenthèse. Inexact, nous explique-t-elle, car les femmes travaillaient avant même cette guerre, plus de 2,3 millions se déclaraient ouvrières en 1914, elles sont 2,8 millions en 1918. Il est vrai en revanche que des métiers jusqu’alors réservés aux hommes leur seront ouverts, notamment dans les usines de guerre, mais aussi comme factrices, conductrices de tramways ou professeures dans les écoles de garçons…

« Il ne s’agit pas d’en finir avec le travail, bien au contraire : travailler moins et travailler mieux, avec un salaire décent, devrait être l’objectif pour tous et toutes… »

On a également l’habitude de considérer que les femmes n’ont véritablement travaillé qu’à la fin des années 1960, qu’il y a eu une baisse tendancielle de l’activité des femmes durant toute la première partie du XXe siècle. Or cette baisse n’est « qu’une illusion d’optique statistique » (Margaret Maruani et Monique Meron, 2012). En réalité, la part des femmes a toujours été supérieure à 30 % et atteint presque la parité aujourd’hui (48 %). Les statistiques ont rendu invisibles une part importante des travailleuses du début du XXe siècle, notamment les agricultrices, devenant femmes d’agriculteurs…
Tout ceci démontre que le travail des femmes est toujours suspect : une femme agricultrice s’occupe-t-elle de son ménage, ou travaille-t-elle véritablement ? On a toujours supposé que, plus que toute autre catégorie, le travail des femmes n’était que transitoire, contingent, fluctuant…
Pourquoi ces questions ne se posent-elles jamais à l’égard des hommes ou des jeunes hommes par exemple ? C’est évidemment en lien avec le rôle crucial des femmes dans la « reproduction sociale », dans la sphère de la famille et de l’intime. Encore et toujours, on associe les femmes à leur rôle présumé de mère, ou de fille et belle-fille, on leur assigne à jamais une fonction maternelle…

La rémunération du travail domestique ?
D’où l’ancienne idée, portée à nouveau par certaines féministes, de rémunérer le travail domestique (Fanny Gallot, Maud Simonet, 2021). « Le salaire au travail ménager » est une revendication de courants féministes italiens et étasuniens des années 1970. Mais ce projet a rencontré de fortes oppositions venant d’autres féministes – notamment en France. Peut-être que cette résistance française s’explique par notre passé politique : l’introduction de l’Allocation de mère au foyer en 1939, transformée en Allocation de salaire unique par le gouvernement de Vichy, visait à glorifier la mère au foyer et à favoriser la natalité. Dans les années 1980, les diverses allocations au congé parental, dénoncées par les féministes, ont eu une incidence sur le retrait d’activité d’une frange de mères, parmi les plus précaires. Ces allocations publiques se sont adressées aux mères, dans l’objectif de leur faire quitter le monde du travail, en échange d’un « salaire maternel » qui ne disait pas son nom.
L’enjeu avec la rémunération du travail domestique est de remettre en cause la centralité du travail et de dénoncer l’aliénation du travail rémunéré singulièrement pour les femmes. Sans entrer dans les débats houleux sur ce thème, on peut retenir, avec notamment Danièle Kergoat, le caractère ambivalent du travail pour les femmes, à la fois source d’oppression, mais aussi et surtout vecteur d’émancipation et de lien social.

« Les statistiques ont rendu invisibles une part importante des travailleuses du début du XXe siècle, notamment les agricultrices, devenant femmes d’agriculteurs… »

Ici, doit être posée la question centrale de l’autonomie des femmes. Déjà, lors de la sortie de l’ouvrage de Dominique Meda qui annonçait la « fin du travail » en France, des objections féministes et syndicalistes s’étaient exprimées (Anne-Marie Grozelier, 1998). Oui, le travail des femmes a été et reste un vecteur formidable de leur émancipation. Encore aujourd’hui, donner les moyens à toute personne d’avoir un travail décent est un objectif souhaitable et possible. Certes, la centralité du travail rémunéré est à discuter et la recherche d’un meilleur équilibre des temps sociaux est évidemment importante, mais pour autant, il ne s’agit pas d’en finir avec le travail, bien au contraire : travailler moins et travailler mieux, avec un salaire décent, devrait être l’objectif pour tous et toutes… À condition bien sûr de mettre fin aux inégalités au travail et dans la vie que subissent les femmes, notamment les moins qualifiées et précaires, et singulièrement celles qui occupent ces métiers essentiels dans notre société.

Rachel Silvera est économiste. Elle est maîtresse de conférences à l’université Paris- Nanterre.

Cause commune32 • janvier/février 2023