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Le héros fusillé par les Allemands en 1944, premier résistant étranger et communiste à entrer au Panthéon, sera accompagné de sa femme, Mélinée. La cérémonie se tiendra le 21 février 2024.

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Missak Manouchian par C215.
L’Humanité.

On ne peut évoquer la figure de Missak Manouchian sans traiter de l'organisation des Francs-Tireurs et Partisans français (FTPF). Celle-ci naît de la fusion, au début de l'année 1942, de la branche militaire de l'Organisation spéciale du PCF fondée par Charles Tillon, des Bataillons de la jeunesse issus des Jeunesses communistes, dirigés par Albert Ouzoulias, et de la militarisation de la Main-d'œuvre immigrée (MOI) réalisée par Louis Grojnowski, Jacques Kaminski et Artur London.

La MOI, ses actions
La MOI trouve son origine dans les sections de la Main-d'œuvre étrangère (MOE) créées, à partir de 1924, pour accueillir au sein du Parti communiste les travailleurs étrangers par groupes de langues. Il existe au sein de la MOE, devenue MOI, une sous-section arménienne qui compte quatre cent-cinquante membres en 1927. Beaucoup de ses militants jouent aussi un rôle actif au sein du Hog (Comité de secours pour l'Arménie, Hayastani Oknoutian Gomité). Missak Manouchian adhère au PCF et au Hog en 1934. Il est membre du comité du quartier Latin et Mélinée Assadourian de celui de Belleville.
Au sein des FTP, les FTP-MOI sont constitués de trois détachements (roumain, juif, italien) et d'un détachement appelé « des dérailleurs » formés essentiellement d'anciens combattants des brigades internationales. Une équipe spéciale est constituée en juin 1943. Missak Manouchian est intégré au premier détachement en février 1943. Les troupes d'occupation et leurs officiers constituent leurs principaux objectifs militaires. En six mois, de janvier à juin 1943, ils réalisent quatre-vingt-douze opérations : sabotages de matériel, dépôts de bombes contre des installations allemandes, attaques de détachements, exécutions d'officiers, etc.
L'ampleur de cette activité militaire et ses effets politiques et psychologiques provoquent une vive réaction de l'occupant et de la police parisienne qui déploient des moyens importants pour identifier les coupables et les arrêter. L'opération de grande envergure lancée par la brigade spéciale n° 2 de la préfecture de police de Paris aboutit à la fin de juin 1943 à l'arrestation de cent trois militants des FTP, dont quarante des FTP-MOI, et au démantèlement du deuxième détachement « juif ».

« Par ailleurs, en obligeant la police française à mener une répression violente, cette guérilla dévoila la vraie nature du régime collaborationniste de Vichy et sa participation aux entreprises meurtrières nazies. »

C'est dans ces circonstances particulièrement difficiles que Missak Manouchian devient commissaire technique des FTP-MOI en juillet, puis, en août, commissaire militaire des FTP-MOI de la région parisienne. Pendant quatre mois, il est sous les ordres directs de Joseph Epstein, responsable des FTP de la région parisienne. Pour les FTP-MOI, Missak Manouchian coordonne l'action de soixante-cinq militants, dont quarante combattants.
Entre le mois de juillet et la mi-novembre 1943, soixante-sept opérations sont réalisées. La plus retentissante est l'exécution, supervisée par Missak Manouchian, du général SS Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire, le 28 septembre 1943. L'activité militaire des FTP-MOI n'a donc pas faibli alors même que le deuxième détachement a été dissous et que le premier est exsangue.
Néanmoins, les filatures réalisées pendant trois mois par une centaine d'agents de la préfecture de police lui ont permis d'identifier l'essentiel des cadres et des combattants. En novembre, les brigades spéciales décident de procéder aux arrestations. Missak Manouchian et Joseph Epstein sont appréhendés le 16 novembre 1943 près de la gare d'Évry Petit-Bourg à l'occasion de leur rencontre hebdomadaire. La quasi-totalité des combattants du détachement des Italiens, du détachement des dérailleurs et de l'équipe spéciale tombe dans les mains de la police. En tout, soixante-huit militants des FTP-MOI sont arrêtés. Cette rafle touche aussi des membres des FTP parisiens.

« L'activité des FTP et des FTP-MOI, dans les années les plus sombres de l'Occupation, a sans aucun doute préparé, militairement et politiquement, l'insurrection populaire et la libération de Paris en août 1944. »

Vingt-quatre militants des FTP-MOI paraissent le 15 février 1944 devant la cour martiale allemande. Vingt-deux sont fusillés le 21 février au mont Valérien. Olga Bancic, la seule femme du groupe, est décapitée à Stuttgart le 10 mai.

Un combat assymétrique
Les FTP-MOI, comme d'autres groupes participant à la lutte armée dans les grandes villes, disposent de très faibles moyens humains et matériels. Le combat qu'ils mènent contre l'occupant et contre la police parisienne est terriblement asymétrique. Les militants des FTP-MOI en avaient parfaitement conscience et savaient que leurs chances de survie étaient très limitées. Peu de temps avant son arrestation, Missak Manouchian perçoit la menace qui pèse sur lui et son groupe. Malgré les risques et une fin tragique qu'il pressent, il poursuit la lutte parce qu'il est persuadé qu'elle est un maillon essentiel à la victoire finale contre le fascisme. C'est le sens du dernier message qu'il laisse à Mélinée : « Je m'étais engagé dans l'Armée de libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. »
Comparées aux moyens militaires déployés par l'Allemagne en France et à Paris, leurs actions peuvent paraître dérisoires. Néanmoins, les instructions adressées par les états-majors aux troupes d'occupation montrent qu'elles réussirent à entretenir un sentiment d'insécurité parmi celles-ci et les obligèrent à prendre des mesures de sécurité permanentes. Par ailleurs, en obligeant la police française à mener une répression violente, cette guérilla dévoila la vraie nature du régime collaborationniste de Vichy et sa participation aux entreprises meurtrières nazies.
L'activité des FTP et des FTP-MOI, dans les années les plus sombres de l'Occupation, a sans aucun doute préparé, militairement et politiquement, l'insurrection populaire et la libération de Paris en août 1944.

Dès la Libération, la volonté de faire reconnaître le combat de Manouchian
Mon grand-père, Albert Ouzoulias, le colonel André, était le commissaire militaire national des FTP, chargé des opérations. En 1943, il est donc le supérieur de Joseph Epstein. Il le rencontre régulièrement et pour la dernière fois quelques jours avant son arrestation et celle de Missak Manouchian. Aucun des deux n'a parlé sous la torture et il était persuadé de devoir sa vie à leur silence. À la Libération, avec ma grand-mère, ils avaient discrètement acquis une concession dans le cimetière parisien d'Ivry, à quelques pas du carré des fusillés qui a reçu les corps des partisans du « groupe Manouchian ». Il souhaitait rester, après sa mort, aux côtés de ses compagnons d'armes. Je pense qu'il aurait regardé avec fierté partir Missak Manouchian pour le Panthéon.
De fait, dès la Libération, il a œuvré pour faire reconnaître le combat de Missak Manouchian. En 1951, alors qu'il est conseiller municipal de Paris, il dépose un vœu pour qu'une rue porte le nom du « groupe Manouchian ». Pour lui, Missak était l'enfant d'un génocide, un poète assassiné et un étranger mort pour la France. Il est certain que, face aux vents de l’histoire, les dirigeants du PCF, notamment dans les années 1950, ont pu hésiter sur la manière de faire vivre la mémoire de la Résistance. Je sais cependant que ce combat, mon grand-père l’a toujours mené – et bien d’autres avec lui. Très humblement et très modestement, je ne fais qu'entretenir la petite flamme de la mémoire qu'il a allumée parce que je pense que le combat de Missak Manouchian demeure d'une ardente actualité.
Albert Ouzoulias l'exprimait avec force dans la conclusion de son dernier livre : « Combattants de la liberté de toutes les nations, nos idéaux étaient et restent un attachement charnel à une paix écartant définitivement une troisième guerre mondiale, un développement continu de la démocratie, une vie nouvelle dans l'indépendance de chaque nation, dans le bonheur de chaque être humain. Quoi qu'on dise, et quelles que soient les grandes mutations actuelles, ces idéaux inspireront longtemps encore les meilleurs fils de toutes les nations : les "fils de lumière", ceux qui ne veulent plus jamais revoir le temps de la guerre ni la nuit hitlérienne. »
En ces temps troublés, à l’heure où croissent les périls et se fissurent certaines digues, cet hommage de la nation prend sans doute une importance toute particulière, dès lors qu’on garde à l’esprit que Missak Manouchian était un étranger mort pour la France, un amoureux éperdu de notre Révolution, de Hugo et de ce souffle de liberté si essentiel. Cet hommage nous invite à regarder la France dans les yeux : qu’elle est belle quand, loin des tristes fantasmes ethnicistes, elle a ceux de Missak Manouchian.

Pierre Ouzoulias est sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine. Il est vice-président du Sénat.

Une première version de ce texte a été publié dans Les Nouvelles d'Arménie.

Cause commune 37 • janvier/février 2024