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Un portrait édifiant des représentants de l’extrême droite en Europe : le RN malgré ses propos lénifiants en France et en contradiction avec ses votes au Parlement européen ne dépare pas ce tableau.

Dans une note interne du groupe RN au Parlement européen, révélée par Le Parisien dimanche du 19 novembre 2023, des conseillers de ce parti s’interrogeaient sur les choix des dix-huit députés européens de la formation d’extrême droite. Ce rapport confidentiel, qui faisait le bilan du mandat, signalait au siège parisien certains « aspects », certains votes « sur lesquels le parti pourrait être mis en difficulté ».

Exemples de vote des élus RN à Bruxelles
À Paris, Marine Le Pen la joue social. À Bruxelles, le 30 mars 2023, les élus RN s’abstiennent sur la directive sur l’égalité des salaires entre hommes et femmes pour un travail identique.
À Paris, le RN prétend se soucier de la condition féminine. À Bruxelles, la délégation du RN s’abstient en février 2023 sur la convention d’Istanbul, un instrument international juridiquement contraignant sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes. Citation de Jordan Bardella : « L’UE n’est pas légitime pour ratifier ce genre de convention, la légitimité en revient aux États. » La note interne considère que cette position est « délicate ».
À Paris, le RN a dans son programme une taxe sur les superprofits liés à l’inflation. Or, le 5 octobre 2022, une résolution sur la hausse des prix de l’énergie en Europe invite la commission à instaurer une « taxe sur les bénéfices exceptionnels à l’encontre des compagnies d’énergie », afin d’aider « les ménages vulnérables et les PME, y compris grâce à des plafonds tarifaires ». Les eurodéputés RN seront les seuls à voter contre (même les autres membres du groupe européen d’extrême droite auquel appartient le RN, Identité et démocratie, votent pour). Et ainsi de suite…

« En 2009, Matteo Salvini proposait la création de wagons de métro de la capitale lombarde pour les seuls Milanais. Il traîne derrière lui une longue série d’affaires judiciaires. »

Sur l’écologie par exemple. À Paris, Le Pen et Bardella, tout en minimisant systématiquement les mises en garde du GIEC (« ils exagèrent ! » ironisent-ils), prétendent cependant accorder une réelle importance à cet enjeu de la crise climatique. Or la délégation RN à Strasbourg s’abstient ou vote contre tous les textes environnementaux, au nom du refus d’une « écologie punitive ». En juin 2022, le groupe s’est abstenu sur la taxe carbone aux frontières de l’Europe. L’eurodéputé RN Gilles Lebreton a justifié ainsi ce vote : « Certes, je soutiens un mécanisme d’ajustement carbone à nos frontières qui est une manière de protéger les entreprises européennes de la concurrence déloyale des pays tiers. Cependant, le mécanisme proposé est irréaliste et expose nos entreprises à un important risque de perte de compétitivité qui n’est pas acceptable dans le contexte économique actuel. »
Comme l’écrivent les journalistes Alexandre Sulzer et Quentin Laurent : « La situation est bien différente à Paris et au Parlement européen. Au sein de cette institution, dont les débats, volontiers techniques, passent souvent sous les radars médiatiques, les dix-huit eurodéputés RN se montrent à rebours de la stratégie suivie à Paris. »

Autres contradictions du RN
La note interne citée plus haut souligne encore deux contradictions du RN : il est contre le financement des plans de relance mais pour des aides massives d’État. Citation : « Sur notre opposition au financement du plan de relance, nous continuons de dénoncer le saut fédéraliste et le financement du plan par de nouvelles ressources propres tout en ayant voté pour le principe d’aides massives et réclamé la possibilité de plus d’aides d’État tout en dénonçant les niveaux insupportables d’endettement de la France. »

« La notion de “remigration” figure dans le programme de l’AfD pour les élections européennes. Björn Höcke, idéologue du parti, admet que, pour appliquer ce programme, il faudrait une politique de “cruauté bien tempérée”, hors du champ constitutionnel. »

Autre contradiction : le RN est pour la concurrence libre et non faussée et/ou pour la création de champions européens. Citation : « Sur la politique de concurrence et notamment le contrôle des concentrations : nous n’avons pas à ce jour formalisé notre doctrine. La question est de savoir si l’on entend protéger, comme actuellement, une concurrence étendue au détriment de la création de champions européens (ex : interdiction de la fusion Siemens Alstom en 2019) ou l’inverse. »
Dernier élément : les députés européens RN travaillent peu ; ils sont peu présents en commission, ils présentent peu de textes, ils produisent peu de rapports. Bardella est membre d’une seule commission, la commission des pétitions, renommée à Bruxelles « la commission des planqués » à cause de sa faible activité.

Le groupe Identité et démocratie, un bataillon de soudards
Au Parlement européen, le RN est membre, donc, du groupe Identité et démocratie, ID. Ce groupe ne rassemble pas toute l’extrême droite européenne. Les Espagnols de Vox par exemple sont membres du groupe Conservateurs et réformistes européens tout comme le parti Droit et justice (PIS) polonais ; et les Hongrois du parti de Victor Orban sont au PPE (Parti populaire européen), où siègent les Républicains ; ce qui n’a pas l’air de troubler beaucoup les amis d'éric Ciotti.
Mais le groupe ID qui s’est restructuré en 2019 (il s’appelait auparavant ENL, Europe des nations et des libertés) est cependant fort de soixante-treize élus venus de neuf pays. Un meeting commun de ces formations s’est tenu en décembre dernier à Florence à l’invitation de Matteo Salvini, chef de la Ligue et vice-président du conseil des ministres. Il est intéressant de voir qui sont les alliés européens du RN dont l’affichage dit tout haut ce que le RN murmure tout bas ; il y avait à Florence (et il y a au sein de l’ID) un invraisemblable attelage de racistes et de complotistes. Bardella a beau jouer le gendre idéal (!) en portant la cravate, difficile de cacher les autres membres de la famille et les outrances de cette extrême droite européenne.

« La situation est bien différente à Paris et au Parlement européen. Au sein de cette institution dont les débats, volontiers techniques, passent souvent sous les radars médiatiques, les dix-huit eurodéputés RN se montrent à rebours de la stratégie suivie à Paris. » (Le Parisien dimanche, 19 novembre 2023).

Petite galerie de portraits :
Matteo Salvini, l’hôte de la rencontre. L’homme mène une guerre permanente contre les migrants (et plus généralement contre les roms et les musulmans). Il a une haute idée des Italiens du nord, qu'il considère sans doute comme de vrais Italiens ; en 2009 il proposait la création de wagons de métro de la capitale lombarde pour les seuls Milanais. Il traîne derrière lui une longue série d’affaires judiciaires.
Porte-drapeau flamboyant de l’ID, il y a la formation du Néerlandais Geert Wilders, l’homme à la crinière peroxydée. Son parti, le PVV (Parti de la liberté), a remporté les dernières élections législatives sur un message anti-immigration. Le personnage a fait toute sa carrière sur la « croisade » anti-islam, contre le Coran, les mosquées, le voile, etc. Le manifeste du PVV explique entre autres que « les demandeurs d’asile se régalent de délicieux buffets gratuits à bord des bateaux de croisière, tandis que les familles néerlandaises doivent réduire leurs achats ».
Alternative pour l’Allemagne (AfD) est actuellement crédité de 22% au niveau national mais il se dit qu’il pourrait sortir en tête de scrutins régionaux ; on parle de 32% dans le Brandebourg, 34% en Saxe, 36% en Thuringe. En novembre dernier, le collectif d’investigation Correctiv a révélé que les cadres de ce parti ont mis au point avec des néonazis un plan prévoyant de « débarrasser l’Allemagne » de centaines de milliers d’étrangers et d’« Allemands non assimilés », de restaurer une homogénéité ethnique du peuple allemand (lire encadré). La notion de « remigration » figure dans le programme de l’AfD pour les élections européennes. Björn Höcke, idéologue du parti, admet que, pour appliquer ce programme, il faudrait une politique de « cruauté bien tempérée », hors du champ constitutionnel.
Tomio Okamura (mère tchèque, père japonais), et son parti Liberté et démocratie directe tient un discours violemment antimigrants dans un pays, la Tchéquie, où il n’y en a pratiquement pas. Rappelons que la Tchéquie n’a accepté jusqu'à présent que douze refugiés, alors que l’UE lui demande d’en accueillir mille cinq cents.
Okamura propose d’effacer l’islam ; il invite ses concitoyens à se promener près des mosquées (il y en a deux dans le pays) avec des chiens et des cochons ; histoire de provoquer… Autre point de son programme : interdire le kebab.
Le parti estonien Ekre, Parti populaire conservateur, de Martin Helme, s’oppose bien sûr lui aussi à l’émigration, il est considéré comme un parti xénophobe et raciste ; il participe au gouvernement de 2019 à 2021 mais ses ministres doivent démissionner soit pour violences conjugales, soit pour incompétence ou pour mensonge, soit pour conflit d’intérêts. Pour Ekre tout n’a pas été mauvais dans le régime nazi (et ce parti répète « si vous êtes noirs, repartez ! »). Un temps ministre de l’Intérieur, Martin Helme a créé la polémique en se moquant du chef d’un gouvernement voisin pour ses origines modestes. Ce parti se décrit comme « courageusement patriote » et prône le suprémacisme blanc. L’écrivain estonien Rein Raud le qualifie de néonazi.
Le Bulgare Kostadin Kostadinov, président du parti nationaliste Renaissance (antiRoms, anti LGBT) a connu le succès en dénigrant la pandémie, en menant la résistance contre les vaccins contre la covid et autres passes sanitaires, vaccins qualifiés de « liquides non identifiés ». Il mène une vigoureuse campagne contre l’arrivée de refugiés venus de Turquie.
Reste du côté de la Belgique le Vlaams belang, Intérêt flamand (qui a remplacé le Vlaams blok dissous pour racisme), un parti naturellement xénophobe, recyclant les anciens collaborateurs, et aux propos sournoisement antisémites.
Et ainsi de suite. Un bel attelage en vérité que ce bataillon de soudards que Matteo Salvini, lors du rassemblement de Florence présentait comme « la Nouvelle Europe ».


Le site d’investigation Correctiv a révélé que des cadres de l‘« AfD, des identitaires, des néonazis et de riches entrepreneurs » se sont réunis fin novembre dans un pavillon de chasse de Potsdam, dans la banlieue bourgeoise de Berlin, en présence d’un chef identitaire autrichien. Ils auraient élaboré un « plan stratégique pour la remigration » de millions d’ « éléments non assimilables ». Bref, le plan envisage la déportation de demandeurs d’asile et d’Allemands d’origine étrangère vers l’Afrique du Nord. De Berlin, le journaliste David Philippot rappelle que ce plan ressemble beaucoup au « plan Madagascar » élaboré par les nazis visant à déporter quatre millions de juifs d'Allemagne et d'Europe de l'Ouest à Madagascar, alors colonie française. Comparaison d’autant plus tentante que le pavillon de chasse est à deux pas de la villa de la conférence de Wannsee où fut planifiée la solution finale en 1942. Autre élément : le pavillon de chasse de 2023, désormais surnommé « Hôtel de la conspiration », a servi de décor récemment pour un film de Netflix sur la montée du nazisme dans les années 1930… Ulrich Siegmund, chef du groupe parlementaire AfD en Saxe, a confirmé sa présence à cette réunion. Ce parti parle volontiers de « peuple homogène ».

Gérard Streiff est journaliste. Il est rédacteur en chef de Cause commune.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024