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Le PGE a toujours lié dans ses combats son opposition aux principes de l’Europe des marchés et de la finance, à la promotion d’une autre Europe de la solidarité et du progrès social.

La construction d’une Europe sociale favorable à une harmonisation vers le haut des droits des travailleurs en Europe a été dès sa création à Rome en 2004 un objectif central du Parti de la gauche européenne. Conçu comme un espace confédéral rassemblant des partis attachés à des objectifs communs de lutte pour une Europe de paix et de justice sociale, librement associés mais restant indépendants et souverains, ce nouveau parti européen se voulait un prolongement du seul lieu politique de coopération progressiste européen qu’était alors le groupe de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen. Les partis fondateurs du PGE, dont le PCF qui en fut un des principaux initiateurs, entendaient ainsi donner plus de force au combat politique pour une autre construction européenne.
Il y a toujours eu une double dimension dans la démarche du PGE : engranger par les luttes sociales et politiques tous les progrès possibles dans la construction de droits communs favorables aux travailleurs d’Europe (comme c’est le cas en ce moment pour le statut des salariés des plateformes), et unifier les forces en lutte autour d’un nouveau projet politique pour l’Europe, débarrassé des principes de mise en concurrence au service des marchés.

Concrétiser les convergences face aux forces du capital
Vingt ans après la création du PGE, force est de constater que l’essentiel du travail reste devant nous. Pour mener avec succès les combats à venir, il convient tout de même de bien apprécier ce qui a changé, ce qui a avancé, comme ce qui a fait et continue de faire obstacle à ce projet politique.
Le premier des défis a été dès le premier jour, et cela reste vrai, de convaincre de la nécessité de combats convergents à l’échelle européenne. Face à des forces du capital qui structuraient toujours plus leur domination à cette échelle, il paraissait évident de la faire pour les forces du travail et pour les forces politiques qui entendent représenter leurs intérêts. Rien n’allait et ne va pourtant de soi. La structuration nationale des combats politiques domine l’agenda des forces politiques que le PGE entend rassembler. L’opposition à l’Europe libérale actuelle nourrit également des réticences à s’engager dans un cadre européen quel qu’il soit, même à vocation progressiste. La peur de l’intégration l’emporte sur le besoin de coopération. Les débuts du PGE ont été marqués par ces difficultés, une partie seulement des forces du groupe parlementaire de la Gauche unitaire s’engageant dans l’aventure du nouveau PGE.

« Des six partis fondateurs aux dizaines de formations politiques travaillant aujourd’hui avec le PGE, un chemin politique considérable a été parcouru. »

Concrétiser les convergences, élargir les forces destinées à œuvrer ensemble, tout en respectant les différentes approches, fut et reste une des tâches majeures du PGE. Incontestablement, des points ont été marqués dans toute une série de directions. Des six partis fondateurs aux dizaines de formations politiques travaillant aujourd’hui avec le PGE, un chemin politique considérable a été parcouru, qui fait du PGE un référent pour des dizaines de milliers de militants politiques sur le continent. Cette progression n’avait rien d’évident car on peut dire qu’en vingt ans aucun pays européen n’a échappé à de profondes crises politiques dans le champ de la gauche, provoquant divisions, fractures, mais aussi émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux projets unitaires. Il a donc fallu travailler avec esprit de suite à des convergences que les événements politiques venaient souvent contrarier. Cela restera vrai encore pour un moment.

Enrichissement du projet du PGE
Ce travail d’élargissement n’a pas seulement consisté à additionner des forces politiques anciennes ou naissantes, il a aussi porté sur le fond des projets communs. Luttes sociales, féministes, écologiques, démocratiques, luttes de solidarité avec les migrants… le projet social du PGE s’est constamment enrichi au fil de deux décennies, pour travailler l’intimité de tous ces aspects du combat de classe pour des luttes et un projet émancipateur. Il a fallu dès lors trouver des cadres qui permettent au-delà des forces politiques de travailler avec toutes les forces nouvelles agissant sur le terrain du projet européen. Cette réflexion et des expériences menées au fil du temps ont nourri l’idée de créer à partir de 2016 le Forum européen des forces de gauche, vertes et progressistes, un rendez-vous désormais annuel initié par le PGE.

« L’Europe doit changer d’échelle en arrachant aux forces de prédation capitalistes les immenses richesses qu’elles gâchent au service des stratégies de profit. »

Une des questions clés est et reste la qualité du travail mené avec les organisations syndicales. Le Forum européen a marqué des progrès de ce point de vue, avec la CES comme avec des fédérations syndicales européennes, mais l’intensité de travail reste très en deçà face aux besoins.
Les possibilités de convergence se sont objectivement élargies en vingt ans, au fur et à mesure qu’apparaissait plus clairement la contradiction entre les objectifs d’une Europe sociale de progrès, d’une transition écologique juste, d’une émancipation féministe complète, d’une paix durable, et les stratégies libérales de mise en concurrence systématique des travailleurs et de leurs droits. La bataille de 2005 contre le traité constitutionnel européen, la crise financière de 2008, les conséquences dévastatrices des politiques d’austérité et de privatisation, les luttes féministes, la crise de l’accueil des migrants, la crise énergétique ont ouvert bien des consciences à la nécessité de changements structurels. Le projet social toujours porté par le PGE y trouve une légitimité renforcée et des alliés potentiels nombreux pour des changements progressistes des rapports de force.

Ne rien lâcher face aux forces d’extrême droite
Le paradoxe est pourtant devant nous d’un retour en arrière dans ce travail de convergences. Les forces d’extrême droite cultivent dans toute l’Europe le terreau des échecs des politiques ultralibérales, et les angoisses que celles-ci provoquent pour l’avenir dans tous les peuples. Mais elles le font en sapant l’idée de solidarité comme solution d’avenir, en éludant les responsabilités des grands intérêts capitalistes, en détournant l’attention des causes réelles de ces crises, en flattant le rejet des migrants, en nourrissant les réflexes populistes anti démocratiques, en rejetant la nécessité de solidarités européennes, sauf pour faire la guerre ou pour faire barrage aux migrants. Ces tendances régressives ne sont pas sans influence à gauche, quand certains s’inquiètent de voir l’influence des extrêmes droites progresser chez les travailleurs. C’est pourtant le moment de ne rien lâcher. Car c’est sur le social au sens large, c’est-à-dire tous les moyens consacrés au développement solidaire de nos sociétés, que l’Europe doit changer d’échelle en arrachant aux forces de prédation capitalistes les immenses richesses qu'elles gâchent au service des stratégies de profit.
Le projet politique et social du PGE est dans ce moment charnière un bien précieux à faire connaître et à faire fructifier. Cela passe par un effort d’explication intense mais aussi par des initiatives symboliques fortes où les forces progressistes européennes parlent ensemble sur les tribunes nationales. Incarner une Europe de travailleuses et de travailleurs solidaires dans les projets comme dans les actes, c’est le projet de toujours du PGE.

Pierre Laurent a été président du PGE de 2010 à 2016 et coordinateur du Forum européen de 2016 à 2022.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024