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Alors que certains voudraient voir dans ce projet une menace il apparaît qu’il peut participer à une phase historique de nouveaux échanges économiques, politiques et scientifiques dans l’ère post-crise financière si les forces de progrès s’en saisissent.

Le projet de « nouvelles routes de la soie » constitue-t-il une menace existentielle pour le monde occidental voulue par la Chine en mal d’hégémonisme, comme l’a décrété Francis Fukuyama, le visionnaire de « la fin de l’Histoire » ou peut-il s’avérer une opportunité historique pour tous les peuples concernés et à quelles conditions ? La guerre de communication, exacerbée par l’agressivité trumpiste, fait rage aujourd’hui autour de l’initiative chinoise. Elle vise à la dévoyer en la réduisant à une OPA du géant asiatique sur le monde et en masquant les potentialités qu’elle recouvre. Les interrogations, voire les inquiétudes sur la nature de sa réalisation sont légitimes. Pouvons-nous pour autant nous renfermer dans un comportement frileux sans chercher à comprendre son sens et sa portée dans un monde rongé par la crise et les conflits ?

Qu’en est-il exactement ?
Il convient tout d’abord d’examiner le contexte dans lequel est né le projet. L’évocation (2013) puis le lancement officiel (2014) des nouvelles routes de la soie (voie terrestre – entre Asie centrale et Europe – et voie maritime) furent la réponse de Pékin au basculement américain vers l’Asie commencé en 2012 par Barak Obama visant l’encerclement de la Chine par le « partenariat transpacifique » (TPP). Pour soutenir l’initiative, Pékin a proposé la création en 2014 de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (BAII). Invités à y participer, les États-Unis ont rejeté l’offre, ce qui ne fut pas le cas de ses alliés en dépit des pressions. De nombreux pays de la zone Asie-Pacifique (Corée du Sud et Australie en particulier) et dix-sept pays européens (dont le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, mais aussi la Suisse et la Norvège) y ont adhéré portant à cinquante-sept le nombre définitif des pays fondateurs. Une des caractéristiques majeures de cette institution est d’être dominée par des pays en développement ou émergents et non pas par des économies industrialisées. Washington ne s’y est pas trompé ; la création de la BAII a arraché ce cri du cœur à l’ex-secrétaire au Trésor américain, Larry Summers : « On s’en souviendra peut-être comme du moment où les États-Unis ont cessé d’être le garant final de l’économie globale ! »

« Les routes de la soie seront ce que nous saurons en faire par des choix politiques à orienter, propres à rompre avec les logiques mercantilistes et les concepts traditionnels de libre-échangisme capitaliste. »

Si le projet répond pour une part à des objectifs intérieurs, notamment désenclaver et dynamiser les provinces de l’Ouest, élargir les débouchés des entreprises chinoises affectées par la baisse de l’investissement, sécuriser l’approvisionnement en gaz et pétrole en limitant les passages par le détroit de Malacca, il s’inscrit dans une vaste réflexion lancée en Chine après la crise financière de 2008 sur le devenir de la mondialisation et le futur de la planète entière. Aux yeux des dirigeants chinois, la mondialisation consacre une interdépendance trop forte pour que les rivalités d’hier subsistent en l’état. La gestion de l’espace mondial implique le multilatéralisme et un changement de nature des relations internationales. Relevant que l’ordre économique tel qu’il existe est obsolète, il convient de créer les conditions pour le transformer et d’engager un processus basé sur ce constat : dans ce monde interdépendant, aucune nation ne peut réussir seule. Il faut donc inventer des projets internationaux et fédérateurs dans une logique de complémentarité et de « communauté de destin pour l’humanité » (concept adopté en mars 2017 dans une résolution des Nations unies et inscrit en 2018 dans la Constitution chinoise), propres à assurer une sécurité collective et le développement de chaque peuple.

Une matrice d’une nouvelle mondialisation à inventer
C’est en ce sens que le projet constitue bien une matrice d’une nouvelle mondialisation inclusive à inventer ouvrant « une phase historique de nouveaux échanges économiques, politiques et scientifiques dans l’ère post-crise financière », selon Pékin.
Il convient de comprendre que cette proposition soutenue par la Chine est mise en discussion sur la table planétaire.
• Les nouvelles routes de la soie se veulent être une plateforme de coopération et de connectivité. Tous les États sont donc potentiellement concernés impliquant une diversité d’acteurs gouvernementaux ou civils (partis politiques, entreprises, institutions de recherche…). Une centaine de pays et des organisations internationales sont, selon les informations les plus récentes, partie prenante de l’initiative, ce qui au bas mot représente plus de quatre milliards de personnes.

« Inventer des projets internationaux et fédérateurs dans une logique de complémentarité et de “communauté de destin pour l’humanité” propres à assurer une sécurité collective et le développement de chaque peuple. »

• Elles s’inscrivent dans la durée. Les contours, les contenus, voire les objectifs, ne sont pas prédéterminés. Ils sont à dessiner, à définir. Chaque « partenaire » est prié de venir avec sa vision, sa compréhension, ses ambitions et de les mettre en œuvre dans un processus collaboratif.
• Les mécanismes de coopération apparaissent comme illimités : ils peuvent porter sur des sujets généraux ou se concentrer sur des industries spécifiques – infrastructure de transport, énergie, coopération en télécommunication – mais promeuvent la coopération immatérielle (normes et standards, projets numériques, financiers, culturels, médiatiques, etc.).
L’initiative prendra donc forme en fonction des réponses apportées par les partenaires. La condition de sa réussite est, dès lors, tout au long de cet immense parcours, la poursuite d’un dialogue approfondi entre participants dans lequel les forces progressistes – et le PCF doit prendre toute sa part dans ce débat international – ont leur rôle à jouer. Autrement dit, les routes de la soie seront ce que nous saurons en faire par des choix politiques à orienter, propres à rompre avec les logiques mercantilistes et les concepts traditionnels de libre-échangisme capitaliste. Ne les laissons pas aux seules mains des tenants de la mise en concurrence mortifère pour les peuples.
Ne faut-il pas prendre le président Xi Jinping au mot lorsqu’il fait valoir que « les pays de différentes croyances et cultures peuvent jouir de la paix pour se développer ensemble, à condition d’insister sur la solidarité et la confiance mutuelle, l’égalité et les avantages réciproques, la tolérance et l’enrichissement mutuels, la coopération et l’esprit gagnant-gagnant » ? Une vision qui dans l’esprit croise nos propres propositions de soutenir l’émergence d’espaces régionaux inclusifs de coopération et de sécurité collective, sous supervision de l’ONU, voués à la lutte contre les inégalités, à la démilitarisation, la dénucléarisation, et à l’avènement de nouveaux modes de développement.
L’ambition de créer « une communauté de destin pour l’humanité » est-elle utopique ou saura-t-elle, si les forces de progrès social y participent activement, donner toute sa mesure pour inventer la suite de l’histoire et non plus d’en décréter la fin ? C’est le grand enjeu des routes de la soie.

Dominique Bari est journaliste à L’Humanité.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019