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On vit ici, on travaille ici, on vote ici ! La question du vote des étrangers est intimement liée à l’histoire de notre démocratie. Un combat d’actualité !

Au début de la Révolution française, les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent comme distincts : il n’était pas nécessaire d’être français pour participer à l’exercice de citoyenneté que représentait l’élection.
Cette conception ouverte de la citoyenneté, qui représente la poursuite des idéaux inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, sera toutefois remise en question au profit d’une conception de la citoyenneté liée indissolublement à celle de la nationalité.
Le XIXe siècle marque le renversement de la conception cosmopolite et universaliste des débuts de la Révolution au profit d’une citoyenneté liée à la nationalité, au point que ces deux concepts apparaissent aujourd’hui indissolublement liés.

« Au début de la Révolution française, les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent comme distincts : il n’était pas nécessaire d’être français pour participer à l’exercice de citoyenneté que représentait l’élection. »

Dès sa création en 1920, le Parti communiste français s’est montré favorable à l’expression démocratique des étrangers. Le soutien à leur lutte s’est notamment concrétisé au moment des guerres d’indépendance des pays colonisés. Cette proposition a été portée par le PCF dès 1972, dans le programme commun de la gauche. La question du droit de vote des résidents étrangers revient régulièrement dans le débat politique français depuis la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1981. Cette promesse n’a pas plus été tenue durant le quinquennat de François Hollande.
Le jugement selon lequel le pays n’était pas prêt ou la mise en avant des questions juridiques de réciprocité, autant de raisons invoquées pour ne jamais prendre cette question au sérieux d’un point de vue législatif. Le débat a été relancé régulièrement durant ces quarante dernières années, à la suite notamment de l’adoption du traité de Maastricht (1992) qui ébauche la notion de citoyenneté européenne en accordant le droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers de pays membres de l’Union européenne aux élections européenne et municipales. Cette clause s’appliquera pour la première fois aux élections européennes de 1994.
En revanche, en ce qui concerne les élections municipales, la France sera le dernier pays à prendre les dispositions pour transposer la directive européenne de 1997 précisant ses modalités d’application. Il faudra attendre pour cela les élections municipales de 2001, avec la restriction que ces résidents communautaires ne peuvent être élus maires ou adjoints au maire.

Droit de vote et nationalité
Le droit de vote a une longue histoire en France. Il avait au départ une logique discriminante de classe. Avec le cens, uniquement réservé aux hommes riches, la notion de privilège était prégnante dans la vie démocratique. Les luttes pour le suffrage universel, puis pour le droit de vote des femmes n’ont pas totalement su déconstruire cette conception d’une citoyenneté indissociablement liée à la nationalité.

« Dès sa création en 1920, le Parti communiste français s’est montré favorable à l’expression démocratique des étrangers. »

Ce lien entre droit de vote et nationalité se heurte à une objection de poids : les étrangers résidant sur le territoire paient des impôts, sont usagers des services publics et participent de fait à la vie de la cité et de l’entreprise. Les luttes nombreuses, tant syndicales que sociales, ont imposé de considérer les résidents étrangers comme des travailleurs immigrés. C’est leur place dans le système d’exploitation capitaliste qui les caractérise dans la lutte syndicale. Ainsi, depuis 1946, les étrangers sont électeurs dans les instances représentatives du personnel. Depuis 1968, ils peuvent être élus délégués syndicaux. Ils peuvent être membres d’un comité d’entreprise et délégués du personnel, à condition de « savoir lire et écrire en français » (selon la loi du 27 juin 1972), de « pouvoir s’exprimer en français » (selon la loi du 11 juillet 1975), puis sans conditions après la loi du 28 octobre 1982, une des lois Auroux.
Depuis 1982 également, ils sont électeurs et éligibles dans les conseils d’administration des caisses de Sécurité sociale, les conseils d’administration des établissements publics gérant des logements sociaux (OPAC, OPHLM). Ils peuvent être élus parents d’élèves délégués et, à ce titre, participer aux conseils des écoles ainsi qu’aux conseils d’administration des collèges et des lycées. Ils peuvent participer aux instances de gestion des universités (la présidence d’une université restant monopole national). Le droit au logement, l’accès à la nationalité, le droit du travail sont des sources de mobilisation importantes. D’abord par l’emploi, l’enjeu est de maintenir une classe ouvrière unie, qui ne rentre pas dans la division souhaitée par le patronat. Des centaines d’associations mettent en avant la notion de citoyenneté des résidents étrangers. La Marche des Beurs a été un moment extrêmement marquant pour toute la première génération née en France issue de l’immigration postérieure à la Seconde Guerre mondiale. Les récupérations politiques et les manipulations du Parti socialiste notamment ont nui fortement aux liens politiques naissant avec toutes les forces de gauche, dont le PCF.

« Au début de la Révolution française, les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent comme distincts : il n’était pas nécessaire d’être français pour participer à l’exercice de citoyenneté que représentait l’élection. »

Un certain nombre de pays ont accordé le droit de vote aux résidents étrangers, à tous les niveaux de pouvoir, sans éligibilité (Chili, Nouvelle-Zélande), à certains niveaux de pouvoir, avec éligibilité (ressortissants du Commonwealth au Royaume-Uni), au niveau municipal, avec ou sans éligibilité (les cinq pays nordiques et les trois du Benelux, plusieurs cantons suisses, le Portugal, la Slovénie, le Burkina Faso, le Venezuela, etc.). Les États-Unis reconnaissent, à l’instar de la Suisse et du Canada, le droit à leurs entités fédérées d’étendre le droit de vote et d’éligibilité. La question du droit de vote des résidents étrangers fait référence à de multiples notions qui relèvent à la fois du droit, de l’histoire de chaque pays et de la légitimité qu’il faudrait acquérir.

Nation, État, citoyenneté
Ces concepts méritent d’être redéfinis à chaque fois. La nation est davantage une construction idéologique qu’une réalité concrète, ce qui explique la difficulté de lui donner une définition pleinement satisfaisante. Elle trouve plutôt sa source dans un ensemble complexe de liens qui fondent le sentiment d’une appartenance commune. Elle est ainsi à la fois extérieure aux individus, en même temps qu’elle est intériorisée et transmise d’une génération à l’autre. Certaines données objectives permettent de définir une nation : le territoire, l’ethnie, la langue, la religion, la culture, l’État. Mais l’idée de nation ne leur est pas réductible. Réalité historique et politique, objet de réflexion et de débats théoriques, la nation est également devenue depuis la Révolution française une notion juridique à part entière. La constitution du peuple en un corps politique, la nation, détentrice de la souveraineté, modifie par ailleurs la conception de l’État en le soumettant au principe démocratique.
Dans son rapport de 2018, le Conseil d’État définit la citoyenneté comme la juxtaposition de deux notions : la nationalité et le droit d’appartenir à la cité. La citoyenneté repose sur des valeurs, se traduisant par un statut juridique. Le citoyen détient donc une qualité particulière qui lui permet de prendre part à la vie publique. Le Parti communiste français mène depuis des décennies une réflexion approfondie sur l’ensemble de ces sujets. L’internationalisme que nous portons met en avant les liens profonds qui unissent les populations exploitées et discriminées, quel que soit leur pays. La lutte des classes, qui transcende les frontières dans le but de dépasser le capitalisme, et la victoire des travailleuses et travailleurs nous amènerait à une construction nouvelle et à une coopération partagée au niveau mondial. Loin de l’exploitation capitaliste dont l’unique objectif est la course au profit, loin des logiques réactionnaires et guerrières de l’impérialisme, nous souhaitons une humanité unie dans la paix et la solidarité.

Un déni républicain
Parmi les classes populaires, les plus touchées par les discriminations, les résidents étrangers sont concernés encore plus durement. L’accès aux études, à l’emploi, à la vie culturelle est rendu encore plus difficile pour une large partie de la population. Les résidents étrangers qui ne disposent pas de ces droits participent pourtant à la vie de la cité, à la dépense publi­que, à la vie associative, peuvent être propriétaires, élèvent leurs enfants ici. Le droit de vote européen est une brèche importante dans l’idée que la citoyenneté repose sur la nationalité, puisqu’il s’étend à un ensemble dépassant le simple cadre de la citoyenneté française, et qui est de plus en évolution. La construction de ce qui est aujourd’hui l’Union européenne a commencé à six pays en 1957, puis jusqu’à vingt-huit en 2019 et enfin à vingt-sept aujourd’hui avec la sortie du Royaume-Uni. Ces évolutions n’ont pas pris en compte la construction de l’identité européenne.
La notion de culture commune est évoquée comme étendard contre le droit de vote des résidents étrangers. Il y aurait donc quelque chose d’immuable dans la culture ? Son partage s’arrêterait-il en un certain point de l’histoire ? De même pour la notion d’histoire commune. Il y a un partage de l’histoire mondiale, marqué par les guerres bien sûr, mais aussi par les mobilisations internationales pour la libération de Mandela, contre la guerre au Vietnam ou récemment contre les violences policières aux États-Unis que la mort de Georges Floyd a amplifiées. Le développement des réseaux sociaux a créé une proximité forte, virtuelle certes, mais qui mobilise et qui crée du commun.
Le passé colonial de la France crée de facto un partage de l’histoire qui remonte à plusieurs siècles. N’est-ce pas suffisant comme temps de partage ? Une histoire subie, pour les colonisés, mais profondément ancrée encore aujourd’hui dans la mémoire des peuples. Les vagues migratoires successives organisées par l’État français pour reconstruire la France ou la défendre ont déplacé des centaines de milliers de personnes qui ont construit leur vie ici. Si on garde toujours une pensée émue pour l’endroit d’où on vient, la réalité est que nous sommes de là où nos enfants grandissent. La construction de la citoyenneté, de la vie commune et du partage de l’histoire et de la culture passe par les enfants.
Ne pas reconnaître la citoyenneté pleine et entière aux « enfants de l’immigration » est un déni républicain. Il faut battre en brèche les arguments racistes qui hiérarchisent les individus. Permettre au plus grand nombre de prendre part à la vie de la cité. Le racisme systémique, qui divise, éloigne et crée un repli vers ce qui serait « sa communauté », doit être combattu politiquement. L’égalité des droits, la garantie d’une équité sur le territoire, tant en matière d’éducation que dans l’accès aux services publics, est une revendication que porte le PCF.
Il s’agit pour l’heure de reconstruire la citoyenneté, de mettre les enjeux dans les mains du plus grand nombre, d’élargir la participation citoyenne, de redonner confiance en la politique. Vaste défi !
Si tout ceci prendra du temps, il ne faut pas minimiser l’importance du travail de fourmi, l’importance des prises de position qui remettent de la dignité, du respect, des valeurs telles que la solidarité au cœur des débats. L’élargissement du droit au suffrage doit permettre à toutes celles et ceux qui sont durablement installés sur notre sol de participer aux élections et à la vie politique.

Sarah Misslin est membre du comité exécutif national du PCF.

Cause commune • novembre/décembre 2021