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Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France à raison de l’indignité des conditions de détention imposées aux personnes détenues, notamment liée au surencombrement des établissements. Elle lui prescrivait d’adopter des mesures en faveur de sa résorption définitive. Près de trois ans après, quelle est la situation ? Quelles solutions peuvent être mises en œuvre pour en finir avec la surpopulation carcérale en France ?

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État des lieux
Au 1er septembre 2022, les établissements pénitentiaires français accueillaient 71 669 personnes détenues pour 60 715 places opérationnelles. Si au niveau national le taux d’occupation moyen s’élevait à 118 %, il atteignait près de 140 % dans les maisons d’arrêt – établissements accueillant les personnes placées en détention provisoire ou condamnées à de courtes peines.
Ce chiffre, à lui seul alarmant, masque toutefois des disparités entre établissements et zones géographiques. Quarante-six maisons d’arrêt présentaient des taux dépassant 150 % d’occupation, quatre excédaient parfois les 200 % (Bordeaux-Gradignan, Foix, Carcassonne et Nîmes).
Cette situation a des implications nombreuses sur le quotidien des dizaines de milliers de personnes détenues qui y sont exposées. Promiscuité, manque d’intimité, non-séparation des différentes catégories de détenus, augmentation des tensions et violences, les conditions de vie en prison sont fortement dégradées par la surpopulation.
Les conséquences de cette situation s’étendent également sur le nombre et la qualité des services proposés aux prisonniers. Au-delà des questions matérielles, il faut en effet relever la détérioration importante des conditions de prise en charge des personnes détenues, les carences en matière d’offre d’activité et de travail, de préparation à la sortie, de prise en charge sanitaire, et leurs conséquences sur l’insertion ou la réinsertion.

Surpopulation carcérale ou population « surincarcérée » ?
Si le phénomène de surpopulation est ancien, la situation actuelle est marquée par une aggravation significative des tendances d’accroissement carcéral. Il faut en effet rappeler que la France comptait un peu moins de 35 000 personnes détenues en 1982. Ce chiffre a plus que doublé en quarante ans.
Pour les tenants des politiques répressives, faisant du tout-carcéral l’axe prioritaire du dispositif pénal, cette augmentation serait justifiée par la montée de la délinquance, que d’aucuns – jusqu’au ministre de l’Intérieur – ose qualifier « d’ensauvagement de la société ». L’examen attentif des statistiques infirme cependant cet argumentaire, qui relève du fantasme.
La cause de la surpopulation carcérale réside plus exactement dans l’orientation des politiques pénales, marquée par la pénalisation d’un nombre croissant de comportements (mendicité agressive, occupation de hall d’immeuble, correctionnalisation du défaut de permis et d’assurance) ; de même que le développement de procédures accélérées joue un rôle déterminant dans l’engorgement des prisons. La procédure de comparution immédiate se trouve être la cause de 44 % des entrées en détention et de 70 % des placements en détention provisoire.

« Les personnes vulnérables, notamment celles atteintes de troubles psychiatriques, ou en situation de précarité (sociale, économique ou administrative) encourent plus que tout l’incarcération. »

Dans le même temps, à rebours des discours évoquant une « justice laxiste et permissive », les statistiques révèlent un accroissement de la durée moyenne des peines, passée de 4,3 mois en 1975 à 10,7 mois en 2019. Depuis cette date, les États généraux de la Justice ont encore noté une augmentation de 11 % du quantum des peines prononcées par les juridictions pénales…
Dans ce tableau, certaines catégories de la population sont plus particulièrement exposées au risque de la détention. Face à la justice pénale, il est faux de dire ou croire que nous sommes tous égaux. Les personnes vulnérables, notamment celles atteintes de troubles psychiatriques, ou en situation de précarité (sociale, économique ou administrative) encourent plus que toute l’incarcération.

La construction de nouvelles places, une fausse bonne solution
Pour faire face à cette situation et assurer des conditions de détention respectueuses des droits de chacun, nombreux sont celles et ceux qui affirment que la solution réside dans la construction de nouvelles places de prison. Depuis trente ans, c’est ainsi que le gouvernement et le parlement ont d’ailleurs décidé de traiter le sujet.
Entre 1990 et 2020, le nombre de places de prison est passé de 36 615 à 60 775, soit une augmentation de 66 % ! Cela n’a jamais eu le moindre effet sur le nombre de personnes détenues… Tandis que plus de 24 000 nouvelles places nettes étaient créées, le nombre de prisonniers a augmenté de plus de 24 500 sur la période.

« La cause de la surpopulation carcérale réside plus exactement dans l’orientation des politiques pénales, marquéepar la pénalisation d’un nombre croissant de comportements. »

Cette politique de construction compte plus d’effets négatifs que d’avantages ; elle grève le budget du ministère de la Justice et prive l’institution judiciaire d’autant de moyens pour mettre en œuvre des mesures alternatives à l’incarcération et des programmes de réinsertion. Il convient de rappeler que la construction d’une seule place de prison coûte 250 000 euros, auxquels il faut ajouter une charge de 110 euros par jour de fonctionnement.
En 2022, ce sont près d’un milliard d’euros qui ont ainsi été coulés dans le béton des investissements immobiliers, au détriment de l’entretien, de la rénovation et de l’adaptation du parc existant, du renforcement de l’accompagnement en milieu ouvert et du développement de l’intervention des autres services publics (école, santé, etc.).

Mettre en œuvre une politique de déflation carcérale
Jusqu’à présent, en dépit des affichages et effets d’annonce, aucune réforme n’est parvenue à renverser la tendance continue d’inflation carcérale. La loi de programmation de la justice, entrée en vigueur en mars 2019 et mars 2020, semble produire des effets contraires à ceux espérés. Il est donc urgent d’adopter de nouveaux paradigmes en matière de justice pénale.
La première piste est de s’engager dans un « réductionnisme pénal » qui ne place plus l’incarcération au centre du dispositif. Cela suppose d’une part d’assumer la dépénalisation de certains délits, qui conduisent très fréquemment en prison. Certains comportements, pourraient être pris en charge par les autorités administratives (ex : les infractions routières), en même temps que d’autres devraient être au cœur d’une véritable politique de santé publique (ex : les infractions sur les stupéfiants).
Ce réductionnisme impose par ailleurs de limiter le recours à la détention provisoire, qui représente aujourd’hui 30 % de la population carcérale. En modifiant les conditions et la durée de ces placements, leur nombre ne pourrait que diminuer. De même, il est essentiel de réviser les conditions de jugement et de sinon supprimer, ou au moins limiter, les procédures accélérées pourvoyeuses de détention (ex : la comparution immédiate).

« La France comptait un peu moins de 35 000 personnes détenues en 1982. Ce chiffre a plus que doublé en quarante ans. »

Enfin, aucune réforme d’ampleur ne pourra se dispenser d’une réflexion sur l’échelle des peines et d’une « désincarcération » de la justice pénale. Affirmer que l’enfermement constitue l’ultime recours impose d’organiser des dispositifs alternatifs contraignants, en préconisant des mesures en milieu ouvert au stade du prononcé ou de l’exécution de la peine. Cela passe nécessairement par le renforcement des moyens alloués aux services et structures d’accompagnement.

Vers un mécanisme de régulation carcérale ?
Une deuxième piste a émergé récemment dans le débat public, à la faveur de positionnements volontaristes d’associations, de syndicats ou d’autorités administratives indépendantes. Ces observateurs soutiennent que la baisse de la population carcérale constatée en 2020 n’est intervenue qu’à la faveur des mesures exceptionnelles liées à la crise sanitaire, qui a favorisé la libération anticipée de personnes détenues. Ils prescrivent dès lors l’instauration d’un mécanisme de régulation carcérale.

« Promiscuité, manque d’intimité, non-séparation des différentes catégories de détenus, augmentation des tensions et violences, les conditions de vie en prison sont fortement dégradées par la surpopulation. »

Localement, des outils de ce type sont apparus, permettant la prise en compte régulière de la situation des établissements et accélérant les processus d’aménagement de peine au gré des nouvelles incarcérations. L’idée y est ainsi de maintenir un taux d’occupation inférieur à un seuil déterminé, pour éviter une aggravation des conditions de vie au sein de l’établissement.
Des expérimentations ont été menées au-delà de la crise sanitaire dans les ressorts des tribunaux judiciaires de Marseille et Grenoble. Les résultats sont cependant loin d’être satisfaisants. Dépourvu de caractère contraignant, le prononcé de libération anticipée restait marginal et ne parvenait pas à suivre le rythme élevé des nouvelles incarcérations.
En plus de confirmer que sans l’adoption d’une politique générale de réduction du recours à l’incarcération (dans son volume et dans sa durée) et la mise en place de mesures contraignantes, ces tentatives illustrent avec évidence que tout n’est pas du registre de la loi. Au-delà des textes, c’est aussi à la transformation de la culture professionnelle des magistrats qu’il faut œuvrer. Il n’y a, ici comme ailleurs, aucune fatalité ; tout est une question de volonté(s).

Matthieu Quinquis est avocat. Il est président de l’observatoire international des prisons.

Cause commune32 • janvier/février 2023