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Les luttes menées en Belgique et le rôle des communistes.

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Partout dans le monde, le droit des femmes à disposer librement de leur corps est mis sous pression. L’Espagne et la Pologne ont récemment connu des tentatives pour restreindre très fortement le droit à l’avortement. Heureusement, une forte mobilisation a fait reculer les gouvernements. L’été dernier, dans l’Arkansas, aux États-Unis, un projet de loi a vu le jour pour empêcher les femmes de décider seules d’un avortement. En Belgique, l’avortement est toujours inscrit au code pénal. À Malte, il est tout simplement interdit. Se mobiliser est donc plus que jamais indispensable.
Comme on le voit dans de nombreux pays, en 2017, le libre choix des femmes à avoir ou non un enfant est loin d’être acquis. Pire : nous ne sommes pas à l’abri de sérieux reculs. C’est pourquoi la mobilisation est plus que jamais d’actualité. En effet, c’est la mobilisation sur le terrain qui, dans l’histoire de la lutte pour le droit à l’avortement, a fait bouger les lignes pour ce droit fondamental des femmes.

L’« affaire Peers » et les mobilisations à l’origine de la dépénalisation de l’avortement
En Belgique, le docteur Willy Peers a été la figure la plus célèbre du combat pour le droit à l’avortement. Le 18 janvier 1973, ce médecin gynécologue a été arrêté et incarcéré à la suite d’une dénonciation anonyme pour avoir pratiqué un avortement sur une jeune fille (mineure) handicapée mentale qui avait été violée par le compagnon de sa mère.
Cette arrestation sera l’élément déclencheur de « l’affaire Peers » et d’une vaste mobilisation du mouvement féministe. Certains médecins sortent de la clandestinité et des militantes ouvrent des centres pratiquant l’avortement. Des manifestations sont organisées dans tout le pays. Le 29 janvier 1973, malgré une interdiction du bourgmestre, quelque dix mille personnes marchent dans les rues de Namur. Une pétition récolte rapidement plus de cent vingt mille signatures, et huit cents femmes et deux cents médecins se déclarent symboliquement « complices » du docteur Peers pour avoir eu recours à l’avortement.
Les travailleuses de la Fabrique nationale (FN) à Herstal, les « femmes-machines » comme on les avait baptisées, vont également rejoindre les manifestations des femmes. Ces ouvrières luttent pour l’égalité des salaires : alors qu’elles travaillent comme les hommes, elles sont payées moins et ont moins de droits. Rappelons qu’à cette époque, les femmes mariées n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Le combat pour l’avortement s’insérait donc dans une prise de conscience plus large : c’étaient toujours les hommes, l’Église, l’État, le médecin qui décidaient à leur place.

« Le libre choix des femmes à avoir ou non un enfant est loin d’être acquis. »

Ces femmes ont véritablement lancé la seconde vague de féminisme. « Ce que les femmes ont surtout obtenu, c’est la prise en compte des problèmes de la vie privée dans les positions et les revendications syndicales : crèches, prise en compte des familles monoparentales, contraception, avortement… », analyse Annie Massay, permanente syndicale Setca à l’époque, qui a activement soutenu la grève des ouvrières de la FN.
Finalement, sous la pression de cette grande mobilisation, Willy Peers est relâché après trente-six jours de détention préventive. À peine sorti de prison, il reprend son combat et est présent dans toutes les manifestations pour le droit à l’avortement. Libéré le 20 février 1973, on le retrouve à peine quatre jours plus tard à la tête d’une manifestation à Liège, entouré de militantes, de personnalités scientifiques, de progressistes et de syndicalistes.
Même si c’est la fin de « l’affaire Peers », la lutte pour la dépénalisation commence à peine. En effet, bien que des propositions de loi aient vu le jour dès le début des années 1970, il faudra attendre 1990 pour que l’avortement soit enfin partiellement dépénalisé en Belgique. Et ce sera essentiellement le résultat d’une mobilisation acharnée du mouvement féministe et progressiste belge. Une fois de plus, l’histoire de cette lutte démontre que c’est avant tout dans la rue et par la mobilisation que se font les avancées sociales.

Le droit à l’avortement : un combat porté par le mouvement communiste
Willy Peers est souvent présenté comme un humaniste. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il était également communiste. À 18 ans, il avait commencé à militer au Parti communiste de Belgique (PCB). Pendant la guerre 1940-1945, il rejoint la Résistance et, à partir de 1943, il fait partie des résistants armés. Toute sa vie, Peers restera fidèle à ses idéaux. S’il s’est tourné vers la médecine, c’était avant tout dans une visée sociale, expliquera-t-il dans son journal. Mais Willy Peers n’était pas le seul militant communiste à se battre pour le droit à l’avortement. C’est d’ailleurs au PCB que l’on doit la première tentative de sortir l’avortement du code pénal belge. En 1973, Noëlla Dinant, députée communiste, dépose un projet de loi pour autoriser les avortements en milieu hospitalier jusqu’à douze semaines de grossesse, et pour que ceux-ci soient remboursés par la Sécurité sociale. Elle propose également d’abroger les articles 351 et 383 du Code pénal condamnant l’avortement et la contraception (revendication qui, dans le cas de l’avortement, est toujours d’actualité aujourd’hui).
On peut également citer Lucie Van Crombrugge, qui deviendra par la suite membre du Parti des travailleurs et du peuple (PTB). Dans la deuxième moitié des années 1970, Lucie Van Crombrugge rejoint le comité avortement de Gand et devient une militante très active pour la dépénalisation de l’avortement. En 2014, elle sera faite docteur honoris causa de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), en même temps que Willy Peers pour son rôle dans la lutte pour le droit à l’avortement en Belgique.

« Lutter pour le droit à l’avortement est une question de justice sociale. »

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les pays socialistes ont été à l’avant-garde du combat pour le droit à l’avortement. Le premier État au monde à dépénaliser l’avortement n’est autre que… l’URSS, et ce dès 1920 (soit soixante-dix ans avant la Belgique). Durant l’après-guerre, les pays de l’Est deviendront une destination privilégiée pour les femmes belges voulant avorter. On peut citer l’exemple de la Pologne, pays où ce droit est aujourd’hui menacé. Dans les années 1960-1970, beaucoup de femmes belges partaient en Pologne pour y obtenir un avortement dans de bonnes conditions. C’est ce qu’on appelait la Polish Connection, comme en témoigne Anja Kiesjna, militante polonaise pour le droit à l’avortement, dans une récente vidéo.

Un combat toujours d’actualité en Belgique
Si le droit à l’avortement est un combat historiquement porté par la gauche et le mouvement communiste, il reste cependant tout à fait nécessaire.
En Belgique, l’avortement figure toujours dans le code pénal, c’est-à-dire qu’il est toujours considéré comme un délit. Il s’agit pourtant d’une intervention médicale, et qui relève du droit des femmes à disposer librement de leur corps et à choisir si elles veulent devenir mères, et quand. Sortir l’avortement du code pénal est une revendication essentielle pour le droit des femmes à être libres et indépendantes.
C’est aussi une nécessité en matière de santé publique. Dans les pays où l’avortement est illégal, les avortements sont tout autant pratiqués, mais de manière clandestine. Ils se déroulent dans des conditions parfois dramatiques du point de vue de l’hygiène, sont effectués à l’aide d’aiguilles à tricoter ou de produits dangereux pour la santé. Interdire l’avortement n’en diminue pas le nombre mais ne fait qu’accroître le danger pour la santé des femmes qui y ont recours. C’est une des raisons pour lesquelles il faut prolonger le droit à l’avortement jusqu’à vingt semaines de grossesse.
Enfin, lutter pour le droit à l’avortement est une question de justice sociale. En effet, pour les femmes qui en ont les moyens, il sera toujours possible de se payer un voyage dans une clinique privée aux Pays-Bas ou en Angleterre. En revanche, pour les femmes qui ont moins de ressources, le droit à l’avortement, couvert par la Sécurité sociale, est la seule protection pour bénéficier d’un système de santé de qualité et pour pouvoir donc réellement décider librement de leur avenir. l

Élise Wynen est militante du Parti du travail de Belgique.
Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur. https://solidaire.org/articles/le-droit-l-avortement-un-combat-de-gauche-toujours-d-actualite


Willy Peers, médecin communiste

Willy Peers était médecin gynécologue et militant communiste. S’il s’est tourné vers la médecine, c’est avec une vision sociale qui restera toute sa vie au cœur de sa pratique de médecin.

En 1964 est votée la loi Leburton, qui demande aux médecins de signer un contrat avec les mutuelles sur le tarif de leurs honoraires et de collaborer à la bonne marche de l’assurance maladie et invalidité. Sur les dix mille médecins en exercice, seuls cinq cents acceptent le contrat. Les autres partent en grève pour protéger leurs privilèges. En revanche, le Parti communiste de Belgique soutient la loi, et le docteur Willy Peers refuse de faire grève. Selon lui, cette loi est une avancée sociale. Willy Peers sera le défenseur d’une pratique collective et d’une vision globale de la médecine. Il est notamment à l’origine du Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM), créé pour améliorer la pratique de la médecine. La célèbre virologue Lise Thiry, également active dans ce groupe, se souvient : « Je nous revois par exemple, Maurice Goldstein, rescapé d’Auschwitz, aux côtés d’Elie Vamos qui susurre de douces suggestions révolutionnaires. […] Puis, bien vite, se joindra à nous le gynécologue Willy Peers qui apportera sa fougue et son courage. […] »

Un pionnier de « l’accouchement sans douleur »
Un autre aspect du travail social de Willy Peers est son engagement pour la méthode de « l’accouchement sans douleur ». À l’époque, la plupart des médecins soignent des maladies mais prennent rarement en compte les personnes (et encore moins les femmes). La douleur pendant l’accouchement n’était donc pas du tout une priorité pour la majorité d’entre eux.
Willy Peers fut l’élève du professeur Jean Snoeck, qui avait appris la méthode de l’accouchement sans douleur (ASD) à la maternité de la clinique des métallurgistes du syndicat de la CGT à Paris. Cette technique, pratiquée par le docteur Fernand Lamaze, provenait directement de l’Union soviétique, où Lamaze avait voyagé avec une délégation de médecins français.
En Union soviétique, Lamaze découvre et retient plusieurs choses : souffrir en accouchant n’est pas une fatalité ; c’est une chose induite par tout un conditionnement négatif lié à notre éducation, aux rumeurs, à la religion – « Tu enfanteras dans la douleur » – le reconditionnement positif atténue cette douleur, par un accompagnement des femmes avant et pendant l’accouchement.
Cette méthode va complètement bouleverser l’histoire de l’accouchement en Occident. Willy Peers en sera l’un des pionniers en Belgique.


Cause commune n° 6 - juillet/août 2018