Proposer aux plus démunis des repas variés et multiethniques, élaborés par de grands chefs cuisiniers, c’est le pari de Label Gamelle.
Cette coopérative a ouvert en novembre 2020, à Montreuil, avec pour credo « Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit mal manger ! ». À l’initiative, Christine Merckelbagh et Vincent Dautry. Ancienne cadre dirigeante dans les assurances, titulaire d’un magistère d’économiste statisticien, Christine décide de tout plaquer à la quarantaine, en 2015, pour préparer... un CAP de cuisine à l’école Ferrandi. « J’avais envie de faire quelque chose de mes mains, de revenir à quelque chose de plus concret, plus humain, utile », dit-elle. Son CAP en poche, et forte de ses compétences en économie et en gestion, elle prend la direction, l’année suivante, d’un restaurant associatif implanté dans un foyer de travailleurs maliens, à Montreuil, où elle vit. C’est là que lui vient l’idée de Label Gamelle. Elle raconte : « Nous étions souvent sollicités par des centres d’hébergement d’urgence (CHU), confrontés à la double problématique de la qualité des repas et du gâchis. J’ai réalisé que les personnes dans la plus grande précarité n’avaient droit qu’à une cuisine industrielle, sans goût, ni saveur. Or la nourriture est aussi un vecteur de dignité humaine. »
« Ce que nous faisons n’est peut-être qu’une goutte d’eau, mais cela peut devenir un modèle de cercle vertueux. »
Un statut coopératif
Pendant près de deux ans, Christine peaufine son projet. Ce sera une entreprise d’insertion, au statut coopératif (société coopérative et participative, SCOP). Et elle embarque dans l’aventure son ancien professeur à l’école Ferrandi, Vincent Dautry, quadragénaire bouillonnant. « Je n’ai pas hésité une seconde, raconte-t-il. Proposer une cuisine de qualité à des personnes fragiles et précaires, ça résonne avec mon histoire personnelle. J’ai été élevé par ma marraine. C’est elle qui a voulu que je sois cuisinier. Elle m’avait dit : au moins, tu mangeras tous les jours à ta faim. » Apprenti à 15 ans, Vincent Dautry a gravi tous les échelons, CAP, BTS restauration, master 2, puis concours d’accès au corps des professeurs de lycée professionnel. Il a officié, en tant que chef cuisinier, dans des palaces et des restaurants étoilés : Lasserre, Le Taillevent, George V, Apicius… Avant de devenir enseignant à Ferrandi. « J’ai la passion de la pédagogie, sourit-il. J’ai aussi à cœur de transmettre avec bienveillance, car ce n’est pas toujours le cas dans l’univers de la restauration. » Ensemble, dès le départ, ils agrègent les énergies et rassemblent. Soutenus par la municipalité de Montreuil, ils choisissent de s’installer à Mozinor, célèbre hôtel industriel géré par la société d’économie mixte Semimo. Le local est spacieux (600 mètres carrés environ) et pratique, mais il est vide. Plus de six mois seront nécessaires pour l’aménager, début 2020, en pleine crise de covid-19. D’un montant d’un million d’euros environ, les travaux sont en partie financés par le département de la Seine-Saint-Denis, l’Etat et la région Ile-de-France et des partenaires privés Ag2r La Mondiale, Klesia. Ils comprennent, outre la cuisine et les chambres froides, la construction de vestiaires spacieux, de bureaux et d’une salle de réunion.
« La vie n’est pas facile en CHU, il y a souvent une grande promiscuité, la cuisine de Label Gamelle offre un vrai réconfort aux personnes hébergées, par sa qualité, ses saveurs épicées, sa diversité. »
Un écosystème favorable, « social et solidaire »
Les débuts ne sont pourtant pas tout cuits. L’un des gros clients potentiels, qui s’était engagé sur cinq cent cinquante repas par jour, à destination de plusieurs centres d’hébergement d’urgence, fait faux bond. Label Gamelle encaisse. La coopérative emploie alors cinq personnes, ses cofondateurs, le livreur et deux personnes en contrat d’insertion. Des contrats d’une durée maximale de deux ans, et subventionnés à hauteur de 56 % par l’État. Dans les cuisines, Vincent Dautry multiplie les inventions et diversifie les menus. Il revisite aussi des plats orientaux et africains, couscous, mafé, thiéboudiène... Toujours à partir de produits simples, légumes frais, herbes aromatiques, épices, etc. Les coûts de revient sont serrés, tout comme le prix des repas à la vente, à moins de 5 euros. La concurrence est rude : les centres d’hébergement d’urgence attirent les mastodontes de la restauration collective, avec un marché de dizaines de milliers de repas quotidiens. Par ailleurs, les associations qui gèrent les centres disposent seulement d’une trentaine d’euros par jour et par personne (alloués par l’État) pour l’hébergement, l’insertion et, le plus souvent, les repas. Dans la difficulté des premiers jours, cependant, l’existence d’un écosystème favorable, « social et solidaire », à Montreuil et en Seine-Saint-Denis particulièrement, a bénéficié à la coopérative. Sans parler des recettes savoureuses du chef. Résultat : après dix mois de fonctionnement, environ sept cents repas sont désormais confectionnés chaque jour, à destination notamment de l’association Abri-La Main tendue qui gère des centres d’hébergement dans le 93 et de la Fondation de l’Armée du salut.
« La nourriture est aussi un vecteur de dignité humaine. »
Des contrats d’insertion pour rebondir
« La vie n’est pas facile en CHU, il y a souvent une grande promiscuité, la cuisine de Label Gamelle offre un vrai réconfort aux personnes hébergées, par sa qualité, ses saveurs épicées, sa diversité. Ce qui nous a plu aussi, c’est la dimension sociale, avec le volet de l’insertion », témoigne Gérard Barbier, directeur général du groupement Abri-La Main tendue. Label Gamelle a également diversifié sa clientèle (en cuisinant, par exemple, pour quelques-unes des cinquante entreprises présentes à Mozinor) et développe une activité de traiteur, qui connaît un succès grandissant grâce au savoir-faire de Vincent Dautry. Début juillet, la coopérative employait quatorze personnes, dont dix en contrat d’insertion. La plupart vivent en centre d’hébergement. L’objectif de Label Gamelle étant de les aider à trouver un emploi et un logement pérennes, à travers un accompagnement personnalisé : cours de français (donné à moitié sur le temps de travail), aide administrative, etc. « Il y a des profils très différents, des réfugiés diplômés mais non francophones, d’autres qui ont quitté l’école très tôt et ne savent ni lire, ni écrire », raconte Christine Merckelbagh. Depuis l’ouverture, quatre employés en insertion ont rebondi vers d’autres horizons. C’est le cas de Samer, jeune Syrien, ingénieur en domotique, qui a décroché un emploi dans sa spécialité, après six mois à Label Gamelle où il a perfectionné son français. Ou encore d’Émeline, Ivoirienne, qui vient d’être admise en CAP à l’école Ferrandi, et rêve d’ouvrir, plus tard, un restaurant (leurs témoignages sont à retrouver sur le site internet de l’entreprise. Et Christine Merckelbagh de conclure : « Ce que nous faisons n’est peut-être qu’une goutte d’eau, mais cela peut devenir un modèle de cercle vertueux. »
Jean-François Monthel est journaliste au Montreuillois.
Pour tout savoir sur Label Gamelle : labelgamelle.fr
Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021