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Un objectif à atteindre en réorientant les cultures vers la consommation locale, en valorisant des pratiques traditionnelles tant en matière de culture qu’en manière de s’alimenter.

L’objectif affiché par Emmanuel Macron lors de sa visite à La Réunion en 2019 est ambitieux : l’autonomie alimentaire des départements d’Outre-mer (DOM). Atteindre cet objectif est plus compliqué qu’il n’y paraît dans des départements climatiquement, agronomiquement et culturellement très différents de la métropole. Julien Denormandie et Sébastien Lecornu ont lancé une énième concertation d’acteurs, le 6 novembre 2020, intitulée le « comité interministériel pour la transformation de l’agriculture de l’Outre-mer ». Pourtant, en cette fin de quinquennat, on peine à croire que la principale politique publique agricole pour les DOM, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), sera substantiellement modifiée.
Le maintien du budget de cette enveloppe, déclinaison de la politique agricole commune dans les DOM, a été arraché de haute lutte à la suite d’une mobilisation conjointe des gouvernements concernés (Espagne, Portugal, France) et de parlementaires européens particulièrement actifs sur le sujet, comme l’eurodéputé réunionnais de la France insoumise, Younous Omarjee. Cependant, pour atteindre l’autonomie alimentaire, il faut nécessairement que sa répartition soit envisagée différemment. Aujourd’hui, sur les 318,21 millions d’euros du POSEI français, 64 % sont absorbés par deux cultures d’exportation : la banane et la canne à sucre.

34 % des surfaces agricoles dédiées à des cultures d’exportation
Les paysans dans les DOM représentent environ 5 % des actifs agricoles non salariés à l’échelle nationale, ce qui est plus important que le poids démographique des DOM à l’échelle nationale (2,9 %). La taille des fermes est moins importante qu’en métropole et le degré de spécialisation de ces dernières est très variable, mais environ 34 % des surfaces agricoles sont dédiées à des cultures d’exportation. On estime que 80 % de l’alimentation dans les DOM sont importés. Cependant, ce chiffre cache de fortes disparités. Par exemple, à La Réunion, 70 % des produits frais sont produits localement ; à Mayotte l’ensemble des bananes (aliment de base du régime mahorais, il ne s’agit pas d’une culture d’exportation) est produit et consommé sur place. Du côté des productions animales, la situation est plus complexe : par exemple la filière œuf est très développée dans les DOM, mais elle repose essentiellement sur l’importation de poussins et d’aliments de métropole, abondamment subventionnés par le POSEI.

Valoriser les jardins créoles ou les jardins mahorais
L’autonomie alimentaire ne peut se réfléchir sans poser la question du régime alimentaire. Une étude menée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) pour le compte du ministère de la Santé en 2019, mettait en avant une prévalence importante du diabète, de l’obésité et du surpoids dans les DOM. L’étude montrait également une « transition alimentaire aussi rapide que profonde ». On peut également ajouter que la consommation d’alcool n’arrange rien. L’introduction d’aliments frits, gras, et l’importation de produits trop sucrés sont souvent pointées du doigt. Plusieurs programmes, portés par les agences régionales de santé (ARS), s’attachent à valoriser les recettes et repas traditionnels. Avec l’émergence des serres photovoltaïques, on assiste au développement de cultures maraîchères intensives. Ce mode de production permettra sans doute de répondre à la demande en produits frais mais sera gourmand en intrants et en produits phytosanitaires. Le maraîchage en zone tropicale est très technique et est soumis à une forte pression des ravageurs.

« Plusieurs programmes, portés par les agences régionales de santé, s’attachent à valoriser
les recettes et repas traditionnels. »

Il reste également beaucoup à faire pour mieux valoriser les systèmes agronomiques agroforestiers pluri-étagés en zone tropicale, plus communément appelé « jardins créoles » ou « jardins mahorais », il s’agit de systèmes agronomiques très diversifiés, peu consommateurs d’intrants et intéressants. Cependant, comme les filières n’ont jamais été organisées autour de ce système agronomique, ils n’ont jamais été mis en valeur par les politiques publiques. On commence timidement à envisager une mesure agroenvironnementale (MAE) pour encourager ce système de culture, qui a tout son intérêt écologique.
Pour atteindre l’autonomie alimentaire, les départements d’outre-mer n’ont pas d’autre choix que de raisonner à travers une politique publique de l’alimentation, qui oriente directement les politiques publiques agricoles. Encore faut-il que cette dernière prenne en compte les aspects écologiques, sanitaires et qualitatifs. n

Maxime Bergonso est ingénieur agronome. Il vit et travaille à Mayotte.

Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021