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Faut-il voir en La République en marche le modèle de l’organisation politique moderne ? Ou plutôt l’aboutissement des contradictions qui traversent les partis du « vieux monde », comme les appelle Emmanuel Macron ?

Créé en avril 2016, le parti En marche (EM), reprenant les initiales de son fondateur Emmanuel Macron, préfère se présenter comme un « mouvement » en phase avec son temps, alliant souplesse et pragmatisme, dans l’organisation comme dans les idées. Et de fait, les commentateurs n’ont eu de cesse de mettre en avant son « succès » exceptionnel, caractérisé non seulement par ses victoires électorales présidentielles et législatives, mais aussi sa force d’attraction, avec non seulement le débauchage des cadres des partis voisins, du PS aux Républicains, sans lequel le nouveau président aurait été bien en mal de former un gouvernement, mais aussi la revendication de quel­que trois cent quatre-vingt dix mille adhérentes et adhérents, un nombre ayant de quoi faire pâlir les autres formations de l’échiquier politique hexagonal. Faut-il donc voir en La République en marche le modèle de l’organisation politique moderne ? Ou plutôt l’aboutissement des contradictions qui traversent les partis du « vieux monde », comme les appelle Emmanuel Macron ? C’est plutôt cette thèse qui sera défendue ici, sans nier le fait que les élections de mai et juin 2017 ont effectivement marqué le début d’une restructuration profonde du système partisan français, c’est-à-dire de l’ensemble des interdépendances qui relient les organisations partisanes dans un pays donné, compte tenu notamment des règles du jeu formelles et informelles du champ politique.

Le militantisme à LREM
À regarder tout d’abord le militantisme à LREM, rien de très original : un maillage territorial serré avec plus de quatre mille comités locaux affichés, en France mais aussi à l’étranger. On préfère parler de « marcheurs » plutôt que de militants. Pour le devenir, « c’est facile, gratuit, trois minutes suffiront », comme l’affiche fièrement le site de la formation : plus besoin de s’embarrasser à rencontrer des vrais militants et militantes. Quant aux finances du parti, elles sont assurées au départ par l’agrégation de microdons ponctuels, et désormais par les importantes subventions publiques proportionnelles au nombre de voix et d’élus lors des élections législatives. Pas de cellules, sections ou fédérations qui sonnent sans doute trop « ancien monde », à chacun et chacune de se greffer si on en a l’envie et le temps, à l’un des dizaines de milliers « d’événements » que l’on peut connaître en quelques clics là encore via Internet : réunions-débats, porte-à-porte ou diffusion de tracts sur des points fixes, rebaptisés « kiosques » pour faire nouveau (ou prendre la place des marchands de journaux ?). Seuls des « référents » ont en charge d’« animer » les comités locaux au niveau départemental, le tout étant coiffé par un « bureau exécutif » de trente membres à la tête duquel trône le « délégué général », dont le titre est en soi significatif si l’on s’interroge sur l’identité de son délégataire.

« LREM s’assimile moins à un mouvement social qu’à un « parti-entreprise » où règne le pragmatisme, la flexibilité et une grande souplesse idéologique permettant de séduire en premier lieu les classes supérieures libérales. »

Un fonctionnement vertical et un gouvernement d’élites
Car si à LREM on fustige la structure verticale des « vieux » partis, force est de constater que la jeune formation macroniste dépasse en réalité largement ses aînés en la matière. Point d’échelons intermédiaires comme on l’a vu. Mais aussi point de délibérations en interne, tout se fait au sommet. En témoigne l’élection édifiante – ou plus exactement la nomination – de Christophe Castaner, le 18 novembre dernier, comme « délégué général » lors du congrès du « mouvement » à Lyon. La formation macroniste ne s’est en effet même pas donné la peine de mettre les formes de la démocratie interne à cette occasion. Seul candidat, directement désigné par le président de la République, le ministre a été élu par un collège formé uniquement d’élus et de cadres de LREM auxquels ont été adjoints deux cents adhérents de la base « tirés au sort ». Quelques jours plus tôt, une centaine de « marcheurs » en colère avaient ainsi démissionné avec fracas, publiant une tribune dans la presse où ils dénonçaient « le choix d’un fonctionnement vertical et d’une gouvernance d’élites », des comités locaux vidés de leurs adhérents sitôt la campagne terminée et de nouveaux statuts qui « ne permettent ni la liberté d’opinion et d’expression, ni une critique interne du pouvoir contre ses propres abus ». On l’aura compris, LREM s’assimile moins à un mouvement social qu’à un « parti-entreprise » où règne le pragmatisme, la flexibilité et une grande souplesse idéologique permettant de séduire en premier lieu les classes supérieures libérales, tant sur le plan économique que culturel. LREM signe en cela une évolution entamée par les autres partis, PS et LR en tête, qui, pour attirer les mêmes franges éloignées des organisations militantes traditionnelles, ont non seulement assoupli leur ligne, mais aussi ouvert leurs rangs avec des adhésions à quelques euros et l’organisation de primaires ouvertes aux sympathisants, privant, mais cette fois en les diluant, les militants investis d’une de leurs prérogatives essentielles : sélectionner leurs représentants. Ces facteurs ajoutés à la personnalisation croissante du jeu politique encouragée par un traitement people de ce champ par les média, tendant à faire oublier l’importance des collectifs, et à une professionnalisation accrue de l’activité politique compte tenu de la complexification croissante du travail et des enjeux traités, et le « sacre » de Macron et de son « mouvement » apparaissent moins surprenants. Reste qu’en l’absence d’une base militante solide, ces mouvements pourraient paradoxalement se révéler aussi fugaces que leur ascension, comme un contrecoup logique de l’apologie du changement et de la flexibilité. Si rien n’est écrit, la vraie question consiste à savoir quel sera le système partisan après cette déflagration bien réelle. 

Igor Martinache est docteur en science politique. Il est membre du comité de rédaction de Cause commune.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018