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Une évolution de la prise en charge liée à l’augmentation massive du nombre de chômeurs.

Penser le travail et ses mutations aux XIXe et XXe siècles, c’est indubitablement s’interroger aussi sur les conditions de l’absence de travail, puis sur les objectifs et les modalités de sa prise en charge. Tout comme le rapport au travail, le rapport au non-travail détermine un positionnement social qui se mue rapidement, après 1848 et l’acquisition du suffrage universel masculin, en orientation politique déterminante. Dans un département aux caractéristiques aussi affirmées que le Nord, la question de l’indemnisation du chômage soulève donc des problèmes intimement liés à la structuration politique des masses ouvrières, mais aussi au rapport à la culture du travail elle-même.
La pénurie de travail n’est en rien une expérience nouvelle au XIXe siècle. Elle s’inscrit dans une normalité liée au rythme des affaires et à celui des saisons à laquelle les ouvriers et ouvrières protoindustriels se sont adaptés. Ils ont adopté des habitudes de prévoyance qui leur permettent de faire face à des périodes récurrentes et prévisibles de fluctuations du travail.

« L’indemnisation, dont les travailleurs mesurent pleinement qu’elle n’est qu’un pis-aller, n’apparaît jamais comme une revendication en soi. C’est le travail, vécu comme porteur de dignité face à l’oisiveté bourgeoise, qui y est revendiqué. »

Le chômage, une « maladie sociale »
Cependant, vers la fin du XIXe siècle, avec l’entrée massive des travailleurs en prolétarisation au sein de la grande industrie, le chômage change considérablement de nature en échappant aux prévisibilités antérieures et, surtout, en devenant durable. Il s’impose donc, selon l’expression de Christian Topalov, comme une « maladie sociale » contre laquelle il importe de prémunir la société. (Christian Topalov, Naissance du chômeur 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994). C’est la naissance d’une logique de catégorisation dans laquelle s’inscrit la République et qui distingue le chômeur en quête de travail, qu’il convient de secourir, du mendiant « de profession » qu’il faut réprimer.
Mais la question de l’indemnisation du chômage est encore loin d’être tranchée. Si, dans un premier temps, elle relève uniquement de la bienfaisance privée et des politiques locales, la nécessité d’une intervention étatique se fait rapidement jour. Celle-ci va d’abord tenter de prendre appui sur le relais des syndicats dont l’État, en leur octroyant une reconnaissance légale par la loi du 21 mars 1884, attend en retour une certaine forme de discipline et la prise en charge du risque chômage par l’organisation de caisses de secours mutuel. Cet espoir, dénoncé notamment par Jules Guesde, est rapidement déçu. Finalement, après des années de tâtonnements peu probants, ce n’est que le 20 août 1914 qu’est mis en place un fonds national de chômage qui n’est encore lié qu’aux circonstances exceptionnelles de la guerre.

De la bienfaisance privée à l’indemnisation
Durant l’entre-deux-guerres, les syndicats jusqu’alors peu prompts à s’engager dans la défense des sans-travail, vont prendre conscience que le chômage, du fait de sa massivité, peut à tout moment frapper chaque travailleur. Des comités aux ambitions politiques à peine voilées vont ainsi se constituer en lien direct avec la CGTU communiste, la CGT proche de la SFIO ou les milieux liés au catholicisme social. S’opposant parfois de manière assez véhémente, en particulier dans le bassin lillois, ils finissent par trouver un terrain d’entente et par mener des actions communes dans lesquelles on peut aisément voir les linéaments du Front Populaire. Puis ils s’effacent progressivement durant la seconde moitié de la décennie 1930. Si leur engagement est parfois caritatif, ces divers comités ne cessent néanmoins de réclamer avant tout le droit pour chacun de vivre de son travail.
Si le chômage est le mal endémique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, c’est avant tout car les masses laborieuses du Nord ne se définissent que par leur travail. L’indemnisation, dont les travailleurs mesurent pleinement qu’elle n’est qu’un pis-aller, n’y apparaît jamais comme une revendication en soi. Bien au contraire, c’est le travail, vécu comme porteur de dignité face à l’oisiveté bourgeoise, qui y est revendiqué.

Marc Leleux est historien. Il est chercheur associé à l’Institut de recherches historiques du Septentrion (Lille).

Cause commune32 • janvier/février 2023