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La présidence française du conseil de l’Union européenne a été présentée lors de son lancement en janvier sous la forme d’un joli paquet cadeau orné d’une devise pompeuse. Alors qu’elle s’est achevée le 30 juin dernier, il est temps d’en dresser le bilan.

En un mot, on peut dire que la présidence française est l’exacte révélatrice des contradictions qui traversent désormais l’UE, bousculée par la guerre, les crises internationales, climatique et énergétique, et par les conséquences sociales de la pandémie. Elle est tout autant le miroir des efforts que sont contraintes de faire les classes dirigeantes, percutées par des crises de régime dans plusieurs pays européens, pour essayer de relégitimer un projet européen qui était en panne, tout en restant dans les limites imposées par la nature libérale de l’UE. L’ampleur de la crise est telle que même l’ultralibéral et austéritaire semestre européen en vient à encourager les financements publics (mais dans un cadre de partenariat avec le privé, rassurons-nous).

Des contradictions révélatrices
La première des contradictions concerne la guerre et la sécurité internationale. Emmanuel Macron a beaucoup parlé d’« autonomie stratégique ». Mais la « boussole stratégique » adoptée par le conseil européen en mars dernier ne va pas dans ce sens. Le renforcement de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) et le regain d’influence et de présence des États-Unis, soutenus par un certain nombre de gouvernements d’Europe de l’Est, sont totalement contradictoires avec ce discours. La « boussole stratégique » s’inscrit dans l’exacerbation de la logique de blocs. Elle illustre l’impuissance de l’UE à tenir toute position « autonome », qui lui permettrait par exemple de se poser en puissance médiatrice dans la guerre en Ukraine. De ce fait, ni l’UE ni aucun gouvernement européen, à l’exception de l’Italie, n’ont pris la moindre initiative politique pour essayer de mettre fin au conflit. Au contraire, l’Union européenne mène une politique qui revient à ajouter de la guerre à la guerre, en renforçant le fonds de « facilité européenne pour la paix », qui en réalité finance la course aux armements. Un nouveau terme est d’ailleurs apparu en russe, utilisé tant en Russie qu’en Ukraine : makronovat, « faire le Macron », qui signifie parler beaucoup et agir peu.
La seconde des contradictions concerne la question sociale. L’accord trouvé sur les salaires minimums entre le conseil européen et le parlement européen le 7 juin est une avancée. À terme, il pourrait sortir plusieurs dizaines de millions de travailleurs de la grande pauvreté. Mais il s’agit d’une avancée sur le papier qui en réalité n’engage à rien. Il n’y a pas de critère commun définissant un salaire minimum en Europe, à l’image de ce que le PCF et d’autres proposent : prendre le mieux-disant social en Europe, à savoir la décision du gouvernement espagnol décidant de le porter à 60% du salaire moyen, et non médian, ce qui représenterait en France 1900 euros bruts mensuels. L’UE reste à la traîne des augmentations des salaires minimums en Europe, à l’exemple de l’Allemagne qui le porte à 12 euros bruts de l’heure le 1er octobre prochain. Le salaire minimum allemand sera donc supérieur au SMIC français. Bien évidemment, Macron n’a rien fait en Europe qui puisse le contraindre à augmenter le SMIC en France.
La troisième des contradictions concerne la question numérique. Les accords DMA (Digital Market Acts) et DSA (Digital Services Act) permettent des avancées dans la lutte contre les contenus illégaux et contre la toute-puissance des Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (GAFAM). Mais, pour l’UE, la lutte contre les GAFAM se fait au nom du respect de la concurrence, selon sa conception somme toute traditionnelle proche de la législation anti-trust adoptée aux États-Unis à la fin du XIXe siècle pour maintenir un capitalisme concurrentiel. Nous sommes donc très loin de filières numériques européennes publiques. 

« Le 1er octobre prochain, le salaire minimum allemand sera supérieur au SMIC français. Bien évidemment, Emmanuel Macron n’a rien fait en Europe qui puisse le contraindre à augmenter le SMIC en France. »

La quatrième des contradictions concerne la question écologique. Si le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières va dans le bon sens, l’UE reste loin d’une véritable transition écologique financée. Or il y a plus qu’urgence ! Le « plan vert » de la commission européenne fixe à 55% l’objectif de baisse d’émissions de carbone d’ici 2030, ce qui est insuffisant et qui laisse surtout entière la question de l’investissement et du financement de la transition écologique, et la mise au service de cet objectif de la création monétaire de la Banque centrale européenne. Comme Fabien Roussel l’a rappelé pendant la campagne présidentielle, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) chiffre à 6 % du PIB les investissements nécessaires, c’est-à-dire à 900 milliards d’euros par an à l’échelle européenne. Cela implique de rompre définitivement avec les règles budgétaires, mais cela, évidemment, reste impossible pour Macron. En outre, quelle est la réalité de ces engagements écologiques alors que la présidence française a continué à signer des accords de libre-échange, le dernier en date avec la Nouvelle-Zélande, allant à l’encontre d’un développement social et écologique partagé ?
La cinquième contradiction est énergétique. Le 13 mai, l’Espagne et le Portugal ont décroché du marché européen. Ils instaurent un système tarifaire propre qui plafonne les prix du gaz. Le gouvernement espagnol prévoit une réduction de la facture de 30 %. Cette mesure montre bien que les règles européennes sont incapables de lutter efficacement contre l’inflation. Où sont les initiatives du gouvernement français pour le pouvoir d’achat et pour faire baisser le coût de l’énergie ?
La sixième contradiction est démocratique. Les règles budgétaires ont été suspendues jusqu’en 2023, du fait de la pandémie, puis de la guerre. Cela montre que les bourgeoisies européennes sont incapables de les rétablir, pour l’instant. La Première ministre élisabeth Borne a déclaré que le rétablissement du carcan budgétaire austéritaire reste un objectif. En outre, Emmanuel Macron a annoncé une révision des traités. Mais treize États européens s’y opposent. Nous nous sommes toujours opposés à la construction capitaliste de l’UE et, par conséquent, aux traités européens libéraux. Donc, évidemment, ouvrons le débat sur le contenu des traités ! Mais en quoi consiste la proposition de Macron ? Lever la règle d’unanimité en matière de politique étrangère et de défense ? Cela menacerait la capacité de la France de développer une politique indépendante. Par ailleurs, la reconnaissance du statut de candidat à l’adhésion à l’UE a été reconnue à l’Ukraine et à la Moldavie, mais rejetée pour la Géorgie, alors que le sommet UE-Balkans occidentaux s’est terminé dans le fossé. Quel est le sens de cet élargissement quand les inégalités entre pays et régions d’Europe s’exacerbent du fait des règles du marché unique ? Il faut initier une autre construction européenne avant d’élargir.

Initier une autre construction européenne rompant avec les bases libérales de l’UE
En résumé, la présidence française a confirmé les contradictions à l’œuvre au sein de l’UE et des classes dirigeantes européennes, qui sont à la recherche d’une voie de sortie de crise à leur profit. Mais, également, elle montre que ces contradictions butent sur la nature libérale de la construction européenne qui demeure intacte. Ouvrons un large débat sur la manière d’initier une autre construction européenne rompant avec les bases libérales de l’UE, pour l’alignement des droits sociaux et démocratiques vers le haut, pour une véritable sécurité collective et humaine à l’échelle paneuropéenne et pour le respect de la souveraineté des peuples et des nations comme outil de sortie de la profonde crise démocratique qui traverse le continent. La perspective des élections européennes de juin 2024 en est l’occasion, avec l’ambition, en ce qui concerne le PCF, de regagner une présence au parlement européen.

Cause commune30 • septembre/octobre 2022