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Si l’idée de préférence locale comporte des risques dès lors qu’elle est interprétée en un sens exclusivement ethnique, elle n’est pas nécessairement opposée à l’universalisme républicain. Elle peut même, à certaines conditions, en constituer un prolongement.

La préférence locale dérange. Pour les uns, elle ferait écho à la préférence nationale. Mesure autarcique à caractère xénophobe, elle s’inscrirait en rupture de la mondialisation et des principes de libre-circulation. Pour d’autres encore, la préférence locale serait une discrimination positive d’ordre ethnique contraire aux principes républicains d’égalité et d’indivisibilité. Les arguments ne manquent pas pour dénoncer une règle dont il est dit qu’elle ne pourrait avoir droit de cité en France. Pourtant, la préférence locale n’est pas nécessairement contraire à l’universalisme républicain dès lors qu’on la ramène à ce qu’elle est vraiment et non pas aux mythes qu’elle véhicule.

Préférence locale et préférence ethnique
La préférence locale n’est pas qu’une préférence ethnique. Ce biais conceptuel trouve son origine dans la politique de décolonisation menée sous la IVe République. Nombre de mesures avaient été édictées en vue d’ultramariner les emplois locaux afin de permettre aux indigènes de s’administrer eux-mêmes. En ce sens, la préférence locale se rapprochait de l’affirmative action.
Les révisions constitutionnelles de 1998 et de 2003 ont permis de neutraliser cette dimension correctrice et ethnique de la préférence locale. Il s’est alors agi de lutter contre le chômage structurel local. Même en Nouvelle-Calédonie, là où l’on pourrait peut-être le plus en douter, la préférence locale s’inscrit dans la logique compensatrice de la discrimination positive à la française. Elle est une forme singulière de discrimination positive territoriale.

« La préférence locale est une mesure différencialiste qui peut s’inscrire dans le prolongement de l’universalisme républicain dès lors que celui-ci peine à atteindre l’homogénéité territoriale promise. »

Singulière, car la préférence locale est moins qu’une préférence ethnique, mais plus qu’une simple préférence territoriale. Pour en bénéficier, l’individu doit justifier d’un lien particulier avec le territoire support de la règle de faveur. La logique catégorielle qui commande le différencialisme à la française permet à la préférence locale de reposer sur des critères liés au centre des intérêts matériels et moraux ou à l’antériorité de la résidence des individus. Les principes d’égalité et d’indivisibilité de la République ne les condamnent en rien.

Préférence locale et protectionnisme
La préférence locale n’est pas qu’une mesure protectionniste. Elle vise notamment à compenser certains handicaps territoriaux au nom de l’égalité réelle. Le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne, que l’on ne saurait suspecter de complicité à l’égard du localisme, reconnaissent la légitimité de tels motifs de différenciation dès lors que la préférence locale vise à compenser des formes territorialisées de précarité sociale en matière d’accès au logement, par exemple. En matière d’accès à la commande publique, ces mêmes critères sociaux peuvent justifier les clauses d’emplois locaux. Dans une perspective environnementale, la proximité géographique est légitime dans le but de favoriser les circuits courts. Enfin, pour l’accès aux emplois, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, la mesure de faveur n’a pas été conçue comme une mesure de favoritisme. Sa mise en œuvre a conduit au renforcement des principes républicains. Ainsi, la préférence locale pour l’accès aux emplois privés ne vaut qu’à compétences égales alors que le Code du travail ne soumet pas le recrutement à l’égalité méritocratique.

Dans le prolongement de l’universalisme républicain
En somme, la préférence locale est une mesure différencialiste qui peut s’inscrire dans le prolongement de l’universalisme républicain dès lors que celui-ci peine à atteindre l’homogénéité territoriale promise. Elle prétend réaliser, au niveau local, le principe de solidarité en prônant le développement endogène des territoires. La préférence locale s’analyse comme une mesure de protection socio-économique, se réalisant par un régime explicite de faveur, qui a pour support un territoire envers lequel les bénéficiaires, expressément identifiés selon leur ancrage territorial, s’estiment liés par une identité locale commune.

« La préférence locale est moins qu’une préférence ethnique, mais plus qu’une simple préférence territoriale. »

La préférence locale crispe. Mais, elle fascine aussi. S’inscrivant aux confins de l’universalisme à la française, elle ne prétend pas toujours aller au-delà. Objet de rejets, la préférence locale revêt une dimension identitaire et protectionniste incontestable que la République universaliste a su neutraliser. Objet de revendications, elle entend compenser les inégalités et les discontinuités territoriales qui forcent l’individu, à son corps défendant, à se déraciner.
Alors que l’esprit girondin, comme renaissant de ses cendres, susurre aux oreilles de la République jacobine l’enivrante mélodie de la différenciation territoriale, la préférence locale fait toujours figure de fausse note. Le bon grain de l’ivraie séparé, n’est-il pas temps, désormais, de permettre à l’homme situé territorialement de retrouver sa place dans le jardin universaliste à la française ?

Mathieu Carniama est juriste. Il est docteur en droit public de l’université de la Réunion.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023