La révolution, conçue comme une transformation radicale de l’ordre existant pour tendre vers l’émancipation humaine, exige un combat sur tous les fronts pour se défaire de toutes les dominations.
Y a-t-il de la place pour un révolutionnaire au parlement ? La révolution peut-elle se faire au parlement ? Des questions avec une barbe de deux ou trois cents ans. Mais, en ces temps d’exacerbation des contradictions, de radicalisations identitaires, de violences au cœur des tensions, d’antiparlementarisme fashion, ce n’est sûrement pas un questionnement périmé. Cela nous invite à nous interroger sur ce qu’on entend par révolution. Certainement pas un retour au point de départ ! La révolution telle que je l’entends, c’est une transformation radicale de l’ordre existant pour tendre vers l’émancipation humaine. Cela suppose de se défaire de toutes les dominations. Et sans ambages, je crois que ce combat doit se mener partout. Donc que le parlement ne doit pas y échapper. Et il le doit d’autant moins qu’il est censé être un lieu décisif du pouvoir. Mais je m’empresse d’ajouter qu’il n’y saurait suffire : d’évidence, la révolution ne peut être une prérogative des élus, si révolutionnaires soient-ils.
La prise du pouvoir et son exercice
La question posée est celle de la prise du pouvoir, mais aussi de son exercice. L’histoire nous fournit matière à de profondes méditations sur le sujet. La révolution, est-ce une question de forme ou une question de fond ? Je veux retenir la formule de Lucien Sève : « commencer par les fins ». Sans ignorer que les puissants n’ont pas l’intention de se laisser faire et qu’ils sont capables d’employer la manipulation et la force pour conserver leur domination, l’organisation sociale dont je rêve repose sur la démocratie, pour que chacune et chacun trouve et prenne sa place, au nom des mêmes valeurs qui ont présidé à la Révolution française.
« La révolution est un processus civilisant, dont nul n’ignore qu’elle n’ira pas sans résistances, mais si elle ne se pense pas, si elle ne se construit pas, si elle n’est pas la propriété des femmes et des hommes, producteurs-productrices et créateurs-créatrices, alors à quoi peut-elle servir ? »
On a longtemps opposé réforme et révolution, surtout sur cette question de la conquête du pouvoir, car il ne peut y avoir de révolution qui ne porte des réformes pour changer les choses. Il faut donc sortir de la vision binaire qui nous est servie par les médias eux-mêmes. Par exemple lorsqu’ils évoquent les syndicats réformistes (par opposition à ceux qui ne voudraient rien changer). De quelle réforme parle-t-on ? Depuis des décennies, la tendance est aux réformes qui défont les droits et organisent la régression sociale... Et les révolutionnaires ont trop souvent été pris au piège de cette rhétorique, passant du coup pour des conservateurs. En mettant de côté ces réformes réactionnaires, toute la question est de ne pas se contenter d’une action et d’une vision qui n’auraient pour effet que d’accompagner le mouvement et de rendre plus ou moins supportable un système de domination sans volonté de le mettre en cause. Toute la question est de ne pas s’imaginer en avant-garde éclairée qui ferait à la place, qui ferait pour, dans une vision paternaliste de la démocratie.
Une autre visée pour la société et pour l’humanité
Nous avons besoin de rendre crédible une autre visée pour la société et pour l’humanité. Nous avons besoin d’en dessiner les voies d’accès. Il ne peut y avoir de véritable changement, portant cette ambition majuscule d’émancipation humaine qui ne soit l’œuvre des femmes elles-mêmes et des hommes eux-mêmes. Il ne peut y avoir de révolution victorieuse et vertueuse sans conscience.
À l’Assemblée, il s’agit d’abord de combattre les mauvais coups du pouvoir allié aux puissances d’argent. Faire cela, c’est déjà mener la bataille des idées, dévoiler les intentions, les conceptions, les injustices. Mais pour que cela prenne force et ne pas se cantonner au rôle de contre-pouvoir, ce qui serait un renoncement, il faut porter une autre vision et être capable de la décliner en propositions qui rendent le rêve tangible.
Les députés communistes ont donc combattu la réforme macronienne des retraites avec d’autant plus de force qu’ils avaient déposé leur propre proposition de loi, dessinant de toutes autres perspectives. Et il en est de même sur notre système de santé, ou sur la sécurisation des parcours professionnels, par exemple. Il ne s’agit pas de réformes clefs en main, mais bien construites dans les luttes sociales et démocratiques, inscrites dans le moment et qui tendent à nous mettre sur la voie d’une transformation profonde des rapports sociaux. L’invention de la Sécurité sociale a injecté du communisme dans un écosystème capitaliste. Il ne s’agit donc pas de passer d’un coup de baguette magique d’un état A à un état B, mais bien d’un processus conscient d’appropriation sociale. Pour cela, il y a impérativement besoin que grandissent les luttes sociales, que s’expriment les revendications et les aspirations, qu’elles se conjuguent pour faire sens et enclencher un mouvement. Cela ne correspond pas à une incantation révolutionnaire dont l’intransigeance n’a d’égale que la vanité. Ne vaut-il pas mieux une construction révolutionnaire patiente mais possible ?
« Il ne s’agit pas de réformes clefs en main, mais bien construites dans les luttes sociales et démocratiques, inscrites dans le moment et qui tendent à nous mettre sur la voie d’une transformation profonde des rapports sociaux. »
Dans le moment où nous sommes, ce qui peut inquiéter, c’est cette idée bizarre selon laquelle les élus seraient simplement des cibles de pression, appelant l’action vigoureuse d’un lobby citoyen voguant de revendication en revendication. Quel renoncement ! Oui, il faut que le pouvoir soit enlevé des mains de la classe des grands propriétaires. Oui il faut que s’exerce la démocratie, le pouvoir du peuple. Oui, il faut imaginer une société capable de dépasser les contradictions dans un mouvement conscient. Si l’on ne veut pas d’un pouvoir personnel et autoritaire, il y a toujours besoin de délibération collective, d’un bouillonnement démocratique, d’enceintes, dans des institutions se fixant l’ambition d’une souveraineté populaire qui s’exprime à plein.
Nous avons bien besoin de révolution. Dans un monde dépouillé de sens, où tout est ramené à sa valeur marchande, où les égoïsmes prennent le pas sur le grand dessein de l’humanité, nous connaissons une régression de civilisation. Être révolutionnaire, c’est vouloir modifier profondément les rapports sociaux pour y faire grandir l’humain. La révolution est un processus civilisant, dont nul n’ignore qu’elle n’ira pas sans résistances, mais si elle ne se pense pas, si elle ne se construit pas, si elle n’est pas la propriété des femmes et des hommes, producteurs-productrices et créateurs-créatrices, alors à quoi peut-elle servir ? C’est à cela que peuvent s’employer des parlementaires : à faire grandir, à crédibiliser et demain à accoucher un grand changement.
Pierre Dharréville est député des Bouches-du-Rhône et membre du comité exécutif national du PCF.
Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020