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La méfiance du grand public à l’égard des vaccins pose aujourd’hui un vrai problème de santé publique. Les causes de cette méfiance sont connues et il existe des moyens d’agir.

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Les vaccins ont constitué une grande avancée dans la lutte contre les maladies infectieuses microbiennes ou virales. On cite toujours l’exemple de la variole qui a été complètement éradiquée. C’était une maladie mortelle ou gravement invalidante. Le vaccin était efficace mais il n’était pourtant pas sans risque puisque, dans un cas sur un million, il entraînait une variole avec soit de graves séquelles neurologiques, soit la mort par encéphalite. Pourtant ce risque était accepté car le rapport bénéfice/risque était très favorable. La variole était une maladie à contamination interhumaine spécifique terrifiante. Lorsque le dernier cas humain a été traité, l’Organisation mondiale de la santé a décidé après un temps de latence de sécurité d’arrêter la vaccination au niveau mondial. D’une certaine façon l’enjeu était collectif et non pas individuel ; c’était une mesure de santé publique obligatoire non soumise à l’appréciation individuelle. Il y avait une adhésion large des populations à cette mesure d’ordre public.

« Il faut sans cesse expliquer, convaincre. Et mettre en œuvre les moyens financiers et organisationnels. Dans ces conditions, l’obscurantisme reculera et la santé s’améliorera. »

Mesure de santé publique et appréciation individuelle
Aujourd’hui les choses sont différentes. L’adhésion individuelle aux campagnes de vaccination ne se fait pas facilement.
Il y a plusieurs raisons à cela :
• Le progrès médical a été tel que les gens ont perdu l’expérience de ces maladies transmissibles dans les pays développés et ils font moins le lien avec la prévention mise en place.
• L’individualisme s’est répandu dans la société et on ne comprend pas toujours que sa propre vaccination sert à protéger les autres. Pour qu’une population soit correctement protégée par la vaccination, il est communément admis par les statisticiens que 95 % des gens doivent être vaccinés. Cela empêche l’agent pathogène de se propager et ainsi les personnes qui n’auront pas été vaccinées seront, elles aussi, protégées. Il peut s’agir de personnes qui ont une contre-indication médicale justifiée ou d’un simple dysfonctionnement du système de santé. La vaccination n’est pas une simple protection individuelle. On le voit bien pour la vaccination antigrippe.

« On ne comprendpas toujours que sa propre vaccination sert à protéger les autres. »

• Des erreurs de communication ont joué un rôle aggravant. Par exemple, quand le ministre de la Santé, Bernard Kouchner, a arrêté la campagne de vaccination scolaire anti-hépatite B de l’ensemble des enfants parce que certains avançaient dans les média l’idée qu’il y avait un risque de développement de sclérose en plaques, la population en général, en vertu du principe de précaution, a préféré s’abstenir de vacciner les enfants contre l’hépatite B. Or cette hépatite est une maladie vraiment dangereuse. Les preuves scientifiques ont été apportées qu’il n’y avait aucun risque particulier lié à cette vaccination mais le doute était dans les têtes.
• L’attitude des laboratoires de production a joué un rôle négatif aussi. Ils sont totalement orientés vers le profit : c’est de plus en plus évident aux yeux de tous. Il s’ensuit là aussi un doute. Est-ce qu’on me vaccine pour mon bien ou pour le profit des multinationales du médicament ?
Y a-t-il un risque de compromission des décideurs publics ? Des affaires récentes sèment le
trouble.
• Enfin de nombreux groupes de pression réactionnaires, antiscientifiques sont à l’œuvre, en particulier sur Internet. Certains courants pseudo-écologistes se mobilisent. Ceci ajoute au désarroi de la population. Une campagne contre les sels d’aluminium présents dans les vaccins perdure ; pourtant l’ensemble des organisations de médecins (pédiatres, épidémiologistes, médecins de santé publique) se sont prononcées clairement sur ce sujet. Mais le bruit de fond de la crainte continue.

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Où en est-on aujourd’hui ?
Des maladies comme la rougeole ont fait leur réapparition avec des morts à la clé. Le dernier point de situation concernant la rougeole, qui vient d’être publié par Santé publique France, insiste sur l’existence de foyers épidémiques actifs. Depuis le 1er janvier 2019, deux cent quarante-quatre cas ont été recensés. Ils se situent en Savoie avec quarante-huit cas à Val Thorens et cinq dans les vallées voisines. Début février, l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes avait affirmé l’existence de dix-huit cas identifiés depuis janvier dans cette station de ski. Les autres foyers se situent en Haute-Garonne avec quinze cas dans une communauté de gens du voyage, à La Réunion avec trente-six cas déclarés depuis décembre 2018, et à Mayotte avec quatorze cas déclarés depuis le 1er janvier 2019. 91 % des cas déclarés sont survenus chez des personnes non ou mal vaccinées. 30 % des cas déclarés de rougeole ont donné lieu à une hospitalisation, dont quatre en réanimation.

« Il y a chaque année environ mille femmes qui meurent dans notre pays du cancer du col de l’utérus qui peut être évité. »

Concernant les méningites, on observe des cas sporadiques mais toujours graves. Lorsque cela arrive, les gens se font vacciner en masse du fait du risque de contagion de proximité (par exemple dans les collectivités scolaires : universités, écoles, etc.).

Le vaccin contre le cancer du col de l’utérus.
Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, le docteur Ghebreyesus, a appelé à agir pour éliminer le cancer du col de l’utérus. Dans la revue The Lancet Oncology, des chercheurs australiens ont fait des projections sur l’incidence de ce cancer à travers le monde, en fonction de différents scénarios de dépistage et de vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) responsable. Si rien de plus n’est fait, il y aura 44,4 millions de cancers du col de l’utérus dans le monde dans les cinquante prochaines années (2020-2069) et 15 millions de décès dans les pays en développement ou émergents. En revanche, la situation serait bien différente dans le scénario le plus optimiste, avec un dépistage et une vaccination pour tous. Cette projection se base sur une augmentation très rapide de la couverture vaccinale, qui atteindrait 80-100 % d’ici à 2020 avec le vaccin large spectre. Dans ce cas de figure, le cancer du col de l’utérus pourrait être éliminé dans le monde d’ici à la fin du siècle. Pour les pays en développement, le large déploiement d’un dépistage basé sur le test HPV, deux fois dans la vie à l’âge de 35 et 45 ans, avec une couverture de 70 % permettrait d’éviter de 12,5 à 13,4 millions de cas dans les cinquante prochaines années. Le taux de couverture vaccinale de la France est aujourd’hui l’un des plus bas en Europe (moins de 20 % de la population cible). Cette question est connue depuis plus de dix ans en France, mais les gouvernements successifs n’ont rien fait : la raison est financière (de l’ordre de 140 € par dose). Il y a chaque année environ mille femmes qui meurent dans notre pays de ce cancer qui peut être évité. On laisse la charge à la famille. C’est scandaleux. Une réforme publique de fixation du prix des médicaments devient là aussi urgente.
Il faut sans cesse expliquer, convaincre. Et mettre en œuvre les moyens financiers et organisationnels. Dans ces conditions, l’obscurantisme reculera et la santé s’améliorera.

Michel Limousin est médecin généraliste. Il est membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri.

Cause commune n° 11 • mai/juin 2019