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La construction progressive d’un rassemblement progressiste au fil des mandatures.

C’est en 1989 qu’eut lieu une rupture au sein du « groupe communiste » au parlement européen. Les vingt-cinq communistes italiens, auxquels s’associèrent l’unique communiste espagnol ainsi que l’élu grec de Synaspismos et l’élu danois du Parti socialiste populaire (PSP), choisirent de constituer leur propre groupe, auquel ils donnèrent le nom de Gauche unitaire européenne (GUE) pour signifier leur attachement à l’union et à la construction européenne, et se distinguer des partis communistes qu’ils considéraient comme sectaires et anti­européens : le PCF et les partis communistes portugais et grec. Ces trois composantes n’eurent d’autre choix que de former leur propre groupe de quatorze membres : la Coalition des gauches. Le PCF, en particulier René Piquet qui présida ce groupe pendant trois ans, se fixa d’emblée comme objectif majeur de créer les conditions d’une réunion de tous les communistes et de leurs partenaires progressistes.
Ce fut fait dès la fin de la législature, mais dans un contexte peu encourageant. En effet, le PCI prononça sa dramatique autodissolution en 1991 pour devenir (dans une première étape) le Parti de la gauche démocratique (PDS). Deux ans plus tard, la majorité de ses élus européens quittèrent le groupe GUE pour rejoindre le groupe socialiste (PSE), obligeant leurs anciens camarades restés communistes ainsi que leurs ex-alliés à siéger parmi les « non inscrits ». L’année suivante, au lendemain du scrutin européen qui suivit cette épreuve, le rassemblement de tous les députés se situant à la gauche du PSE se retrouva dans une mouture totalement nouvelle de la Gauche unitaire européenne. Forts de ce succès et prenant appui sur l’expérience malheureuse des cinq années noires qui venaient de s’écouler, les élus du PCF furent de ceux qui s’attachèrent particulièrement à nourrir une dynamique de rassemblement. Dès lors, les élargissements du groupe se succéderont.
En 1995, suite à l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’Union européenne, nous eûmes le plaisir d’accueillir le Parti de gauche de Suède et l’Alliance de gauche de Finlande. C’est à leur demande qu’au sigle GUE furent accolées les trois lettres NGL pour Nordic Green Left (Gauche verte nordique, en anglais car telle était notre langue de communication avec nos amis nordiques). L’élue danoise du PSP rejoignit naturellement la NGL. D’emblée, les élus et élues du PCF s’employèrent à favoriser une bonne coopération avec ces nouveaux membres : mal à l’aise avec le fédéralisme très appuyé de certaines délégations du groupe, nos amis nordiques ont trouvé de notre part une écoute et une compréhension bienvenues de leur fort attachement à leurs spécificités.
Les élections de 1999 permirent à de nouvelles composantes de nous rejoindre : en particulier, les nouveaux élus du PDS allemand, essentiellement issus de l’ex-RDA, avec qui le PCF entretenait des rapports étroits depuis la création de ce parti. Notre parti pris de rassemblement des progressistes dans le respect des différences marqua des points. Ainsi, durant cette législature, un phénomène rare se produisit : quatre membres français du groupe socialiste, une députée allemande du groupe des verts et un député danois d’un groupe souverainiste décidèrent de quitter leur groupe respectif pour siéger dans celui de la GUE-NGL ! Nous nous sommes également déplacés en Irlande – en République d’Irlande tout comme dans la province du Nord toujours rattachée à la Grande-Bretagne – pour faire plus ample connaissance des militants et responsables du Sinn Fein en vue de son éventuelle venue dans notre groupe en cas d’élection de ses candidates et candidats aux élections de 2004. Ce qui sera effectivement concrétisé, élargissant encore le spectre des forces progressistes réunies sous l’égide de notre groupe. La législature suivante nous permit d’enrichir encore la diversité de celui-ci, avec l’arrivée, outre le Sinn Fein, du « Bloc de gauche » du Portugal, du puissant Parti progressiste des travailleurs (AKEL) de Chypre et du Parti communiste de Bohème-Moravie (République tchèque).
Pour faire travailler ensemble, en bonne intelligence, des forces aussi diverses, le PCF veilla par-dessus tout au caractère « confédéral » du groupe, autrement dit à la liberté de chacune de ses composantes de défendre une position autonome en cas de désaccord avec l’orientation majoritairement retenue par le groupe. Cela ne nous empêcha pas d’incarner collectivement – certes, non sans tensions ou frictions occasionnelles… – une identité politique « alter-européenne » clairement de gauche.

Francis Wurtz est député honoraire au parlement européen.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020