Par

Une partie de la nouvelle vague féministe s'épuise dans l'activisme. Il est donc urgent que la sphère politique devienne un véritable relais des luttes féministes afin d'engager des réformes en profondeur.

gj5.jpg

Depuis une dizaine d’années, le mouvement féministe connaît un vaste redéploiement, et, dans le même temps, l’évolution rapide de son organisation, de ses principes, de ses mots d’ordre. Ses revendications sont régulièrement au cœur de l’actualité, non seulement en France mais dans le monde, et des millions de femmes s’en saisissent. Certains qualifient cette nouvelle période de « quatrième vague féministe », mais au-delà du nom qu’on lui donne, la traduction politique lui fait encore cruellement défaut. Ainsi cette énergie militante considérable, insuffisamment relayée dans les partis de gauche et (donc) dans le débat politique national, se résout trop souvent dans l’absence de perspectives et dans des « burn-out militants », à l’image de celui qui a signé la fin du site « Paye ta schneck », jusqu’ici consacré à la dénonciation du harcèlement de rue. La gauche, et singulièrement le parti communiste, doit donc poursuivre et accentuer son engagement féministe et sa participation aux luttes.

Sororité, réseaux sociaux et maîtrise du corps
Comme l’observe Chloé Delaume, cette quatrième vague volontiers intersectionnelle suscite un engagement qui ressemble par bien des aspects à la deuxième, celle du MLF : mais Internet et les réseaux sociaux lui donnent une force inédite. Comme dans les années 1970, on se bat pour la maîtrise et l’intégrité de son corps, pour le droit à l’avortement, contre les violences sexistes et contre la culture du viol. Comme dans les années 1970, la sororité, la solidarité des femmes entre elles, est la méthode essentielle de la lutte. Ainsi un temps considérable est-il consacré à construire des pratiques et des lieux, en ligne ou dans la vie, où les femmes savent qu’elles trouveront du soutien et peuvent se rassembler sans y être exposées au sexisme. On parle à cet égard d’espaces safe (sûrs). C’est l’un des leviers qui permet au mouvement féministe d’agréger des masses de plus en larges. On s’y sent bien, soutenue et en sécurité : fortifiée dans l’engagement. Ces espaces essentiels s’articulent néanmoins avec des moments plus pédagogiques ou conflictuels, où on affronte directement les discours et les pratiques réactionnaires, pour les faire reculer. C’est par exemple le rôle, non-safe, que l’auteure (et militante influente) Valérie Rey-Robert attribue à son site.

« Le mot d’ordre qui proclame la communauté des femmes Me too est aussi celui qui accuse. Il faut le comprendre comme un programme : de plus en plus de femmes sont invitées, “elles aussi”, à trouver les voies du combat féministe. »

Les réseaux sociaux et les pratiques numériques jouent un rôle fondamental dans le développement récent des concepts (bien souvent en langue anglaise) et de l’influence féministes, qu’ils organisent dans la durée. En un sens, ils répondent aux paroles de L’hymne du MLF : ils donnent tous les moyens matériels pour relier les femmes et rompre leur isolement historique, pour sortir de l’invisibilité, et pour libérer la parole. Le mouvement Me too est emblématique de cette dialectique. Le mot d’ordre qui proclame la communauté des femmes (moi aussi) est aussi celui qui accuse. Il faut le comprendre comme un programme : de plus en plus de femmes sont invitées, « elles aussi », à trouver les voies du combat féministe. Il suffit d’un moyen de communication… Car loin d’être « simplement » virtuelles, ces mobilisations nourries par l’usage des réseaux sociaux se traduisent dans de vastes manifestations et font trembler des États. On pense évidemment à la pression exercée, en Amérique latine et singulièrement en Argentine, sous la formule Ni una menos (Pas une de moins).

Un relais politique à construire
Elles se heurtent néanmoins, en France et dans de nombreux pays, à un véritable plafond de verre : celui du relais politique. Le décalage entre le pauvre « Grenelle » promis par Marlène Schiappa et le compte des féminicides tenu par les collectifs féministes est saisissant. Mais plus généralement, c’est le propos d’Anaïs Bourdet, dans le texte qui annonce la fin de Paye ta Schneck qui interpelle : il est temps, dit-elle, de passer à l’étape suivante. « Témoigner ne suffit plus : rien n’a changé, les hommes sont toujours aussi violents ». C’est aussi ce qu’indique notre camarade Laurence Cohen, dans sa dernière tribune : les militantes continueront de se battre, mais elles ne remplaceront pas l’action publique. Cette exigence est d’autant plus brûlante que les forces masculinistes, elles, disposent de soutiens politiques puissants pour combattre les femmes. L’offensive remarquablement coordonnée du Parti républicain contre le droit à l’avortement, aux États-Unis, permet de mesurer combien les réactionnaires prennent ce combat au sérieux et s’organisent pour le mener.

« La sororité, la solidarité des femmes entre elles, est la méthode essentielle de la lutte. »

Dans tous les domaines du combat féministe, des pistes très concrètes sont sur la table : au pouvoir, nous saurions quoi faire pour briser la domination masculine, un pas après l’autre. Pour ce qui concerne par exemple les violences faites aux femmes et les féminicides, le collectif national pour le droit des femmes (CNDF) a élaboré une proposition de loi-cadre, à l’image de la « loi intégrale contre la violence de genre » espagnole, comme le rappelait récemment sa porte-parole Suzy Rojtman. Dans la même période, Caroline De Haas détaillait les propositions portées par son collectif, qui vont dans le même sens : des moyens conséquents pour lever les dysfonctionnements auxquels les victimes sont confrontées, pour élever le niveau des recours policiers et judiciaires à leur disposition, pour soutenir l’action associative, pour assumer un grand effort d’accompagnement, d’éducation et de formation. Évidemment, la gauche politique doit s’engager pleinement si elle entend mener de tels projets à leur terme.

« Loin d’être “simplement” virtuelles, ces mobilisations nourries par l’usage des réseaux sociaux se traduisent dans de vastes manifestations et font trembler des États.  »

Elle doit, avant tout, gagner encore en crédibilité sur le sujet. L’époque où on se contentait de grandes déclarations sans s’engager dans l’activité quotidienne, où une poignée de militantes portait seule la politique féministe d’une organisation, doit être laissée derrière nous. Les partis révolutionnaires de l’avenir, pour pouvoir jouer pleinement ce rôle d’interlocuteur et de partenaire actif, doivent mériter la confiance des femmes et des féministes. Pour cela, ils doivent continuer à former et convaincre dans leurs rangs, pour que les militantes ne voient plus les initiatives qu’elles prennent enterrées sous le poids de l’inertie collective ou « d’autres priorités ». Ils doivent s’acharner, dans leur vie interne, à faire reculer le sexisme et les violences sexistes, et sanctionner fermement celles qui demeurent ; permettre à chaque femme, quels que soient sa culture ou ses choix de vie, de trouver sa place sans se sentir diminuée ou menacée. Ils doivent enfin amplifier leur participation aux vastes campagnes féministes qui ont lieu dans notre pays, y consacrer davantage d’énergie militante et de travaux stratégiques. L’élection municipale, évidemment, peut être un premier jalon dans ce chantier, et une occasion de « faire système » à partir de politiques locales qui sont déjà engagées.

Un chantier vital
Notre famille politique est tout à fait capable de mener ce chantier à bien. Les partis communistes ont su, à de nombreuses reprises, jouer un rôle central dans la transformation sociale et démocratique. Le PCF, du reste, a l’appui d’une organisation implantée et active, de militants compétents et dévoués, et des féministes qui, en son sein, ont déjà engagé le travail. Mieux que d’autres, il peut, s’il le décide et le planifie, prendre les mesures nécessaires pour assumer graduellement cette nouvelle responsabilité historique… et emmener ses alliés et partenaires dans la même direction.

« Permettre à chaque femme, quels que soient sa culture ou ses choix de vie, de trouver sa place sans se sentir diminuée ou menacée. »

Cette construction politique patiente sera d’ailleurs décisive si en France aussi, les réactionnaires réussissent à se mobiliser pleinement pour briser la « quatrième vague » féministe, pour terroriser les femmes une bonne fois pour toutes et leur faire ravaler leurs revendications. Ils menaceront alors de supprimer le droit à l’avortement, comme aux États-Unis, ils suspendront des condamnations pour agression sexuelle, comme en Turquie, ou ils lèveront les peines de prison relatives aux violences conjugales, comme en Russie : trouveront-ils, face à eux, une véritable gauche féministe, ancrée dans les mobilisations, combative, organisée et prête à gouverner ?

Laureen Genthon est conseillère départementale PCF des Hauts-de-Seine.

Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019

 


 

 

CC7.jpg

Publié deux mois avant le début du mouvement des gilets jaunes, le dossier « Dévérouiller le mouvement populaire » prolonge la reflexion sur les thèmes : fatalisme, individualisme, opinion publique, mondialisation, public/ privé...
N’hésitez pas à le consulter sur Internet. https://www.causecommune-larevue.fr/
à télécharger le numéro sur : https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/pcf/pages/2630/attachments/original/1536676941/CauseCom-N07-basDEF.pdf?1536676941