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Les relations entre les partis communistes français (PCF) et chinois (PCC) s’inscrivent dans une histoire de longue durée qui est celle des relations entre la Chine et la France et, plus exactement, entre la Chine et les puissances coloniales européennes à l’ère de la « deuxième mondialisation » et de l’apogée des empires coloniaux (1850-1970), selon l’expression du géographe Laurent Carroué, ou, selon l’historien britannique Eric Hobsbawm, à l’ère du capital (1848-1875) et des empires (1875-1914).

Occupé, violenté, humilié, son pays dépecé et ses richesses spoliées par la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, la Belgique ainsi que la Russie, puis foudroyé par les deux guerres sino-japonaises et le martyre que lui impose l’occupant japonais, le peuple chinois n’en résiste pas moins des décennies durant. 1911 voit enfin éclore l’élan révolutionnaire populaire qui mettra à bas le régime corrompu des empereurs mandchous et proclamera, en février 1912, l’instauration de la république. Le pays exsangue se verra, comme beaucoup d’autres, entraîné dans la terrible boucherie de 1914-1918, et son peuple, comme beaucoup d’autres aussi, y compris – comme lui – du camp des « vainqueurs », sera trahi, méprisé et dépouillé par le traité de Versailles de 1919.

Des relations d’échange et d’apports mutuels
D’abord d’ordre colonial donc, les relations bilatérales sino-françaises ont néanmoins créé les conditions, à l’aube du XXe siècle, de la venue en France de plus de deux mille jeunes Chinois d’origine modeste mais éduqués, souvent fils de lettrés et d’intellectuels ayant activement participé à la révolution de 1911 et qui ont eux-mêmes, pour quelques-uns, pris part au soulèvement du 4 mai 1919 à Pékin. Enrôlés dans le mouvement « Travail – Études » du Comité d’éducation franco-chinois, les premiers accostent en France en 1920. Parmi eux, se trouvent de futurs dirigeants du Parti communiste chinois, cofondateurs et dirigeants de l’Armée populaire ou de la République populaire de Chine (1949), tels que Deng Xiaoping et Zhou Enlai. Ils arrivent dans une France en ébullition et à l’heure où, dans l’écho et les espoirs soulevés par la révolution d’Octobre 1917 en Russie, le mouvement communiste s’organise et donne naissance, en décembre, à Tours, à la Section française de l’Internationale communiste qui prend, dès 1921, à son premier congrès de Marseille où se trouvent nombre de ces jeunes Chinois, le nom de Parti communiste. Ainsi, c’est au contact de militants politiques et syndicaux du mouvement ouvrier français et à la lecture assidue du journal L’Humanité qu’une part des principaux dirigeants communistes chinois des années 1950 « firent leurs lettres », en découvrant les œuvres de Marx et Engels et en menant leurs premières expériences militantes, apportant, en retour, aux militants français une part déterminante de la pensée et de la stratégie de lutte contre le colonialisme français et occidental, qui participent de leur combat pour l’émancipation et le dépassement du capitalisme. Une histoire méconnue que le remarquable documentaire Sur la piste de Yu Bin, réalisé par Jean-Christophe Yu (2017), retrace avec force et talent.

« Le réseau associatif né avant-guerre fera pour sa part la preuve de son utilité dans le soutien à la politique de Mao, des premières réformes agraires à la campagne des Cent fleurs et jusqu’au début, en 1958, du Grand Bond en avant. »

Dès l’été 1922, nous rappelle le politologue Kaixuan Liu, « dix-huit jeunes Chinois résidant en Europe se réunissent au bois de Boulogne pour fonder la cellule européenne de la brigade communiste des jeunes Chinois ». Parmi eux, les deux fils de l’un des cofondateurs du PCC, créé en juillet 1921 à Shanghai, Chen Duxiu. C’est au jeune Vietnamien Nguyễn Sinh Cung (le futur Hô Chi Minh), lui-même alors cofondateur du PCF, qu’ils doivent, dans les mois qui suivent, leur adhésion au PCF. Loin d’être un geste symbolique, la mise en place de cette cellule permet le déploiement d’une activité militante soutenue, malgré des conditions de vie dégradées pour ces militants et une surveillance et une répression policières qui les contraindront à une semi-clandestinité.
Le PCF qui, dès 1922, s’est engagé contre la guerre du Rif (Maroc) puis pour l’indépendance de la Syrie (1925), apporte son soutien à la République soviétique chinoise du Jiangxi fondée et dirigée par Mao Zedong (1931-1937).
En 1934, Paul Vaillant-Couturier participe à la création d’une association des Amis de la Chine : c’est par le réseau associatif que, jusqu’à la guerre, se structure la solidarité avec la lutte anticoloniale et antiimpérialiste en Chine ; puis, à la Libération, avec les communistes chinois confrontés à la trahison du Guomindang et avec le peuple plongé dans la guerre civile.

« En 1934, Paul Vaillant-Couturier participe à la création d’une association des Amis de la Chine : c’est par le réseau associatif que, jusqu’à la guerre, se structure la solidarité avec la lutte anticoloniale et antiimpérialiste en Chine. »

Refroidissement mais jamais rupture
Dès leurs prémices donc, les relations PCC-PCF sont marquées par un rapport d’égalité, un caractère d’échanges et d’apports mutuels appelés à mûrir. Et de premiers bourgeons éclosent dès 1949 à la proclamation de la République populaire de Chine (RPC) qui doit alors faire face à la reconstruction d’une nation immense mais exténuée et dévastée par près de cent ans d’épreuves violentes. Avec l’ambition d’ouvrir une « voie chinoise au socialisme », selon les mots de Mao, la RPC a encore un État moderne à bâtir, capable d’impulser le développement d’un pays d’un peu moins de cinq cents millions d’habitants alors que son produit national brut est à cette période de moitié celui de l’ensemble des pays d’Afrique.
La solidarité en France avec la Chine populaire et les espérances qu’elle suscite s’étendent alors bien au-delà des seuls rangs du PCF ; les paroles d’André Malraux dans La Condition humaine (1933) résonnent encore avec force. L’établissement de relations diplomatiques officielles avec la RPC par la France de De Gaulle en 1964 illustre ainsi la place de la Chine dans la diplomatie et la politique françaises qui se distinguent alors en la matière de toutes les puissances occidentales. Le réseau associatif né avant-guerre sous l’impulsion des communistes fera pour sa part la preuve de son utilité dans le soutien à la politique de Mao, des premières réformes agraires à la campagne des Cent fleurs et jusqu’au début, en 1958, du Grand Bond en avant.
Entre-temps, la mort de Staline en URSS (5 mars 1953) mais surtout la publication du rapport Khrouchtchev en 1956 auront des conséquences en cascade dans les relations entre les deux partis communistes. Trop long à décrire ici en détail, ce moment qui bouleversa le mouvement communiste à travers le monde aboutit à un refroidissement des relations entre PCC et PCF qui ne tirent pas, au final, les mêmes conclusions de leur analyse du rapport et de la période stalinienne.
Refroidissement mais jamais rupture et – malgré les tentatives d’entrisme puis de division du PCF de la part de militants français maoïstes – les relations directes entre les deux partis sont non seulement sauvegardées mais maintenues et régulières.
Ces relations ont traversé le siècle et connaissent depuis le début des années 2010 une nouvelle phase d’intenses et francs échanges mais cela est une « autre histoire ».
Lydia Samarbakhsh est membre du comité exécutif national du PCF. Elle est responsable du secteur International.



Jean Kanapa et la Chine

En 1957, le mouvement communiste international se dote d’une revue commune, La Nouvelle Revue internationale, dont le siège est à Prague. Jean Kanapa (1921-1978) quitte la rédaction en chef de La Nouvelle Critique pour représenter le PCF à la rédaction pragoise. Il est membre suppléant du comité central du PCF. Ce sont pour l’essentiel les Soviétiques et les Chinois qui financent la revue. Jean Kanapa s’y montre très actif, on dit alors qu’il « règne » sur la rédaction. Mais les relations entre le PCUS et le PCC, tendues depuis le XXe congrès soviétique, se détériorent vite. Les divergences portent tout à la fois sur la déstalinisation, la voie (démocratique ou armée) au socialisme, l’indépendance des partis, la coexistence pacifique, la guerre et la paix, bref tout un éventail de questions clés. Maurice Thorez, un temps, n’est pas insensible aux arguments de Mao, mais il se retrouve sur l’orientation majoritaire du mouvement, aux côtés de Moscou. En 1960, il charge Jean Kanapa, témoin privilégié de ce conflit, de venir présenter les termes du débat devant le comité central. La direction est abasourdie ; pour la plupart de ses membres, c’est une révélation. La crise, longtemps interne au mouvement communiste, devient publique.
Nommé en 1973 à la tête du secteur international du PCF, la « POLEX », Jean Kanapa, qui ne s’est jamais résigné à cette division du mouvement, encourage sa section de travail à mieux comprendre et analyser la réalité chinoise. Alors que les tensions entre PCF et PCUS s’avivent, il milite pour une normalisation des rapports entre communistes français et communistes chinois. Ces derniers sont d’ailleurs invités au XXIIe congrès du PCF en 1976 ; ils n’y assisteront pas mais réservent un accueil intéressé, attentif au représentant du PCF venu leur transmettre l’invitation. Jean Kanapa est bien déterminé à renouer les liens entre les deux partis. Malade, alité durant l’été 1978, il entame même un ouvrage de présentation de la Chine mais il est foudroyé par le cancer. C’est quatre ans plus tard, en 1982, que Georges Marchais signe cette reprise des relations à l’occasion d’un voyage remarqué à Pékin. Au printemps suivant, un correspondant de L’Humanité s’installait en Chine.

Gérard Streiff

Cause commune n° 22 • mars/avril 2021