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Comment favoriser l’échange interculturel sans utiliser la langue française comme instrument d’un néocolonialisme ?

Tout part du mot « francophonie ». L’idée d’un même espace, idéaliste, où l’amour de la langue française irait au-delà des frontières et rassemblerait tout le monde. Onésime Reclus, géographe oublié, avait décidé d’inventer ce mot au XIXe siècle. Il souhaitait créer un espace plus impressionnant non matérialisé, et, pour le dire franchement, désirait secrètement se lancer dans une véritable conti­nuité de l’expansion coloniale.

Le rayonnement de la langue française
Aujourd’hui, ce mot aux grandes ambitions a pris une majuscule et est devenu institutionnel : l’Organisation internationale de la francophonie créée en 1970. Coopération artistique, universitaire ou sportive, une nouvelle chaîne de télévision, rien n’est oublié. L’organe de la francophonie grossit, on rentre en concurrence avec la domination de la langue anglaise comme si l’on souhaitait vainement protéger un territoire sous couvert d’une langue. L’anglais est devenu l’ennemi à abattre : la langue du commerce que tout le monde souhaite apprendre, de la littérature dite novatrice, de la musique qui crée de nouveaux concepts, mais la langue française se maintient tout de même avec un nombre d’apprenants croissant (274 millions de francophones dans le monde). Pendant ce temps-là, en France, on met de plus en plus de barrières à l’arrivée de nouvelles langues, comme l’arabe et le chinois, dans l’enseignement primaire et on rend plus ludique l’apprentissage du français en invitant le prédicat : attention il faut maintenir le bon usage de la langue française !
Le nombre d’alliances françaises grandit également de manière considérable à l’étranger (813 dans 133 pays, la plupart d’apprenants étant concentrés en Asie et en Amérique latine), même si en France, les alliances françaises sont en conflit avec les valeurs de Jérôme Clément, anciennement à la tête de la fondation, critiqué pour son népotisme et ses dépenses pharaoniquement douteuses. Le principe des alliances françaises et des instituts français est de véhiculer cette idée de francophonie, de promouvoir la culture française à l’étranger et de faire également en sorte que les artistes locaux puissent présenter leur travail. En ce sens, on espère un échange interculturel entre deux pays et le faire par le biais de la langue française. Rien de mal à tout cela, le British Council et l’Institut Goethe font de même.

La langue, outil de sélection ou de vrai débat
Contrairement à une idée reçue, le principe de domination n’est pas dans la diffusion de la culture française et des auteurs français à proprement parler. Non, le vice réside dans le fait de faire venir des groupes locaux et, par conséquent, de décider ce qui est valable ou non dans la culture d’un pays et digne d’être représenté par une institution culturelle française. On occulte donc les artistes qui ne maîtrisent pas la langue française et il suffit d’être dans un pays francophone pour voir que le choix se restreint. Pour être sélectionné, il faut accéder à l’apprentissage de la langue française dans un établissement onéreux. Évidemment, les artistes moins aisés n’auront pas accès à ces institutions. La question est délicate car se pose la question de faire de l’interculturel sans passer par un néocolonialisme.
L’une des propositions louables de l’Institut français pour faire de l’interculturel est le débat d’idées. L’idée est d’inviter des spécialistes français et étrangers et de mettre sur table les divergences mais aussi les points communs afin d’arriver à une solution du problème. La langue française est une des langues de communication mais pas la seule, car des interprètes sont présents afin de faciliter l’accès au débat dans le pays. Reste à voir quelle tournure vont prendre ces débats et quelles propositions concrètes ils vont produire.

Laura Isnard est linguiste, anciennement chargée de mission dans le réseau culturel à l’étranger.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018