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La relance de la militarisation des relations internationales, la multiplication des guerres, avec leur terrible cortège de massacres et de destructions, de souffrances et de misères, de populations poussées à l’exode, sont totalement contradictoires avec les avancées indispensables à une sécurité humaine globale : sécurité sociale, alimentaire, sanitaire, énergétique, environnementale.

Une économie de guerre
Dans la grande soufflerie mondiale qui attise guerres et conflits, la France et l’Union européenne sont loin d’être neutres. Ce n’est pas la recherche de la paix qui a permis d’installer la France sur le podium des pays les plus grands vendeurs d’armes au monde. C’est la réponse constante aux intérêts du complexe militaro-industriel dont les valeurs boursières flambent. Il en est de même pour l’Allemagne qui se réarme dangereusement, avec une augmentation de son budget militaire de plus de 52 milliards d’euros auquel s’ajoute un fonds spécial de 100 milliards d’euros.
Pour une grande part, l’abyssal endettement des États-Unis provient des dépenses d’armement dont ils font payer une partie aux autres pays par la fluctuation de la valeur du dollar.
Alors que le ministre français de l’économie répète à tout-va qu’il faut trouver en urgence 12 milliards d’euros d’économie, la loi de programmation militaire pour la période 2024 à 2030 conduit à l'augmentation des dépenses d’armement de 30% pour atteindre 413 milliards d’euros. Soixante milliards d’euros y sont consacrés à l’arme nucléaire en violation des traités de non-prolifération (TNP) et du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) adopté à l'ONU.

« Le préambule de la charte de l’Organisation internationale du travail proclame qu’ “une paix universelle et durable n’est envisageable que sur la base de la justice sociale”. En retour, la paix est la condition de la justice et du progrès social. Une condition fondamentale d’une sécurité humaine globale. »

Un livre blanc de la défense avait justifié le concept d’« économie de guerre » comme un élément de la compétitivité de la France. Au nom de cette funeste stratégie, un nouveau traité d’austérité européen est en préparation et un nouveau chapelet de dispositifs régressifs est en cours pour réduire les dépenses publiques et sociales : chasse aux chômeurs et aux plus démunis, recul de l’âge ouvrant droit à la retraite et baisse des pensions, projet de rémunération au mérite des agents publics, doublement des franchises sur les médicaments, pression à l’augmentation des prix des mutuelles, retour à la taxation maximum de l’électricité, haut niveau de taxation des carburants et de l’alimentation, modification du congé parental… autant d’éléments de la panoplie gouvernementale pour alimenter les marchés financiers et transférer d’énormes moyens financiers, émanation du travail et des biens communs, vers les œuvres de destruction et de mort.
Alors que le financement du logement social et la rénovation urbaine devraient être des priorités, voici qu’un sénateur LR, M. Pascal Allizard, soutenu par le ministère de la Défense et Matignon, a déposé une proposition de loi visant à utiliser une partie de la manne du livret A (509 milliards d’euros) pour financer les industries d’armement car, selon l’exposé des motifs de ce texte, « leur difficulté d’accès au financement sont contradictoires avec la logique d’économie de guerre dans laquelle le président de la République fait entrer notre pays ».
Ainsi, alors que vous croyez financer la construction de logements avec vos modestes économies et le fruit de votre épargne, le pouvoir veut utiliser votre argent pour enrichir les industries d’armement.

« Au lieu de rechercher les voies du cessez-le-feu et de la paix, l'Union européenne et les États membres ont déjà engagé 25 milliards d’euros en soutien au gouvernement ukrainien, soit l’équivalent de la moitié du budget de la politique agricole commune. »

Rappelons qu’avec la valeur d’un seul avion Rafale on pourrait construire deux hôpitaux. Un porte-avions équivaut à un an de nourriture pour vingt millions de personnes. Avec un Mirage on peut construire deux collèges et, avec un sous-marin nucléaire d’attaque, six cents lycées.
Un missile M51 équivaut au salaire brut de sept mille cinq cents infirmières ou à l’achat de cent cinquante scanners pour nos hôpitaux.
On mesure, avec ces quelques chiffres, à quel point une baisse drastique des dépenses militaires permettrait le développement de plus de services publics humanisés, modernisés et démocratisés.

Une pression inadmissible sur les conditions de vie
Outre-Rhin, la combinaison de l’augmentation des dépenses militaires, de la pression des États-Unis sur le potentiel productif et les sanctions contre la Russie privent l’Allemagne d’énergie à prix accessible. Ceci aggrave, par voie de conséquence, la situation des populations et met à mal l’industrie traditionnelle. Il en est de même en Israël où le financement de la guerre de colonisation de la Palestine dégrade les conditions de vie des citoyens.
En Russie, les efforts de guerre conduisent à une pression terrible sur le pouvoir d’achat et au recul des investissements civils indispensables comme le chauffage. Aux États-Unis, la moitié de la population n’a pas accès aux soins médicaux.
L’agression russe contre le peuple ukrainien s’est transformée en guerre mondialisée au sens où elle a de redoutables conséquences sur chaque habitante et habitant de la planète. Survenant après la pandémie de covid 19, elle amplifie la destruction des chaînes d’approvisionnement mondiales, perturbées encore plus par les attaques des Houthis en mer Rouge en soutien au peuple palestinien.

« L’économie de guerre détourne le financement des biens communs, pour une militarisation toujours plus grande des relations internationales qui ne profite qu’à quelques grands trusts mondiaux. Il s’agit ici d’une mutation importante du capitalisme dans le cadre de guerres économiques débouchant sur la guerre sociale contre les droits des travailleurs et ouvrant la voie aux guerres militaires. »

Le renchérissement des prix du transport de marchandises qui en résulte est un révélateur des contradictions du capitalisme mondialisé. Les grands spéculateurs en profitent bien sûr pour faire flamber les prix de l’énergie, des céréales ou des composants électroniques, allant jusqu’à mettre à l’arrêt certaines usines. De même, les sanctions imposées à la Russie par les pays occidentaux servent de prétexte aux grandes firmes pétrolières pour augmenter les prix du gaz et du pétrole. Et le négoce international s'en sert pour faire grimper l’ensemble des prix, tout en contournant allègrement un certain nombre de ces sanctions. Seuls, les peuples en font les frais.
Au lieu de rechercher les voies du cessez-le-feu et de la paix, l'Union européenne et les États membres ont déjà engagé 25 milliards d’euros en soutien au gouvernement ukrainien, soit l’équivalent de la moitié du budget de la politique agricole commune (PAC). Mieux, sans consultation des citoyens, ni étude d’impact préalable, l'Union européenne s’est ouverte aux produits agricoles ukrainiens sans droits de douane, contribuant à accélérer la chute des prix agricoles à la production dans toute l’UE, amputant d'autant les rémunérations des travailleurs de la terre et la vie des territoires.
Les dépenses militaires mondiales sont passées de 1 000 milliards de dollars en l’an 2000 au record de 2  113 milliards de dollars (2 000 milliards d’euros) en 2022 selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Or, selon un chiffrage de l’ONU datant de 2015, il serait possible d’éradiquer la faim dans le monde au prix d’un investissement de 267 milliards de dollars chaque année durant quinze ans.
L’économie de guerre détourne donc le financement des biens communs, pour une militarisation toujours plus grande des relations internationales qui ne profite qu’à quelques puissants trusts mondiaux. Il s’agit ici d’une mutation importante du capitalisme dans le cadre de guerres économiques débouchant sur la guerre sociale contre les droits des travailleurs et ouvrant la voie aux guerres militaires.

« Avec un Mirage on peut construire deux collèges et, avec un sous-marin nucléaire d’attaque, six cents lycées. »

Des politiques de recherche, d’innovation sociale et technologique couvertes par le « secret défense » empêchent des avancées scientifiques de servir au mieux-être humain, à la protection de la biodiversité ou du climat.

Pour une économie de paix
Faire de la paix et du désarmement un projet politique appelle une refondation radicale du projet européen, plaçant en son cœur la valorisation du travail, le développement humain et des biens communs. Au concept d’« économie de guerre » se substituerait un processus populaire faisant émerger « une économie de paix » sur la base de la charte des Nations unies.
Un double mouvement devrait s’opérer pour une économie et une culture de paix : la réduction des dépenses militaires et le désarmement sur tout le continent européen et sur la planète, l'augmentation des dépenses visant la sécurité humaine collective, le développement humain avec l’augmentation des moyens affectés à la santé, à l’école, à une alimentation de qualité pour chaque habitante et habitant de la planète et la réduction des inégalités vers leur suppression.

« La loi de programmation militaire pour la période 2024 à 2030 conduit à l’augmentation des dépenses d’armement de 30 % pour atteindre 413 milliards d’euros. Soixante milliards d’euros y sont consacrés à l’arme nucléaire en violation des traités de non-prolifération et du traité sur l’interdiction des armes nucléaires adopté à l’ONU. »

Cette culture de paix ferait émerger une civilisation nouvelle de coopérations contre la concurrence et la guerre économique ; de valorisation des biens communs contre les privatisations des services publics, de souveraineté des travailleurs européens sur la nature, l’utilité, le sens, les conditions des productions contre l’exploitation des hommes et de la nature.
Le préambule de la charte de l’Organisation internationale du travail proclame qu’« une paix universelle et durable n’est envisageable que sur la base de la justice sociale ». En retour, la paix est la condition de la justice et du progrès social. Une condition fondamentale d’une sécurité humaine globale.

Patrick Le Hyaric a été député européen PCF entre 2009 et 2019.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024