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L’échec du gouvernement Tsipras est aussi l’échec de la gauche européenne qui doit maintenant tenir compte des nouveaux rapports de force pour les faire bouger.

Les élections parlementaires du 7 juillet dernier en Grèce ont vu le retour au pouvoir de la droite conservatrice et clientéliste, en la personne du nouveau Premier ministre Mitsotakis. Les mesures sociales prises par le gouvernement Tsipras depuis la sortie du troisième mémorandum en août 2018 en faveur des plus démunis n’ont pas permis d’empêcher la défaite de Syriza. Si le salaire minimum a été relevé, le salaire moyen n’a cessé de diminuer. Si le chômage a un peu baissé, il demeure très élevé et l’emploi précaire s’est généralisé. La dette demeure au niveau effarant de 180% du PIB. Le pays est toujours sous contrôle de la « troïka », avec des taux d’excédents primaires imposés jusqu’en 2060. La crise grecque n’est pas terminée et la lutte du peuple grec non plus.
Il est nécessaire de revenir sur le gouvernement Tsipras. Son objectif n’a jamais été de faire la révolution dans un seul pays, ni de sortir de l’Union européenne, mais de négocier avec la troïka la sortie des mémorandums ainsi que l’allègement de la dette, ce fardeau et cet outil de domination insupportable sur le pays. Représentant un pays qui ne pèse que 2% du PIB européen, le gouvernement Tsipras proposait une solution en rupture avec les deux premiers mémorandums, tout en restant économiquement parfaitement acceptable pour l’UE. Mais elle ne l’était politiquement pas pour les bourgeoisies européennes. Dix jours après la victoire de janvier 2015, la Banque centrale européenne (BCE) coupait les liquidités accordées aux banques grecques, mettant le système financier du pays à genoux. Ce n’était qu’un tour de chauffe avant le coup d’État de juillet 2015 qui imposa au gouvernement grec, humilié, un troisième mémorandum. Le résultat sans appel du référendum du 5 juillet, qui montrait l’ampleur du soutien dont bénéficiait le gouvernement, fut à lui seul insuffisant pour établir les rapports de force nécessaires dans une lutte de cette intensité. Et la gauche européenne fut incapable d’aider le gouvernement grec qui fut laissé seul face au front commun des vingt-sept autres pays. 98% du PIB de l’UE contre 2%. Telle fut la cause de l’échec du gouvernement Tsipras.

C’est une leçon politique que devrait travailler la gauche européenne à propos des conditions d’exercice du pouvoir dans l’UE libérale et dans des conditions non révolutionnaires. Ce n’est pas une question simple qui peut se régler à coup de slogans. Le faible score des partis de la gauche radicale grecque le montre. L’espoir d’un peuple, porté par Syriza, s’est fracassé contre le talon de fer des bourgeoisies européennes et sous l’effet du travail de sape, réalisé en Grèce même, par tout ce que le pays compte d’éléments libéraux, réactionnaires et cléricaux. À travers l’écrasement de la Grèce en 2015, les bourgeoisies européennes cherchaient à mettre un point d’arrêt aux mobilisations populaires contre les politiques d’austérité en Grèce, en Espagne et dans les autres pays européens. C’est une question de lutte de classes et de rapports de force à l’échelle européenne.

Et maintenant ?
La lutte contre le gouvernement Mitsotakis en Grèce peut bénéficier du score élevé de l’opposition de gauche : 31,5% pour Syriza, 9% pour la totalité des autres partis de gauche. Syriza demeure donc à un niveau important et obtient un soutien important dans les villes ouvrières et parmi la jeunesse. C’est une base pour l’avenir. Les conditions des mobilisations sociales dans ce nouveau contexte restent cependant un point d’interrogation, alors que le gouvernement conservateur annonce une politique de Blitzkrieg libérale et autoritaire.
En Europe, la même politique des bourgeoisies européennes qui a écrasé le gouvernement grec mène l’UE au bord de l’éclatement. Le Brexit en a été une des conséquences. Il importe à la gauche européenne dans son ensemble de tirer les leçons de la période passée pour aborder celle qui s’ouvre désormais et en tenant compte des nouveaux rapports de force pour les faire bouger. Les prochains rendez-vous de la gauche européenne à l’automne peuvent en marquer des étapes.

Vincent Boulet est membre du Conseil national du PCF, responsable adjoint aux questions européennes.

Cause commune n° 13 • septembre/octobre 2019