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En déclin, devenu un parti de notables, le parti Les Républicains (LR) profite cependant de l’affaiblissement du pouvoir macronien pour rebondir.

« La droite est de retour ! »
On se souvient peut-être de cette affirmation de Valérie Pécresse lors de son premier meeting de campagne à la Mutualité le 11 décembre 2021 : « J’ai une bonne nouvelle, la droite est de retour ! » Cruel rappel alors qu’à la présidentielle, la droite « républicaine » LR (« la droite résiduelle » écrit, vipérin, L’Express) a échoué sous la barre des 5 %. Déjà, lors des européennes de 2019, cette droite était passée de 20 à 8%, et on avait parlé de « claque ». Son nouveau recul à la présidentielle (le troisième échec successif à ce type de scrutin) signe une mauvaise campagne et un siphonnage par le vote utile mais pas que. Affaiblie, minée par le doute, déconstruite par Macron, la droite est aujourd’hui durablement affectée. Cette crise se manifeste, entre autres, par un certain éloignement du parti avec ses principaux leaders, très tentés par le macronisme (on pense à éric Woerth, à Damien Abad mais aussi à Nicolas Sarkozy, à Jean-François Copé...). Cette « désertion » des chefs est d’autant plus importante qu’à droite le culte du leader (on aime parler chez eux d’« incarnation ») est fort. Géographiquement, on a constaté, en mai dernier, un certain repli de son influence dans les campagnes, les villes moyennes, les banlieues. LR disparaît de l’Essonne, du Val-d’Oise, des Yvelines, est à la peine en Pays-de-la-Loire, en Occitanie. Dans le même temps, au niveau européen, la droite pèse de moins en moins. Ainsi, elle a perdu, début juin, sa place de vice-présidence au sein du Parti populaire européen (PPE), un nouveau camouflet pour elle (8 élus sur 176 au sein du PPE).

« La droite reste incertaine, mal à l’aise à l’égard du féminisme notamment. Sa vision globalement réactionnaire des mœurs est aujourd’hui minoritaire. »

Des difficultés sur la longue durée
La droite refuse naturellement la thèse (macronienne) des trois blocs (le centre et deux extrêmes). Et son score, aux dernières législatives, s’il marque un recul attendu, témoigne aussi d’une certaine résistance, notamment de ses sortants. On se rappelle aussi que la droite garde une place significative dans les institutions. Elle dirige 100 communes de plus de 30 000 habitants (sur 279), la moitié des conseils départementaux (46 sur 96), 6 régions sur 17 et domine largement le Sénat. Sur le site de LR, Christian Jacob se vante et affirme que son parti « détient 60% des exécutifs ». Cette formation revendiquait 150 000 adhérents fin 2021.
Si l’opposition droite/gauche est une constante dans l’histoire de la vie politique française, la droite a longtemps rencontré des difficultés à constituer un parti dominant. Elle subit la concurrence sous la IIIe République du Parti radical ; elle se divisa sous l’Occupation entre partisans de Vichy et fidèles à de Gaulle. Sous la IVe République, c’est le centre démocrate-chrétien du Mouvement républicain populaire (MRP) qui supplanta le Rassemblement du peuple français (RPF). Mais, à partir de 1958, le gaullisme lui permit d'occuper une place majeure : Union pour la nouvelle République (UNR) en 1958, Union des démocrates pour la République (UDR) en 1968, Rassemblement pour la République (RPR) en 1976, Union pour un mouvement populaire (UMP) en 2002, jusqu’à l’actuel LR en 2015.

« Des gourous de LR font le pari que le macronisme ne survivra pas à Macron et que la question de la recomposition (et du retour) de la droite se reposera alors. Le problème, c’est que des gourous du macronisme font le même pari, derrière Édouard Philippe cette fois. La droite est face à un vrai défi. »

Après 1983, on peut presque parler de mitterrandisation de la droite car le tournant libéralo-européen du pouvoir socialiste ébranle aussi cette famille de deux manières. D’une part, elle se rallie à la doxa libérale (on parlera avec raison de « pensée unique »), négligeant ses propres repères (rôle de l’État, des services publics par exemple) ; d’autre part, cette orientation (austéritaire) provoque très rapidement l’apparition de Le Pen (11 % aux européennes de 1984), lequel va installer une concurrence durable sur sa droite. Chirac accentua ce glissement européiste (avec Jean-Pierre Raffarin et l’UMP). Nicolas Sarkozy tentera de redresser la barre droitière mais, malgré ses envies et ses coups de gueule, il n’inversera pas vraiment la tendance. Ce faisant, la droite a peu à peu perdu de son identité ; son implantation populaire, acquise sous le gaullisme, s’est rabougrie ; elle tend à devenir un parti de cadres, d’élus.

Une droitisation de la société française ?
Si la droite est en perte de vitesse, l’idée d’une droitisation de la société française est pourtant martelée depuis des années. La bibliographie sur le sujet est imposante, entamée en 2002 avec le pamphlet de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre (Seuil), jusqu’au dossier de L’Obs de novembre 2021 signé par l’universitaire Frédérique Matonti, auteure de Comment sommes-nous devenus réacs ? (Fayard, 2021). Sans parler de Philippe Corcuff, auteur de La Grande Confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées (Actes Sud, 2021). L’affirmation que la droite a gagné la bataille d’idées est presque devenue un lieu commun ces derniers temps. Nicolas Sarkozy se vantait même d’avoir mené et gagné la bataille pour l’« hégémonie culturelle », citant abondamment Gramsci.
Bien sûr, certaines positions de droite sont solidement installées (individualisme, concurrence, entrepreneuriat, autorité, élitisme, sécurité, conception étroite de la République…). Et certes il faut aussi prendre en compte ici le poids (persistant) de l’extrême droite. Mais la notion de droitisation du corps social est discutable. La droite est, en fait, en difficulté sur deux de ses « mantras », fortement, majoritairement contestés dans la société : le conservatisme sociétal et le libéralisme économique.
Longtemps, gaullisme rima avec paternalisme, machisme, autoritarisme ; c’était dans l’air du temps, dira-t-on. On se rappelle la résistance violente d’une large partie de l’UDR (1975) à la loi Veil par exemple. La droite reste incertaine, mal à l’aise à l’égard du féminisme notamment. Sa vision globalement réactionnaire des mœurs est aujourd’hui minoritaire ; ce qui n’exclut pas d’éventuels retournements, voir la force du mouvement contre l’avortement dans le monde, de la Pologne aux États-Unis. Des mouvements conservateurs comme la Manif pour tous ne se sont pas durablement imposés. Le rapprochement passé de LR avec ces expressions continue de lui coûter aujourd’hui (on aurait, paraît-il, échappé de peu à une première ministre LR, Catherine Vautrin du Grand Reims, finalement éclipsée en raison de ses sympathies pour ce courant). La droite nourrit vigoureusement la peur du mouvement « woke »  mais cela tient plus de la posture, du fantasme, de la propagande contre un ennemi caricatural et caricaturé que de la nécessité politique.

« La droite est, en fait, en difficulté sur deux de ses “mantras”, fortement, majoritairement contestés dans la société : le conservatisme sociétal et le libéralisme économique.  »

Elle est pareillement en difficulté sur la question du libéralisme économique (libéralo-européiste) auquel elle s’est ralliée. Ce mode de gestion de la crise est largement contesté. Et les aspirations au mieux-être social, à la solidarité, le refus des inégalités, l’envie de participer sont des demandes « antilibérales » majoritaires dans l’opinion. Le libéralisme rime aussi avec le recul de l’État et de ses institutions, alors que le logiciel de la droite proposa, longtemps, un État fort, interventionniste et un rapport direct au peuple via le référendum par exemple, qui était un élément important de la vulgate gaulliste (de Gaulle est parti sur un référendum perdu en 1969). La droite n’a pas voulu entendre les ­critiques internes qui la traversaient (voir le positionnement de Philippe Séguin) dès le ­référendum de Maastricht de 1992 puis lors du référendum européen de 2005.
Sauver les meubles
Aux élections législatives de juin, la droite enregistre 13 % au premier tour et passe au final d’une centaine d’élus à 61. Elle se rassure en disant qu’elle s’attendait à pire. (Elle présentait 543 candidats dont 66 circonscriptions où le député LR sortant se représentait et 25 où il ne se représentait pas). Il est vrai que son implantation locale lui a permis de sauver des meubles.
Ses candidats ont mené des campagnes de terrain, sans référence à « Paris » ni à des « chefs » (sauf Laurent Wauquiez et Xavier Bertrand, invités dans une dizaine de départements), souvent sans utiliser le logo LR. Au second tour, elle a donné l’impression de ne plus savoir où elle en était. Quand elle était battue sur ses terres, elle a le plus souvent refusé de faire barrage à l’extrême droite, ce qui a fait dire au communiste Bruno Nottin, le tombeur de Jean-Michel Blanquer dans la quatrième circonscription du Loiret : « On en revient aux années 1930, plutôt Hitler que le Front populaire. Les droites ont perdu leurs repères républicains. »
LR perd son titre de premier groupe d’opposition à l’Assemblée et avec lui la présidence de la commission des finances et un poste de questeur. Toutefois, comme le note le politologue Jérôme Jaffré, comme il n’y a pas de majorité stable de soutien à Macron, le rôle des députés LR pourrait devenir plus important : « Paradoxe de la politique où l’échec électoral aboutit parfois à un poids politique accru. »

Une famille fracturée
La recomposition de la droite, famille fracturée, n’en est qu’à ses débuts. Il est peu probable qu’elle retrouve demain son lit traditionnel. On distingue dans ce courant presque le jeu des sept familles : gaullistes, centristes, libéraux, conservateurs, démocrates-chrétiens. Les débats internes d’après législatives sont de deux ordres. Il y a d’abord la question du positionnement face à Macron. Certains prônent une forme d’alliance avec le pouvoir (Copé, Sarkozy), d’autres, la majorité, entendent être une force d’opposition. Puis LR est travaillé par des interrogations plus existentielles.
Outre une guérilla générationnelle, ces discussions opposent un bloc qui évoque le gaullisme social, le retour au peuple, l’attention (affichée) aux plus faibles avec des gens comme Aurélien Pradié, jeune secrétaire général, bien réélu dans le Lot, sans doute aussi Xavier Bertrand, Christian Jacob, François Baroin, Gérard Larcher ; face à un bloc plus soucieux, dit-on, des « questions régaliennes » : Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, David Lisnard, éric Ciotti, Nadine Morano, Julien Aubert, François-Xavier Bellamy. Handicap de ce dernier groupe : il a conduit LR à la défaite aux européennes de 2019.
Chez Wauquiez et les siens, on aime parler défense de la civilisation, racines chrétiennes, frontières, souveraineté, ordre, des thèmes assez proches de ceux d’éric Zemmour. François-Xavier Bellamy, eurodéputé LR, une des « têtes » des républicains, a été chargé par le PPE (la formation supranationale de la droite européenne), de « travailler sur l’avenir de la droite » (Le Figaro du 31 mai), preuve que cette question existentielle taraude toute la droite européenne. Il résume l’esprit de ses propositions dans cette expression : « Pour une politique de la transmission », une phraséologie de notaires, d’héritiers.

Explosion ou refondation ?
Le risque pour le parti LR, c’est qu’il cesse d’être un grand parti national pour devenir un parti de notables. Son avenir va grandement dépendre du choix du nouveau chef qu’il se donnera car à droite « l’incarnation est une question majeure. Tout sera tranché par celui qui sera choisi pour porter notre projet » (Olivier Marleix, vice-président). On a évoqué beaucoup la piste Wauquiez ; son intervention du 7 mai est symptomatique : « Tout tangue, tant mieux ! Tout est à terre, tant mieux ! Ceux qui nous ont trahis sont dehors, tant mieux, enfin, ils nous ont fait tant de mal. Nous allons devoir tout repenser, tout rebâtir, de haut en bas et ça commence aujourd’hui. » Mais il passe la main. éric Ciotti (du même bord) est sur les rangs, il considère représenter un quart du corps électoral de droite ; aux législatives, il a bénéficié d’une alliance de fait avec Zemmour, qui n’a pas présenté de candidat dans sa circonscription.
Alors, explosion ou refondation ? Les deux hypothèses les plus souvent avancées peuvent se résumer ainsi :
• Un retour à des fondamentaux gaulliens, soit un État fort, la priorité donnée aux institutions (et au référendum), la référence à la question sociale. Le nom iconique de Philippe Séguin revient souvent. Dans le même ordre d’idées, on parle de la reconfiguration d’une droite autoritaire (illibérale, proche du « modèle » hongrois).
• L’union des droites ? C’est ce qu’ont réussi les Italiens, les Britanniques ou les Espagnols (en partie). Soit à terme une convergence LR-RN-Zemmour.
Peut-être via une solution à l’allemande (la CDU/CSU), c’est-à-dire l’association dans une même formation de deux partis distincts.
On peut aussi se dire que la vie politique peut se passer durablement d’un parti dominant de droite, c’est déjà arrivé sous la Ve République. Des gourous de LR font aussi le pari que le macronisme ne survivra pas à Macron et que la question de la recomposition (et du retour) de la droite se reposera alors. Le problème, c’est que des gourous du macronisme font le même pari, derrière Édouard Philippe cette fois. La droite est face à un vrai défi. Dans ses rangs, on rappelle parfois cet ordre de mission du général de Gaulle au colonel Pierre de Chavigné : « Votre mission commence. Elle est, comme vous le sentez, capitale. Il s’agit de faire beaucoup avec peu et en partant de presque rien. »


Le cas Zemmour

Par bien des aspects, Éric Zemmour et son parti Reconquête se situent à l’ultradroite : voir sa doxa identitaire, ses positions sur le « grand remplacement », sur Vichy, l’islam, les musulmans, la France « créolisée », sa rhétorique de guerre civile (« mieux vaut se battre avec les mots que dans la rue »), etc. Mais, dans le même temps, Zemmour semble avoir plus de points communs avec la droite dite « classique » (idéologique, sociologique, politique) qu’avec le mouvement de Le Pen, auquel il reproche de donner trop d’importance aux questions sociales au détriment de l’enjeu national, qui est pour lui absolument prioritaire. Un accord de fait existe par exemple entre Zemmour et une partie de LR (Ciotti).
Le parti de Zemmour est soutenu plutôt par une bourgeoisie urbaine et cultivée (féru d’histoire tendance « pompier », Zemmour a l’art de mettre Bonaparte sur le pont d’Arcole dans la plupart de ses interviews), une bourgeoisie qui vote ordinairement pour LR. Lui-même se réclame « héritier du RPR » (le parti gaulliste de 1976 à 2002, avant son virage européo-centriste). Il a fait ses meilleurs scores dans les « beaux quartiers » et plaide avec insistance « pour une alliance avec une partie de la bourgeoisie pour défendre la France et conquérir le pouvoir ».
Cette droite nationaliste a été donnée un temps à 16% (on la voyait même dépasser Le Pen ; c’était juste avant le déclenchement de la guerre en Ukraine) ; elle exprime un courant important (contre la mondialisation et l’immigration) et probablement durable. Mais l’échec des législatives (notamment la candidature de Zemmour à Saint-Tropez) contrarie ses projets. Le parti Reconquête, qui se serait structuré en quelques mois, entend se présenter à toutes les élections (les européennes de 2024 sont particulièrement ciblées) et constituer « une école de pensée, un lieu de formation ». L’idée d’un rassemblement de toutes les droites, que martèle Zemmour, est un thème encouragé par sa conseillère Sarah Knafo, elle-même issue de la droite souverainiste (tendance Henri Guaino).

PS : Les citations d’Eric Zemmour sont extraites d’un grand entretien donné au Figaro Magazine du 20 mai 2022.

Gérard Streiff est rédacteur en chef de Cause commune.

 

Cause commune30 • septembre/octobre 2022