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La politique étrangère de Trump produit le paradoxe de voir la puissance qui a pour l’essentiel façonné et conditionné le cadre et les règles des relations internationales depuis 1945 les contester aujourd’hui fondamentalement pour assouvir son rêve de « suprématie globale permanente ».

Première puissance mondiale économique et militaire, chantre du capitalisme, les États-Unis sous l’admi­ni­stration Trump entendent restaurer leur hégémonie sans
partage sur les peuples et pays du monde. La domination US est toutefois contestée. Le « na­tio­n­alisme antimondialiste » du business milliardaire devenu président en 2016, Donald Trump, qui « mêle la revendication d’une Amérique forte (strong again ) et prioritaire (America first ) » distingue la puissance américaine mais l’isole également.
À l’occasion de son discours d’investiture de janvier 2017, Donald Trump exposait sa vision du monde qui se réduirait à deux catégories, « ceux qui auraient des comptes à rendre aux États-Unis, et ceux qui au contraire méritent leur soutien ». Le quarante-cinquième président des États-Unis rappela à qui voulait encore l’ignorer que « le fondement de [sa] politique sera une totale allégeance aux États-Unis d’Amérique et grâce à notre loyauté au pays, nous redécouvrirons la loyauté envers les uns les autres » mais pour préciser : « Nous conforterons certaines de nos alliances, et nous en nouerons de nouvelles. »

« Il ne s'est jamais agi pour les États-Unis d'en finir avec l'OTAN, il s'agit de passer à un stade supérieur de sous-traitance – matérielle et budgétaire – aux pays membres, des choix stratégiques, militaires et diplomatiques états-uniens sauvegardant les intérêts propres des États-Unis. »

Cela n’a pas manqué de jeter le trouble parmi nombre de dirigeants d’États pro-atlantistes en particulier en Europe, trouble confirmé par les difficultés créées par les choix américains de ces trois dernières années et la « méthode Trump », la menace et le chantage, le deal négocié en catimini et imposé à tous au mépris du droit international. Mais les dirigeants pro-atlantistes occidentaux n’ont guère contesté le fond de ces décisions – hormis celle de la rupture unilatérale des accords de Paris (COP21) et de l’accord sur le nucléaire iranien obtenus par l’action multilatérale. À l’exercice du pouvoir la nouvelle administration américaine est confrontée à ses contradictions internes dans la poursuite de son objectif de domination absolue.

Un gouvernement de guerre
Le prétendu « hérault de l’antisystème » élu à la Maison-Blanche en 2016 a mis en place à la tête de son pays un véritable « club de milliardaires » (dixit Le Figaro !), un « cabinet Goldman Sachs », bref, un « gouvernement de guerre », ainsi qu’il l’a lui-même qualifié, composé de grands financiers, lobbyistes et dirigeants de grands groupes (notamment pétroliers ou du BTP) multipliant les cas de conflits d’intérêts, ainsi que de militaires tantôt obsédés par la Chine, tantôt par l’Iran, tantôt par la Russie, qui se sont confirmés tous plus bellicistes les uns que les autres et qui ont commencé par obtenir la plus forte augmentation du budget américain de la Défense de son histoire récente. Appuyé par l’extrême droite et les églises évangéliques, Trump installe leurs idées (pourtant minoritaires) au plus haut du débat politique national et sera aussi le premier président de l’histoire de son pays à participer à une manifestation contre l’IVG (janvier 2020). Le choix des dirigeants des agences gouvernementales américaines comme la CIA ou des juges à la Cour suprême a complété ce dispositif « de guerre » et chaque initiative – unilatérale – prise a confirmé des prétentions hégémoniques qui se révèlent en inadéquation complète avec le contexte international.

« Il n’y a donc pas d’un côté, un « fou », Trump, et de l’autre une administration qui rattraperait les impairs mais bien une orientation générale, une ligne politique et idéologique, impérialiste, ce qui n’exclut pas des dissensions internes. »

Les déclarations de Trump sur l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) n’ont pas trompé grand monde, pas plus que la formule fracassante d’Emmanuel Macron la déclarant en « mort cérébrale ». Il ne s’est jamais agi pour les États-Unis d’en finir avec l’OTAN, il s’agit de passer à un stade supérieur de sous-traitance – matérielle et budgétaire – aux pays membres, des choix stratégiques, militaires et diplomatiques états-uniens sauvegardant les intérêts propres des États-Unis. Il n’en a jamais été réellement autrement mais cela redevient, sous l’impulsion de Donald Trump, l’alpha et l’oméga assumé de la politique américaine avec brutalité et cynisme qui se manifestent tant au Venezuela, en Bolivie, que contre Cuba mais aussi à l’égard de son voisin, le Mexique et ses ressortissants migrants, contre l’Iran ou la Chine ou encore, sans maquillage, contre ses propres alliés. L’Union européenne a beau avoir arrimé sa politique de sécurité et de défense à l’OTAN, conditionné ses nouvelles entrées à l’adhésion à l’OTAN, ses États-membres ont beau atteindre l’objectif de 2 % du PIB consacrés aux dépenses militaires, les États-Unis considèrent l’UE somme toute comme une rivale, et Trump la traite en concurrente sournoise.
L’administration Trump a conscience de la contestation de l’hégémonie américaine et de la crise qu’elle traverse. Avec un budget annuel de 686 milliards de dollars (onze fois plus que celui de l’éducation), les forces armées US comptent 1,5 million de personnels répartis sur tous les continents du monde, dont au moins 20 % d’entre eux dans près de 800 bases, selon certaines sources, dans 164 pays d’après le département d’État lui-même… les États-Unis n’ont pourtant aucune victoire militaire à leur actif depuis le lancement de la « guerre internationale contre le terrorisme ».
Qui plus est, l’hégémonie US qui s’appuie sur sa force de frappe économique, politique et militaire, et qui a formaté pour l’essentiel les relations internationales et dominé ses institutions multilatérales ne survit plus aujourd’hui qu’en les piétinant. L’administration Trump impose ses choix, ses actions et… ses revirements. Cette posture participe elle aussi à la reconfiguration de l’espace mondial et des relations internationales.

« La politique protectionniste de Trump n’apporte aucune réelle réponse à l’état de crise profonde de la société américaine elle-même et aux mobilisations nouvelles de millions d’Américains sur des enjeux tant sociaux que de société. »

Les États-Unis continuent de jouer un rôle déterminant dans la mondialisation telle qu’elle existe. Si pour une part Trump déploie une diplomatie alternant « coups de poing » et « flatteries » à visée électoraliste (puis­que son électorat considère que l’interventionnisme coûte cher et qu’il est en échec), il s’est néanmoins fixé comme objectif de rasseoir la domination absolue états-­unien­ne directe ou indirecte sur l’ensemble du monde via l’OTAN et, à nouveau, par l’ingérence directe, plus ou moins affichée. Trump a certes adopté en politique étrangère ses méthodes de businessman vorace mais l’état-major ou le département d’État adaptent leurs stratégies et leurs objectifs politiques avec leur maturité légendaire, comme l’exemple bolivien vient de le démontrer. Et ce, malgré les coups portés par Trump lui-même à la parole états-unienne, par exemple lors de l’invasion turque de la Syrie. Il n’y a donc pas d’un côté, un « fou », Trump, et de l’autre une administration qui rattraperait les impairs, mais bien une orientation générale, une ligne politique et idéologique, impérialiste, ce qui n’exclut pas des dissensions internes.
Habiles, malgré là aussi les apparences, Donald Trump et le pouvoir qu’il incarne allient la peur de la « mondialisation », d’un monde qui « vous échappe », et l’aspiration mégalomane de le dominer et de le diriger. Portée par des conceptions ultraconservatrices et ethnocentristes, adepte du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, l’administration Trump veut en finir définitivement avec le multilatéralisme issu de l’après Deuxième Guerre mondiale et multiplie les actions en ce sens contre les accords de Paris, contre l’accord sur le nucléaire iranien, contre les accords d’Oslo ou les résolutions internationales sur la Palestine, avec les accords sur les missiles de portée intermédiaire, avec la Corée du Nord où il ne vise pas la chute du régime mais qui entre dans la stratégie d’isolement de la Chine, avec la Chine qu’il provoque en duel commercial entraînant les dégâts collatéraux que l’on sait pour les pays de l’UE et l’économie américaine elle-même ; on peut encore citer son incursion dans la crise UE-Grande-Bretagne à l’heure du Brexit, ou les nouvelles relations établies avec la Russie de Vladimir Poutine.
Là où l’administration Trump veut un ordre régi par les États-Unis et ses sous-traitants, Emmanuel Macron milite pour un « minilatéralisme », un multilatéralisme de clubs (du G7 au G20 tel que la présidence française a conçu et dirigé la formule 2019) où les puissances se mettent d’accord, transigent éventuellement sur leurs désaccords et donnent le la au reste du monde. Ensemble cependant ils participent d’une surmilitarisation des relations internationales et d’une nouvelle course aux armements : la France était en 2018 le cinquième budget militaire (à hauteur de 63, 8 milliards de dollars) sur le plan mondial après les États-Unis la Chine, l’Arabie saoudite, l’Inde et juste avant la Russie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon. Qu’il s’agisse d’opérations extérieures sous l’égide de l’OTAN, de l’UE ou de l’ONU, la France est présente dans trois régions hautement conflictuelles : le Sahel, le Proche-Orient et les États baltes. Les plus forts contingents se trouvent en Afrique avec bientôt 8 000 soldats dont plus de 5 000 dans la zone sahélo-saharienne. Emmanuel Macron a dans ce mouvement engagé la France dans le peloton de tête des pays membres de l’OTAN portant à 2 % du PIB leur budget de défense, et 40 milliards d’euros supplémentaires seront consacrés aux dépenses militaires jusqu’en 2022.

Des expériences politiques inédites pour des générations entières d’Américains
Les résultats à court terme de ses choix économiques sur l’emploi et la croissance états-uniens ont conforté Donald Trump dans son intention de briguer un nouveau mandat mais sa politique a dès le premier jour mobilisé largement contre lui, aux États-Unis mêmes.
La violence de la politique de classe, raciste, sexiste et xénophobe de Donald Trump a poussé des dizaines de millions de citoyens à se mobiliser ; qu’il s’agisse des mouvements pour l’égalité entre femmes et hommes, contre le sexisme, les violences sexuelles ou le harcèlement, pour le droit à l’IVG, ou qu’il s’agisse des votes référendaires dans une série d’États pour la création ou l’augmentation d’un salaire minimum, ou encore des manifestations massives contre le port des armes ou les violences policières, les résistances populaires sont nombreuses, larges, et constituent des expériences politiques inédites pour des générations entières d’Américains que leur modèle de société ne séduit plus et qui entrent en politique.
Elles trouvent pour une part leur traduction dans l’élection de représentantes et de représentants de l’aile gauche du Parti démocrate au Congrès ou à la tête de municipalités importantes comme, tout dernièrement, à Chicago. La course à l’investiture du Parti démocrate place Bernie Sanders en position favorable, et pourrait en constituer la bonne surprise ; hypothèse combattue ardemment par les candidatures de Joe Biden et de « l’autre milliardaire », Michael Bloomberg, mis en selle pour contrecarrer la percée des courants de gauche du Parti démocrate, incarnée par Sanders. D’autant que Bloomberg pourrait s’avérer une alternative bien plus satisfaisante, sur le plan du marketing, aux intérêts des classes dirigeantes US. Enfin, la politique protectionniste de Trump n’apporte aucune réelle réponse à l’état de crise profonde de la société américaine elle-même et aux mobilisations nouvelles de millions d’Américains sur des enjeux tant sociaux que de société – et cela demeurera, pour les Américains appelés aux urnes, le facteur déterminant de leur choix.

Le « déploiement mondial » de l’OTAN
Pour mener à bien son projet de restauration hégémonique, l’administration états-unienne vise notamment à concrétiser l’idée d’un « déploiement mondial » de l’OTAN – déjà fort avancé. De désaccords internes entre membres « historiques » de l’alliance (Allemagne, France) et nouveaux entrants (Pologne), à ceux qui ont opposé États-Unis et affidés sur leur part d’engagement dans les interventions et coalitions américaines (en Irak en 2003 ou en septembre 2013 s’agissant de la Syrie…), ainsi que sur leurs parts d’investissements dans l’industrie militaire américaine, est apparue au grand jour une crise interne d’un nouvel ordre. À l’occasion de l’invasion turque de la Syrie, il est devenu patent que ce n’est ni le secrétaire général de l’OTAN, ni ses États membres qui prennent les décisions, c’est l’administration US en fonction des intérêts qu’elle défend.

« À l’occasion de l’invasion turque de la Syrie, il est devenu patent que ce n’est ni le secrétaire général de l’OTAN, ni ses États membres qui prennent les décisions, c’est l’administration US en fonction des intérêts qu’elle défend. »

La crise au sein de l’OTAN n’a d’ailleurs pas opposé l’OTAN et Ankara sur l’invasion militaire turque du Rojava et de la Syrie, ni sa guerre contre les Kurdes. L’OTAN n’a jamais condamné l’opération turque de novembre et Jens Stoltenberg, son secrétaire général, a même insisté : « Les préoccupations sécuritaires de la Turquie sont fondées. […] Je suis convaincu que la Turquie agira avec modération et de manière proportionnée. » Le vrai différend entre l’OTAN et la Turquie est l’affirmation de celle-ci comme puissance impérialiste régionale autonome de l’alliance, avec le développement de son propre complexe militaro-industriel et l’achat de missiles antiaériens russes S400 qui permettraient une défense indépendante de l’OTAN de l’espace aérien turc et qui a entraîné un embargo de la vente de l’avion américain F35 à Ankara. D’autant que Donald Trump a ranimé le schéma d’une OTAN du Moyen-Orient fondée principalement sur un arc Israël-Arabie saoudite-États-Unis au sein de laquelle la Turquie, première armée de l’OTAN après les États-Unis, doit jouer sa partition.
2020 verra une campagne d’exercices militaires au cœur de l’Europe. Cette démonstration de force vise la Russie – alors que le conflit que l’UE et l’OTAN ont nourri en Ukraine pourrait enfin trouver une résolution politique – mais elle envoie aussi un message de mise en garde aux peuples du monde entier.
L’impératif d’une dissolution de l’OTAN est plus actuel que jamais et nous devons continuer de porter l’idée d’une suspension immédiate de la participation française au commandement intégré, et d’une perspective de sortie de l’alliance à l’appui d’une initiative multilatérale sous égide de l’ONU qui pose, en Europe pour ce qui nous concerne, les bases d’un cadre commun de coopération, de sécurité collective et de paix, inclusif, c’est-à-dire avec la Russie et les pays de l’Est européen.
Ce serait trouver à la crise de l’hégémonie américaine une réponse nouvelle et propice à l’émergence d’un nouvel ordre mondial fondé sur la solidarité des peuples et la satisfaction des besoins humains et sociaux. 

Lydia Samarbakhsh est membre du comité exécutif national du PCF, elle est chargée du secteur International.

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020