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(Introduction du dossier : DES NOUVELLES DE LA COMMUNE)

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Evoquer la Commune, c’est d’abord se battre contre un effacement. J’ai ce souvenir agaçant d’un séjour de vacances en Union soviétique, (c’était en 1970), organisé à l’époque par l’agence LVJ et mobilisant des centaines de jeunes communistes français qui allaient passer un mois non loin de Kazan avec des Komsomols, les JC soviétiques. À la descente du train, une personnalité locale solennelle nous salue à peu près en ces termes : « Salut à vous, fils de la Commune ». Je me souviens de l’étonnement de beaucoup d’entre nous : de quelle commune nous parle-t-il ? de Bobigny ? d’Ivry ? On n’en est (peut-être ?) plus là, des livres s’écrivent, des ouvrages savants existent, des études se multiplient, les manuels s’ouvrent, les références dans les romans sont nombreuses, des films et documentaires se font (sans parler de l’action tenace de l’association des Amis de la Commune). Et pourtant la grande mémoire nationale n’est pas très bavarde sur cette histoire-là. Pas question de commémorer la Commune, répétait encore l’autre jour sur France Inter l’historien « officiel » Pierre Nora. Ce que les dominants effacent, c’est tout à la fois leur peur du changement radical qui se profilait au printemps 1871, et la sauvagerie (de classe) de leur répression, épaulée alors par l’occupant prussien. L’amnistie des communards (merci Hugo !) fut actée dix ans à peine après la tragédie (comparaison n’est pas raison mais notre voisin italien continue de traquer des faits d’armes de 1968) ; mais cette amnistie fut en partie obtenue au prix, pour beaucoup, de l’amnésie (voir Hugo… encore).

Évoquer 1871, c’est rappeler la force du projet communard. Aurélien Soucheyre, dans L’Humanité, en faisait ce bref et efficace bilan : « Instruction publique et gratuite, rétablissement du suffrage universel, séparation de l’Église et de l’État, réquisition des logements vacants, moratoire sur les dettes privées, reconnaissance de l’union libre, journée de travail de dix heures, fin de la vénalité des offices, premiers pas vers l’égalité salariale entre les sexes… » La Commune n’est décidément pas morte, comme dit Eugène Pottier ; non seulement ses revendications gardent une pertinence remarquable (démocratie, laïcité, féminisme, internationalisme) mais cette expérience a changé la conception même du socialisme et de la révolution. « La Commune, écrivait Engels en octobre 1884, a été le tombeau du vieux socialisme spécifiquement français mais elle a été en même temps le berceau du communisme international, nouveau pour la France. »

« La Commune n’est décidément pas morte, non seulement ses revendications gardent une pertinence remarquable mais cette expérience a changé la conception même du socialisme et de la révolution »

Cette actualité du printemps 1871 a un aspect paradoxal. Car si la Commune était résolument moderne, notre monde, lui, est à bien des égards régressif. N’entend-on pas dire ici ou là que le système de domination actuel est si violent qu’on a l’impression parfois de retourner au XIXe siècle ? Le politologue Jérôme Fourquet rappelait par exemple à propos des entreprises de commerce en ligne si florissantes ces temps-ci, et de la surexploitation des travailleurs de ce secteur : « Cela renvoie dans notre imaginaire collectif au XIXe siècle où l’on a vu l’apparition d’un sous-prolétariat payé à la tâche et vivant de manière très précaire. » Inversement, comme en miroir, on pourrait citer Marx qui, dans La Guerre civile en France, décrivait ainsi la société française de 1871 : « La misère des masses faisait un contraste criant avec l’étalage éhonté d’un luxe somptueux, dissolu et crapuleux. »

Nous avons voulu célébrer à notre manière ce cent-cinquantième anniversaire en invitant une vingtaine d’autrices et d’auteurs à réagir au mot « Commune ». Nous vous invitons à suivre les personnages qu’ils mettent en scène : Bertrand, le témoin d’un Paris en ruines, de Didier Daeninckx ; le retraité Parrot, de Chantal Montellier ; Napoléon III agonisant, de Jacques Mondoloni ; Gustave Courbet d’Alain Bellet ou de Gérard Streiff ; les foules fusillées du cimetière du Père-Lachaise, de Pierre Gauyat ; Léonide, la religieuse de François Salvaing ; la vox populi de Stéphanie Benson ; une « pétroleuse » qui cauchemarde, de Maïté Pinero ; Louisa, la jeune DRH, de Karim Miské ; les filles réfugiées dans les galeries souterraines de Belleville, de Jeanne Desaubry ; la bouquetière de Marseille, de Pierre Dharréville ; la femme au châle rouge, d’Évelyne Khun ; l’auteur lui-même et sa longue passion de la Commune par Max Obione ; Louise à Montmartre, d’Odile Conseil ; Eugène-Antoine, de Philippe Masselot ; Louise, d’Antoine Blocier ; la jeune Justine, de Marion Chemin. La fiction est bien souvent le plus court chemin vers la réalité, nous rappellent-ils, en nous faisant partager ce moment de gloire – et de deuil – rouge.

Gérard Streiff est rédacteur en chef de Cause commune. Il a coordonné ce dossier.

Cause commune n° 23 • mai/juin 2021