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Sur quelles contradictions du système s’appuyer pour avancer dans la construction d’une autre Europe.

À l’heure où ces lignes sont écrites, le résultat de la réunion du conseil européen du 19 juin sur le devenir de la proposition de la commission européenne d’un « fonds de relance » doté de 750 milliards d’euros n’est pas encore connu. Quoiqu’il en soit, une partie des bourgeoisies européennes s’est ralliée à une sorte de keynésianisme de l’offre, explicitement formulée par la déclaration commune des patronats allemand, français et italien, publiée le 11 mai. Prises d’effroi devant le gouffre que représente l’ampleur de la crise du capitalisme, ces organisations patronales appellent à injecter massivement de l’argent public dans l’économie. Ce keynésianisme de l’offre est également motivé par le fait que cette crise est avant tout une crise du capitalisme industriel, avant d’être une crise du capitalisme financier, ce qui la distingue de celle de 2008. Si on met cet appel en face d’un autre courant interne aux bourgeoisies européennes, tout aussi puissant, qui est, lui, arc-bouté sur l’orthodoxie budgétaire monétariste, le piège pour les peuples européens est redoutable. Car, parallèlement à la proposition de « fonds de relance », la commission a publié le paquet de printemps du semestre européen, passé largement inaperçu. Il vaut pourtant la peine de s’y pencher en détail. En substance, la commission y reconnaît que la suspension, provisoire, du pacte de stabilité et de croissance, met entre parenthèses les fameuses « recommandations » budgétaires imposées aux États membres. Mais il serait vain d’y chercher le moindre mea culpa de la responsabilité écrasante que porte l’européisme libéral sur le démantèlement des systèmes de santé publique, et encore moins l’annulation des soixante-trois « recommandations » précédentes qui enjoignaient aux États membres de baisser les dépenses de santé. De plus, le communiqué de presse de la commission qui accompagne ce paquet de printemps déclare explicitement : « Les recommandations [austéritaires] restent d’actualité et continueront de faire l’objet d’un suivi tout au long du cycle annuel du semestre européen de l’année prochaine. » Autrement dit, la commission non seulement propose aux États de l’UE un « plan de relance » surconditionné et qui peut les exposer à de futurs mémorandums austéritaires, mais encore annonce sa volonté de revenir le plus rapidement possible aux dogmes des traités européens.

« Nous sommes possiblement en train de vivre une nouvelle phase dans les ondes longues du capitalisme, dont la crise de la covid-19 accélère la mise en place. »

Alors, faut-il que tout change pour que rien ne change ? Il est certain que la commission européenne est prise dans les débats qui déchirent les bourgeoisies européennes. L’ampleur de la crise et l’absence hautement probable de « reprise en V » font que nous sommes possiblement en train de vivre une nouvelle phase dans les ondes longues du capitalisme, dont la crise de la covid-19 accélère la mise en place des coordonnées. Le passage, pas si mécanique, d’une phase à une autre, s’accompagne d’un changement des priorités de lutte de classe de la part des capitalistes. Le capitalisme vert, qui pétrit le green new deal européen, en est un.

L’émergence de nouvelles contradictions
- Sur l’argent et son utilisation. Les débats sur la dette, et même sur la remise en cause de l’indépendance de la BCE, sont relancés. Nos propositions d’un fonds de développement financé par les opérations de création monétaire de la BCE, de lutte contre l’évasion fiscale et d’annulation des dettes publiques permettent de dessiner un nouveau modèle de contrôle démocratique sur l’utilisation de l’argent en Europe, pour les services publics, pour l’augmentation des revenus des travailleurs et des travailleuses, pour l’emploi.

« La commission non seulement propose aux États de l’UE un “plan de relance” surconditionné et qui peut les exposer à de futurs mémorandums austéritaires, mais encore annonce sa volonté de revenir le plus rapidement possible aux dogmes des traités européens. »

- Sur le modèle de développement. Si une partie des écologistes européens se rallient de facto au capitalisme vert, cela ne peut pas être une perspective que nous défendons. La crise de la globalisation capitaliste met dans le débat la question des relocalisations industrielles et de la lutte partagée contre le dumping social, fiscal et écologique pour de nouveaux accords de coopération mutuellement bénéfiques entre les peuples.
- Sur la nature même d’une construction européenne. La suspension du pacte du stabilité et de croissance et le contournement d’un certain nombre de règles des traités européens, y compris par la BCE, permettent de mettre dans le débat cette question. C’est l’UE telle qu’elle s’est construite depuis l’acte unique de 1986 qui craque. Notre proposition d’Europe à géométrie choisie est plus que jamais à mettre en valeur. Chaque peuple fait des choix souverains et doit rester libre d’en changer à tout moment, par exemple en utilisant l’euro non pas comme une monnaie unique, mais comme une monnaie commune.
Ce sont là quelques défis auxquels la gauche doit répondre, dans une période où les rapports de force nécessaires sont à un niveau extrêmement élevé.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020