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Dans son livre Le Linceul du féminisme - Caresser l’islamisme dans le sens du voile (éditions Séramis, 2021), Naëm Bestandji utilise l’expression « extrême droite musulmane », expression qu’il est l’un des seuls à utiliser. Cause commune l’a interrogé pour mieux comprendre sa vision de l’islamisme.

Entretien avec Naëm Bestandji.

CC : Qu’est-ce que l’expression « extrême droite musulmane » désigne (idéologie et acteurs) aujourd’hui en France ?
Elle désigne deux types d’acteurs. Les principaux sont les islamistes. L’islamisme est une idéologie totalitaire qui s’appuie sur une religion, l’islam. Son interprétation de la religion est archaïque. Pour pratiquer son fondamentalisme en toute circonstance, l’islamisme veut sortir la religion de la sphère privée pour influer sur son environnement, voire le convertir. C’est l’intégrisme. Pour atteindre cet objectif, certains s’investissent pour changer à long terme la société de l’intérieur. D’autres s’y confrontent violemment par le terrorisme pour obtenir des résultats immédiats. Les premiers touchés sont les musulmans ayant une approche progressiste de l’islam et, plus généralement, ceux qui sont peu assidus à la pratique. Les islamistes considèrent qu’ils doivent être « réislamisés ». En tant que principal outil prosélyte, le sexisme du voile joue un rôle fondamental.

« Politiquement, les islamistes se situent à l’extrême droite. »

Le choix du voile comme cheval de Troie politique n’est pas un hasard. L’islamisme est une idéologie ultraréactionnaire sur le plan religieux et sociétal. Les intégristes musulmans sont par définition tout autant conservateurs que les intégristes des autres religions. Toutefois, les islamistes ont une longueur d’avance sur leur vision arriérée des femmes, car leur obsession sexuelle fait d’elles l’enjeu central de leur idéologie. Sur les thèmes des mœurs et de la famille, on peut difficilement être plus à l’extrême droite que les islamistes.
Les islamistes se situent à l’extrême droite de l’échiquier politique dans tous les pays musulmans. Comme l’extrême droite nationaliste, l’islamisme est ultra identitaire. C’est là qu’intervient la deuxième catégorie : les ultras-identitaires « Arabes »/musulmans. Peu pratiquants, voire pas du tout, l’islam relève pour eux de l’identité, voire de l’ethnie, à l’unisson avec les islamistes. Pour eux, on est « arabe »/musulman avant d’être français.
Comme l’extrême droite nationaliste, l’extrême droite musulmane considère qu’il y a « eux » et « nous ». Les musulmans, et surtout les musulmanes à travers le port du voile, sont appelés à ne pas adopter le mode de vie du pays dans lequel ils vivent, afin de ne pas perdre leur « identité ».
L’antisémitisme est aussi partagé par bon nombre des membres de cette extrême droite.

CC : Pourquoi vous êtes-vous senti obligé de forger une expression neuve ? Le terme « islamisme » ne suffisait-il pas ? Et celui d’« islamo-fascisme » (peut-être trop connoté à droite) ?
Le terme « islamisme » est flou pour la plupart des gens. Beaucoup considèrent, à tort, qu’il est synonyme de terrorisme. Sa définition est si complexe que je lui accorde une large part dans mon livre. « Islamo-fascisme » est une expression assez juste (l’islam instrumentalisé pour servir une idéologie totalitaire fasciste). Mais elle me semble moins claire et plus réductrice que « extrême droite musulmane ».
De plus, par une essentialisation « bienveillante », beaucoup croient que les musulmans forment un groupe monolithique à la pensée unique. Il n’y a rien de plus faux. Les musulmans sont comme tout le monde, pluriels. Il y a donc des musulmans de gauche, de droite, etc. Nommer le positionnement politique des islamistes permet de situer ces derniers.

« Sur le plan économique, il n’y a pas plus capitaliste que l’islamisme. Mais, par un regard compassionnel et condescendant hérité de la période coloniale, une partie de la gauche est séduite par leur discours victimaire et anti-impérialisme occidental (qu’ils veulent remplacer par
l’impérialisme islamiste). »

C’est d’autant plus nécessaire que l’islamisme joue sur nos codes pour se les approprier et nous les retourner. Une de leurs meilleures trouvailles est de se présenter en militants antiracistes. Leur racialisation de l’islam, qui est une démarche raciste, au-delà d’assigner « ethniquement » tous les musulmans, est aussi un de leurs outils victimaires. Enfin, comme la majorité des musulmans vit dans les quartiers populaires, le discours islamiste est teinté de social. Pourtant, sur le plan économique, il n’y a pas plus capitaliste que l’islamisme. Mais, par un regard compassionnel et condescendant hérité de la période coloniale, une partie de la gauche est séduite par leur discours victimaire et anti-impérialisme occidental (qu’ils veulent remplacer par l’impérialisme islamiste).

« Les musulmans sont comme tout le monde, pluriels. Il y a donc des musulmans de gauche, de droite, etc. Nommer le positionnement politique des islamistes permet de situer ces derniers. »

Il faut donc ouvrir les yeux de cette frange perdue de la gauche et permettre à l’ensemble des Français d’y voir plus clair. Pour cela, il faut commencer par nommer les choses pour ce qu’elles sont : politiquement, les islamistes se situent à l’extrême droite. Ainsi correctement situés, il devient compliqué à cette frange de la gauche de justifier son soutien, et parfois son alliance, à une extrême droite politico-religieuse.

CC : Effectivement, on sent que ce terme est aussi là pour questionner la gauche. Que peut-on lui reprocher sur ce terrain ?
Une frange de la gauche est très complaisante avec l’islamisme en le confondant avec l’ensemble des musulmans. Elle estime que LES musulmans sont par essence moyenâgeux et que, au nom du respect des cultures et de la différence, nous ne devons pas les critiquer et encore moins les accompagner vers plus de compatibilité avec nos valeurs. Au contraire, ce serait à nos valeurs de s’adapter pour mieux inclure cette population qui serait incapable d’évoluer. Cette assignation faite à l’ensemble des musulmans de rester confinés à une partie réductrice de leur être au nom du respect des cultures et d’une seule religion, et en combattant toute critique de l’islamisme, est une attitude paternaliste et condescendante héritée de l’époque coloniale.
Une frange de la gauche soutient alors l’extrême droite quand elle est musulmane et prétend la combattre quand elle est nationaliste. Dans la majorité des cas, le sexisme du voile sert de trait d’union et de catalyseur. Cette frange de la gauche s’assoit sur ses valeurs pour caresser l’extrême droite musulmane dans le sens du voile (d’où le sous-titre de mon livre). « L’inclusivité », c’est-à-dire inclure une idéologie totalitaire au nom de la tolérance, est à ce prix. Ces soutiens au sexisme « choisi », à la hiérarchisation de l’humanité en fonction du sexe et de la « race », par le biais de la bigoterie islamiste, favorisent l’enracinement de cette idéologie totalitaire. Ainsi, un cordon sanitaire a été créé par une partie de la gauche pour protéger l’extrême droite musulmane. Les islamistes n’ont plus besoin d’attaquer directement les laïques et les féministes universalistes. Cette gauche s’en charge.
L’autre problème est que ce soutien à l’extrême droite musulmane donne aussi de la vigueur à l’extrême droite nationaliste. L’un entretient l’autre.

« Sur les thèmes des mœurs et de la famille, on peut difficilement être plus à l’extrême droite que les islamistes. »

Il existe ainsi un clivage, y compris au sein même des partis, entre une gauche fidèle à son histoire et une autre qui s’en éloigne pour se rapprocher d’un intégrisme religieux et professer l’établissement d’un délit de blasphème spécifique à l’islam (« islamophobie »). Une position plus proche d’une droite réactionn<aire et conservatrice que d’une gauche progressiste et émancipatrice. Si nous avions eu cette gauche réactionnaire au XIXe et au début du XXe siècle, la loi de 1905 n’aurait jamais vu le jour, ou en tout cas pas sous la forme que nous connaissons.

CC : N’est-il pas souvent très difficile de discerner ce qui relève du prosélytisme religieux et ce qui relève de pratiques individuelles ? Au fond le risque n’est-il pas d’avoir un usage trop élastique de l’expression « extrême droite musulmane » ?
La question se pose aussi pour l’usage trop élastique d’« extrême droite » tout court. Beaucoup ont tendance à taxer d’« extrême droite », de « fascisme », tout ce qui ne se situe pas à leur gauche ou même tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. Quant au discernement entre prosélytisme religieux et pratiques individuelles, la question doit se poser pour toutes les religions.
À partir du moment où les définitions sont claires, les repères le sont aussi. Sachant que, pour les islamistes, le prosélytisme fait partie de la pratique religieuse. L’individualité de la pratique n’a aucun sens pour eux. Cela contribue à brouiller la notion de « liberté religieuse » et du principe de laïcité. Concernant le voile par exemple, son véritable terrain n’est pas la laïcité mais l’inégalité des sexes. En campant sur le terrain de la laïcité, on s’embourbe dans des débats infinis dont la laïcité ne sert que de prétexte à l’aménagement du sexisme et du patriarcat au nom de « la liberté religieuse ». Car l’intégralité des justifications du port du voile par ses prescripteurs (tous des hommes) concernent le sexisme. La laïcité n’est pas concernée, mais elle vient en appui car les islamistes brandissent le sexisme du voile comme l’étendard prosélyte de leur idéologie (peu importe les intentions de celles qui le portent). Leur stratégie politique et de communication fonctionne : à travers le sexisme du voile, l’islamisme est promu par une partie de la gauche, dont le féminisme intersectionnel. L’usage trop élastique de « laïcité », de considérer que la lutte contre le sexisme doit s’incliner s’il est déclaré être une « pratique religieuse individuelle » de l’islam(isme), inverse le rôle de la laïcité. Elle, qui était un bouclier pour les femmes, est instrumentalisée pour la transformer en bouclier de protection du sexisme et du patriarcat islamiste. Ainsi, ce dévoiement de la laïcité permet paradoxalement de protéger le prosélytisme de cet intégrisme religieux. C’est sans doute la plus belle réussite de l’extrême droite musulmane.

Propos recueillis par Florian Gulli

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022