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La montée de l’extrême droite héraultaise serait-elle l’illustration de la France des villes contre celle des campagnes ? La conclusion est tentante mais inexacte.

L’Hérault est un département coupé en deux. L’ouest et ses trois circonscriptions ont toutes basculé dans le Rassemblement national (RN), l’est et ses six circonscriptions sont partagés entre la France insoumise et la majorité présidentielle.
Il s’agit d’un découpage politique, social et économique. À l’ouest, l’Hérault rural, péri-urbain, les anciennes places fortes de l’industrie (Béziers-Sète) et de la viticulture. À l’est également, du rural et du péri-urbain, des zones viticoles en souffrance aussi mais surtout le poids démographique, économique et social de la métropole de Montpellier.
Dans le montpelliérain, le RN n’est présent au second tour « que » dans deux circonscriptions (4e et 8e). Il y est battu de justesse par LFI. En revanche, il manque de peu la qualification pour le second tour dans deux autres circonscriptions remportées par les candidats macronistes (1re et 9e) où c’est le score important des candidats de Zemmour qui l’élimine. Au premier tour, sur ces deux circonscriptions comprenant des parties significatives de Montpellier et de nombreux quartiers populaires, l’extrême droite cumulée est la première force politique. Pourtant aux municipales de 2020, elle ne dépassait pas les 5% à Montpellier.

Aggravation des conditions de vie, terre d’inégalités
La cartographie du vote RN (et Zemmour) se calque sur celle de l’abstention et celle de l’aggravation des conditions de vie. C’est dans les quartiers de Montpellier et leurs alentours où prédomine la classe moyenne que le vote d’extrême droite progresse, s’amplifiant au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la métropole. Dans les quartiers populaires, l’abstention est majoritaire avec l’émergence d’un vote antiraciste sur les candidats LFI, vote réflexe face à l’irruption surmédiatisée des thèses d’Éric Zemmour. Vote y compris relayé par les mosquées et, bien qu’il ne faille pas limiter ce vote à un réflexe religieux dénué de vote de classe, il existe et la situation mérite d’être analysée sérieusement.

« Nous devons avoir une analyse dialectique de la situation, de l’état réel de la lutte des classes et faire les choix politiques qui en découlent pour nous donner les leviers de battre cette extrême droite. »

À l’ouest, le double phénomène d’abstention massive des classes populaires et de vote RN des classes moyennes est exacerbé par l’explosion des inégalités sociales et le déclassement de la population.
À l’image du bassin minier ou de la Lorraine, c’est un territoire frappé de plein fouet par une profonde destruction de son économie entre la fin des années 1980 et les années 2000. L’agriculture, notamment la viticulture, et les poches industrielles (Béziers, bassin de Thau) qui ont fait l’économie héraultaise, ne représentent plus aujourd’hui qu’un emploi sur dix. Pour la viticulture, c’est une baisse de 35% sur la période ! La tertiarisation à outrance, en particulier le tout-tourisme, est directement responsable de l’effondrement de l’économie locale et de la moyenne de 25% de chômage sur le territoire.
La comparaison avec le nord et l’est s’arrête au fait que le territoire a connu une forte poussée démographique sur la période, due à plusieurs facteurs parmi lesquels l’explosion des résidences secondaires, dans le développement pavillonnaire (souvent sur les vignes arrachées) pour les classes moyennes et les retraités quittant les villes, souvent issus d’autres régions. Ces territoires sont aussi le fief d’une très riche bourgeoisie composée de grandes et anciennes familles, souvent héritières des fortunes du vin et de l’industrie, ou de « nouveaux riches » de l’industrie touristique. C’est une terre d’inégalités, marquées territorialement, visibles et palpables dès le plus jeune âge.

Effacement de la droite
La droite a d’abord bénéficié politiquement de ce cocktail mêlant vieillissement de la population et ghettoïsation des classes sociales : Béziers, Agde, Sète ont toutes basculé entre 1995 et 2001. L’extrême droite l’a remplacée progressivement par un phénomène de glissement engagé dès 1998 aux élections régionales où l’UDF s’est alliée au FN pour conserver la région à droite, avant que cette logique ne prenne la tournure d’une véritable fuite en avant.

« Le double phénomène d’abstention massive des classes populaires et de vote RN des classes moyennes est exacerbé par l’explosion des inégalités sociales et le déclassement de la population. »

Pour la droite, le constat est sans appel. Même dans ses bastions locaux (Agde, Sète, quelques villages dans le Biterrois), elle est systématiquement laminée à toutes les élections nationales et régionales. Pire, aux élections municipales de 2020, elle n’a pas fait 5 % dans la ville de Béziers qu’elle a pourtant gérée pendant dix-neuf ans. Elle n’avait aucun ancien élu sur sa liste… à la différence de celle de Robert Ménard !

Pour autant, l’extrême droite n’échappe pas aux contradictions qui sont inhérentes aux particularités de la composition de son socle électoral. Elle prospère sur des inégalités qu’elle ne peut résorber et est portée par un personnel politique issu d’une petite bourgeoisie qui a accompagné les néfastes évolutions de la société héraultaise ; changer de braquet irait contre ses intérêts !
En dépit de notre récente incapacité à empêcher les circonscriptions de Sète où de l’Ouest-Hérault à tomber dans les mains du RN, l’extrême droite marque un coup d’arrêt depuis peu dans les élections locales. Les municipales, les régionales et les départementales furent un sérieux revers pour le RN et Robert Ménard dans l’Hérault, incapables de gagner des positions. C’est là où la logique des « blocs » montre ses limites, plusieurs électeurs ont voté Ménard aux municipales, Delga aux régionales et Macron ou Mélenchon à la présidentielle !

« Électoralement, la gauche est capable de gagner quand elle porte un projet de progrès social mais aussi paradoxalement quand la droite républicaine se maintient politiquement. »

Électoralement, la gauche est capable de gagner quand elle porte un projet de progrès social mais aussi paradoxalement quand la droite républicaine se maintient politiquement. La récente et forte irruption des thèses portées par Éric Zemmour (entre 5 et 9%) comme l’abstention record démontrent l’importance de mener la bataille idéologique, de ne rien céder mais surtout de ne rien leur abandonner. Nous devons avoir une analyse dialectique de la situation, de l’état réel de la lutte des classes et faire les choix politiques qui en découlent pour nous donner les leviers permettant de battre cette extrême droite.

Nicolas Cossange est secrétaire de la fédération de l’Hérault et membre du conseil national du PCF. Il est conseiller municipal et communautaire de Béziers.

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022