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Face au danger de l’ultradroite en Europe, la construction d’alternatives de progrès dans chaque pays et à l’échelle d’une Union européenne restructurée est plus que jamais à l’ordre du jour.

Les élections européennes de mai 2019 ont confirmé l’essor de l’ultradroite européenne en concomitance avec le recul de la droite et de la social-démocratie, mettant fin ainsi au modèle d’alternance bipartisan Parti populaire européen – Parti socialiste européen, ces deux familles politiques étant, pour la première fois, minoritaires au parlement européen. La recherche d’un nouveau consensus avec les libéraux est à l’ordre du jour pour préserver, voire renforcer la gouvernance néolibérale de l’UE. Les autres caractéristiques du scrutin ont été la progression des écologistes et l’affaiblissement de la gauche de transformation sociale (Gauche unitaire européenne/ Gauche verte nordique [GUE-NGL]).

La montée de l’ultradroite
L’ultradroite s’est affirmée progressivement à partir du début des années 2000, et l’accession au gouvernement autrichien de l’extrême droite fascisante de Jörg Haider. En septembre 2000, un appel européen « Isoler Haider et sanctionner toute alliance avec l’extrême droite », était lancé à Stockholm par le Forum de la nouvelle gauche européenne à l’initiative du PCF et du Parti de gauche de Suède. Cette droite extrême a, depuis, pris appui sur l’aggravation de la crise financière du capitalisme – notamment à partir de 2008 – et de ses conséquences en Europe (augmentation du chômage, de la pauvreté, coupes drastiques dans les dépenses publiques), pour structurer un discours faisant de l’immigration le bouc émissaire de la crise (encadrement strict d’une immigration venant concurrencer les nationaux dans le partage des bénéfices de l’État providence). Parallèlement, la recrudescence des conflits en particulier au Moyen-Orient et en Afrique (Irak, Syrie, Libye) et ses conséquences – montée du terrorisme et afflux en Europe de nouveaux migrants d’origine musulmane – ont nourri la dénonciation par l’ultradroite d’une « islamisation rampante » de la société.

« L’ultradroite dirige les gouvernements de Hongrie et de Pologne et participe désormais au pouvoir en Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Italie, Slovaquie, Estonie, Bulgarie. »

Le développement et l’institutionnalisation en Europe des politiques ultralibérales et les conditions dans lesquelles s’est opéré l’élargissement à l’Est, tout comme la non-prise en compte, en France et aux Pays-Bas, du rejet majoritaire du traité constitutionnel européen (2005) ont eu aussi des effets nocifs : poussée d’un euroscepticisme de rejet et délégitimation des pouvoirs en place ; application de politiques de plus en plus régressives avec le démantèlement du social et répressives à l’encontre des migrants (mise en cause du droit d’asile). Tout cela a apporté de l’eau au moulin de l’ultradroite. À l’Est, avec le renforcement concomitant de l’ultranationalisme et l’exclusion des minorités nationales.
Ainsi, la frontière entre droite conservatrice et une extrême droite de plus en plus associée au pouvoir s’est progressivement estompée, comme en témoignent (en France depuis Sarkozy) l’exploitation des thématiques racistes et sécuritaires et la mise en cause des droits humains fondamentaux et des valeurs universelles, y compris certaines sur lesquelles l’UE a été fondée.

« La frontière entre droite conservatrice et une extrême droite de plus en plus associée au pouvoir s’est progressivement estompée. »

En deux décennies, les élections législatives dans la plupart des pays de l’UE, du centre de l’Europe à la Scandinavie et dans les pays fondateurs de l’UE, tels que la France, l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie n’ont cessé de renforcer l’ultradroite. Elle dirige les gouvernements de Hongrie et de Pologne et participe désormais au pouvoir en Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Italie, Slovaquie, Estonie, Bulgarie.

L’état des lieux après les élections européennes
La consolidation à la hausse de l’ultradroite pourrait mettre potentiellement en question
– si elle réussissait à s’unir – la gestion de l’actuelle gouvernance de l’UE et à peser sur ses politiques. Mais, malgré l’origine diversifiée des partis qui la composent – certains d’entre eux revendiquant encore leur origine postfasciste –, cette ultradroite autoritaire partage un fonds commun : ultralibéralisme sur le plan économique, politique de repli identitaire et ultranationalisme, rejet de l’establishment européen, xénophobie exacerbée sur fond d’hostilité à l’islam, rejet du multiculturalisme.
Avec 171 sièges sur 751 (155 en 2014) et avant la confirmation ou non du Brexit, l’ultradroite est actuellement répartie en trois groupes :
• Les Conservateurs et réformistes européens (ECR) (59 sièges contre 76) pourraient poursuivre leur dérive ultradroitière avec la baisse des conservateurs britanniques compensée par la progression du parti libéral populiste Ano en République tchèque et du PIS de Pologne. L’ECR pourrait également bénéficier de l’apport du Fidesz de Orban en Hongrie, si celui-ci se voyait contraint à quitter le PPE. Plus à droite encore, Les Vrais Finlandais et le Parti populaire danois, tout comme l’AFD d’Allemagne, les postfascistes « Démocrates suédois » et postfranquistes de Vox en Espagne, voire le Forum pour la démocratie aux Pays-Bas, pourraient également faire partie de ce groupe si la fusion avec l’un des deux autres groupes de l’ultradroite ne se faisait pas.
• L’Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD) (54 sièges contre 41) verrait son existence très compromise si le Brexit party du Royaume-Uni, en hausse (29 sièges), sortait du parlement européen en cas de Brexit.

« La consolidation à la hausse de l’ultradroite pourrait mettre potentiellement en question – si elle réussissait à s’unir – la gestion de l’actuelle gouvernance de l’UE et à peser sur ses politiques. »

• L’Europe des nations et des libertés (ENL) est la composante ultradroitière qui se renforce le plus avec d’ores et déjà 58 sièges contre 34. En Italie, la Ligue de Salvini (28 sièges contre 5) et, en France, le Rassemblement national (22 sièges contre 24) constituent l’ossature de ce groupe ; avec le Vlaams Belang de Belgique en hausse et un apport plus restreint de l’extrême droite estonienne, voire tchèque, l’ENL pourrait devenir le quatrième groupe du Parlement européen, si certaines recompositions s’opéraient au sein des trois groupes de l’ultradroite, après le Brexit.
En l’état des forces en présence, la tentative de rassembler toute l’ultradroite dans un groupe qui pourrait concurrencer à terme la droite du PPE semble hors de portée. Si le thème du rejet de l’immigration a été le dénominateur commun des extrémistes de droite, les désaccords concernant les traités européens et les alliances internationales peuvent entraver la restructuration en cours. Mais l’ultradroite peut désormais envisager la constitution, à terme, d’un groupe bien plus large que l’ENL, pouvant viser plus d’une centaine de députés, ce qui lui permettrait de concurrencer les libéraux et de peser ainsi plus fortement encore sur les choix des différentes instances de l’UE, en imposant les thématiques nationalistes, racistes et xénophobes.
Face à cet essor de l’ultradroite et malgré le contexte défavorable dû à l’affaiblissement de la gauche de transformation sociale, la nécessité de recréer les conditions d’une alternative de progrès dans chaque pays européen et à l’échelle d’une UE restructurée est plus que jamais à l’ordre du jour : contre les politiques de régression sociale qui ont considérablement élargi les fractures démocratiques ; contre les risques de dérives de plus en plus autoritaires, sécuritaires, qui alimentent peurs, exclusions et dérives national-populistes ; contre les conséquences des politiques désastreuses d’un capitalisme ravageur et fauteur de guerres et de conflits. Avec, pour cela, l’exigence de mobilisations citoyennes solidaires immédiates partout en Europe et dans le monde.

José Cordon est membre de la commission Relations internationales-Europe du conseil national du PCF.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019