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Le 7 juin dernier, le match d’ouverture France-Corée du Sud donnait le coup d’envoi au parc des Princes de la huitième édition de la coupe du monde féminine de football. Un événement mondial qui est l’occasion de mettre un coup de projecteur sur l’enjeu de l’accès au sport, et à tous les sports, des filles et des femmes.

Un enjeu essentiel pour la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) féministe avant l’heure dès sa création en 1934 et qui cherche aujourd’hui à développer les pratiques sportives mixtes, émancipatrices, notamment en football. 

Des ouvrières comme pionnières dès 1896
Qui connaît le British Ladies’ Football Club, Fémina Sport ou encore les Dick Kerr’s Ladies ? Dans Une histoire populaire du football (éditions La Découverte, 2018), Mickaël Correia raconte cette épopée des pionnières du football, à l’image d’Emma Clarke, ouvrière noire de Liverpool et d’autres femmes de condition modeste, qui rassemblent dès la fin du XIXe siècle près de 10 000 spectateurs dans les stades, jusqu’à 53 000 en 1920 ! Face à ce succès grandissant et au début de professionnalisation de certaines joueuses, les fédérations anglaises puis françaises de football bannissent les femmes de leurs terrains. Les matchs sont tout simplement interdits. Au même titre que Pierre de Coubertin estimait que les femmes n’étaient bonnes « qu’à couronner les têtes des vainqueurs », les dirigeants et journalistes du sport français ont craint une appropriation par les femmes de leur corps, de leur jeu et d’une certaine forme de pouvoir. Cette tendance perdurera longtemps de considérer que le soccer en particulier n’était pas fait pour le « second sexe », et devait demeurer « un fief de virilité » ; même l’URSS reprendra ce point de vue. Il fallut attendre les années 1970 pour que le football féminin soit reconnu par les instances fédérales. Il se développe alors avec des figures aujourd’hui médiatisées telles que Michèle Monier, capitaine de l’équipe de France, qui joue sa première coupe du monde au Mexique en 1971. Dans les années 1990, Marinette Pichon a permis de populariser que les femmes pouvaient jouer au foot au meilleur niveau.

« Le football contribue à l’enjeu politique d’émancipation en mettant en scène le corps autrement que dans les stéréotypes d’une féminité décrétée. »

Le sport populaire n’a pas été en reste. Avec l’idée que le sport doit être un droit pour toutes et tous, une source de plaisir et d’émancipation, dès les années 1950, la FSGT a commencé à ouvrir des disciplines jusqu’alors interdites aux femmes en compétition : cyclisme, judo, lutte, saut à la per­che… et même décathlon. De nombreuses associations de la FSGT créent à partir des années 1970 des sections féminines de foot, à l’instar de l’AS Drancy, même s’il faut reconnaître que notre fédération n’a pas su concrétiser ce développement.

Un enjeu politique d’émancipation des femmes
Derrière l’effet coupe féminine de foot se cache une autre réalité : celle d’une pratique sportive très faible aujourd’hui chez les femmes. À peine 40 000 licenciées dans les clubs français. La médiatisation est certes importante et exceptionnelle, mais on se rend également compte que l’ouverture de la coupe d’Afrique des nations (CAN) commence à prendre le dessus. Le sexisme, à l’image des commentaires lors du journal télévisé de 13 heures sur TF1 illustrant un dribble de la phrase « une maille à l’endroit, une maille à l’envers » est toujours très présent. À ce jour, une seule femme, Stéphanie Frappart, est promue comme arbitre centrale en Ligue 1. Saluons également la décision d’Ada Hegerberg, joueuse norvégienne à l’Olympique lyonnais de boycotter la coupe du monde pour refuser des salaires inférieurs à ceux des hommes, alors que dans le même temps certaines joueuses françaises ont suggéré sur plusieurs média que ces inégalités n’étaient pas si illégitimes. Le chemin à parcourir est encore long. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreux clubs féministes ont été créés, notamment les Dégommeuses ou encore le Football Club Paris Arc en ciel. Le football contribue à l’enjeu politique d’émancipation en mettant en scène le corps autrement que dans les stéréotypes d’une féminité décrétée. Parmi les réalités d’inégalités d’accès notons également les nombreux stades municipaux exclusivement réservés, en fait, aux hommes. Les parties de foot dans les cours de récréation sont encore bien souvent réservées aux seuls garçons. Le travail sur la déconstruction des stéréotypes est un enjeu essentiel de longue durée. Il commence évidemment à l’école dans le cadre des cours d’éducation physique et sportive, mais il s’agit d’une lutte politique à l’échelle de la société pour l’égalité et les droits des femmes. Le sport et le football en particulier ne font pas exception.

« Casser le mur des genres en construisant un foot mixte, qui existe d’ailleurs déjà partiellement (jusqu’à 13 ans les filles évoluent avec les garçons en club). »

Le pari de la mixité du football
À en croire la présence des filles et des femmes dans les stades actuellement, la coupe féminine de football, leur nombre pourrait augmenter dans les clubs. À condition, toutefois, que les dirigeants des clubs et les élus locaux décident équilibrer l’attribution des terrains et les créneaux entre filles et garçons. En Seine-Saint-Denis et à Paris, la FSGT s’organise pour développer tournois et championnats de football féminin autoarbitrés à 7, tout en construisant d’ores et déjà des échanges internationaux. En Seine-Saint-Denis, le projet prend place dans une démarche globale visant à faciliter l’accès des filles à des sports stéréotypés sur la question du genre, et à travailler avec elles la déconstruction de ces stéréotypes. Le 6 juin dernier, le festival du film sportif de la FSGT 93 conjuguait ainsi le sport au féminin en invitant les élèves de collèges à scénariser et réaliser neuf courts-métrages sur la question des clichés sexistes dans le sport. L’autre perspective est aussi de casser le mur des genres en construisant un foot mixte, qui existe d’ailleurs déjà partiellement (jusqu’à 13 ans les filles évoluent avec les garçons en club). Le 19 juin, la FSGT 75, en partenariat avec son club Les Sportif.ve.s et la mairie du 2e arrondissement, organisait le premier tournoi de football mixte sur la place de la Bourse. Trois catégories d’âges se sont spontanément mises en place dans l’après-midi, les petits, les ados et les adultes. Un véritable succès avec autant de filles que de garçons et des niveaux de jeu équivalents, en particulier chez les petits. Le pari de la mixité, qu’elle soit sociale ou genrée, est posé avec derrière l’enjeu de l’égalité, du progrès et de l’émancipation de toutes et tous.

Emmanuelle Bonnet Ouladj est coprésidente de la FSGT.