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Même marquée par bien des vicissitudes, des virages et des erreurs, l’histoire du PCF se conjugue avec une place quasi existentielle de la culture. C’est un acquis puissant pour aujourd’hui à condition d’être fondamentalement dans le présent.

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L’engagement des artistes et des intellectuels
« Transformer le monde », a dit Marx ; « changer la vie », a dit Rimbaud » ; « ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un », affirmait André Breton. Quel symbole que ces cinq tout jeunes poètes qui donnèrent en janvier 1927 leur adhésion « collective » au Parti communiste français : Louis Aragon, Jacques Baron, André Breton, Paul Eluard, Benjamin Péret et Pierre Unik. Ils avaient entre 18 et 30 ans. Leurs valeurs, affirmaient-ils : l’antimilitarisme, l’internationalisme, l’anticolonialisme. C’est ainsi qu’ils disent se reconnaître dans le PCF, même si le compagnonnage fut un véritable paradoxe, eux campant sur des certitudes quelque peu nihilistes parfois, et un parti qui ne leur offre pas les moyens de peser sur les orientations politiques, tout en accentuant son isolement dans la société dans une ligne « classe contre classe ».

« Ensemble, nous pouvons beaucoup pour redonner sens au mot partage.»

Plus tard, un nombre considérable de grands artistes, d’intellectuels ont « fréquenté » ou ont été membres du parti communiste. L’attachement et les attentes à l’égard de celui-ci ont été si forts que les ruptures pour beaucoup dues aux drames du stalinisme ont été de profondes déchirures. Ce parti, parfois si sûr de lui, n’a pas su et n’a pas voulu voir combien sa propre proximité au monde de l’art – comme sa proximité d’avec le peuple d’ailleurs – lui imposait de responsabilités, et combien devenait inconciliable un projet d’émancipation humaine avec le dirigisme, l’art d’État, la primauté du politique sur le sensible. Et pourtant, des travaux, des recherches, des remises en cause profondes, le débroussaillage d’idées anciennes pour faire place à des innovations ont été conduits. En décembre 1968, on peut lire sous la plume d’Aragon, dans un texte fondateur pour l’époque – Le Manifeste de Champigny – qui place la démocratie comme axe majeur de la transformation sociale : « La culture, c’est le trésor accumulé des créations humaines. Et la création artistique et littéraire est aussi précieuse que la création scientifique, dont elle ouvre parfois les voies. […] L’héritage culturel se fait chaque jour, il a toujours été créé au présent, c’est le présent qui devient le passé, c’est-à-dire l’héritage. C’est pourquoi l’on ne saurait limiter à aucun moment le droit qu’ont les créateurs à la recherche. »
À propos de la culture scientifique, en 1985, le grand mathématicien récemment disparu, Jean-Pierre Kahane disait : « Chaque individu ou groupe social a besoin d’un système de repères pour se retrouver dans un monde en pleine évolution, ce qui suppose des repères tout à la fois fiables et mobiles, des repères qui épousent le mouvement des connaissances » et, plus loin, « on ne trouvera les repères convenables pour maîtriser notre époque, qu’en restant au niveau des connaissances scientifiques et techniques » ; « il ne s’agit pas de tout savoir, mais d’épouser les grands mouvements ; être capable, avec ces repères, de porter un regard critique sur l’évolution du repère lui-même ».

« Il faut placer la culture au cœur du changement démocratique et, d’un même mouvement placer le changement démocratique lui-même au cœur de la culture.»

Et, en 1997, Antoine Casanova, autre grand intellectuel communiste, lui aussi disparu très récemment, disait à propos des œuvres artistiques qu’elles ont « une immense et subtile capacité de résonances symboliques directes et indirectes, conscientes et inconscientes, qui sont tout à la fois historiquement situables et historiquement mouvantes et inépuisables. […] L’accès à ces œuvres et aux pratiques qui s’y rattachent est ainsi source d’irremplaçables possibilités dans l’exercice de toutes les formes d’activité de mémoire et de pensée comme dans la perception la plus fine des multiples relations entre les différents niveaux du réel. L’appropriation des dimensions esthétiques de la culture constitue ainsi une richesse dont l’absence est mutilante pour les citoyens ». Et je fais totalement miens ses autres propos d’une grande clairvoyance face aux mutations profondes de la société du XXIe siècle : « La culture […] est ainsi constituée par tout ce qui contribue à faire d’un sujet humain un être social, pleinement développé. La formation et l’enseignement, l’activité productrice et les qualifications, la connaissance scientifique et technologique, la pratique de toutes les formes d’expression artistique, l’exercice de la démocratie (de l’entreprise à la cité, la région, la nation) constituent autant de moyens et d’outillages matériels et symboliques pour élargir les capacités humaines, donc autant de moyens de culture. »  

Culture et inégalités sociales, enjeu de démocratie
En vérité, ce qu’on peut entendre par culture n’est ni « supplément d’âme », ni être en confusion avec le divertissement. Elle doit être l’objet d’une bataille politique et démocratique incessante en vue de son élargissement. La culture, dans sa complexité, dans son étendue, est un des outils essentiels qui construit cet être social pleinement développé. Voilà sans doute le cœur de la question : comment agir le plus concrètement possible pour favoriser le développement d’une démocratie étendue à des rivages nouveaux pour l’intervention humaine dans tous les aspects de la vie, aussi bien qu’ouverte à toutes les formes d’art comme aux pratiques artistiques inclu­ant un développement considérable de l’éducation populaire par toutes les formes d’échanges.
Au-delà des obstacles rencontrés, des idées dévoyées dans le communisme, réfléchissons à la manière dont ce collectif humain a su puiser les ressources théoriques, mais aussi animer des engagements concrets, lever les obstacles et ouvrir de nouveaux chemins. Soulignons, par exemple, l’esprit de novation et le courage qui a conduit les municipalités à direction communiste à développer la culture dans leurs villes dès les années 1950 : les dotant d’établissements dédiés, invitant des artistes, favorisant les pratiques pour tous. Ces villes ont été et pour certaines sont encore des modèles de développement culturel. Je songe aussi aux nombreux élus communistes ayant la culture dans leurs responsabilités et qui ont joué et jouent un rôle moteur dans leur localité ou institution, et à la Fête de l’Humanité, dé­mons­tration de la rencontre entre art et peuple.
Jack Ralite disait : « Les œuvres sont intransigeantes et ce qui peut aussi améliorer leur appropriation par le plus grand nombre, c’est d’abord le recul des inégalités sociales et territoriales qui ont tendance à exploser en ces temps où la précarité, le chômage de masse, les bas salaires, le culte de la violence, l’idéologie asservissante du divertissement rendent difficile et quelquefois impossible une nouvelle rencontre entre le peuple et la culture. »

« Prendre à bras-le-corps ce qui naît de positif dans notre monde, sortir des vieux codes, refuser les entre-soi.»

Il faut placer la culture au cœur du changement dé́mocratique et, d’un même mouvement placer le changement démocratique lui-même au cœur de la culture. La société du XXIe siècle ne pourra se développer sans le partage des savoirs et de la culture, ni sans un considérable effort de formation et d’ouverture au monde, à la création. Jamais les besoins de formation et de créativité n’ont été si nécessaires mais le capitalisme financier conduit toute la socié́té dans le mur. Pour sortir de cette contradiction, il faut partager avec justice et équité les compé́tences entre l’é́tat et les collectivités locales, en arrêtant de dépouiller budgétairement les politiques culturelles, pour garantir les droits culturels. Un service public de l’Internet permettrait le libre partage des savoirs, des œuvres et des idées. La promotion de formes nouvelles de production devrait s’ouvrir à la cré́ation et à la diffusion de l’art dans la pluralité et la diversité des expressions mais aussi à toutes les pratiques avec un essor sans précédent de l’éducation populaire. Les programmes et pratiques scolaires doivent être repensés, pour construire une culture commune de haut niveau et donner, à tous, les moyens de se l’approprier. Socialisation de l’art, développement de l’esprit critique, travail de rapprochement entre art et éducation populaire, soutien aux créatrices et créateurs ainsi qu’aux militantes et militants de l’action culturelle et artistique à l’école, dans la cité́, dans l’espace du travail. Les pratiques sociales et culturelles se modifient. La révolution numérique bouleverse aussi bien le rapport que les accès aux biens culturels. Elle pose des questions nouvelles et beaucoup de gens y travaillent, cherchent des voies positives pour le développement humain. Il est devenu indispensable de soutenir recherches et expérimentations. Ainsi, ce questionnement en débat chez le personnel de médiathèques : « Comment les centres culturels peuvent-ils adapter leur offre aux nouvelles attentes ? Quelles sont la place et la légitimité de la médiathèque sur le territoire culturel ? [...] Quel est l’avenir du livre et de sa médiation à l’ère du numérique ? [...] Y aura-t-il encore des enfants lecteurs au XXIe siècle ? » C’est aussi la place du jeu vidéo qui est examinée, le rôle de l’écran tactile pour écrire, créer et raconter, mais aussi la place du livre papier, son utilité et même sa nécessité qui sont examinées. L’un de ces colloques prend pour thème : « Des structures du monde entier expérimentent, innovent, inventent chaque jour les troisièmes lieux de demain ».
Les pratiques nouvelles laissées dans les mains du marché aggravent les clivages sociaux. Comme l’indique un rapport ministériel paru en 2008 : « Les jeunes et les milieux favorisés sont les principaux utilisateurs de l’Internet et des nouveaux é́crans, à la différence de la télé́vision dont la consommation a toujours été plutôt le fait des personnes âgées et peu diplômées. » Quant à la lecture, les différences entre milieux sociaux ont eu tendance à se creuser au cours de la dernière décennie du fait du décrochage d’une partie des milieux populaires, notamment ouvriers. Mesurons-nous assez la profondeur des change­ments en cours chez les jeunes générations. Le même rapport nous dit ainsi que : « Les personnes de moins de 35 ans sont les principales responsables de la baisse de la durée d’écoute de la radio et de la télévision au cours de la dernière décennie, elles affirment sans ambages leur préférence pour les films et les musiques anglo-saxonnes à la différence de leurs aînés, et ont activement participé au recul de la lecture de quotidiens et de livres tout en manifestant certains signes potentiellement inquiètants en matière de fréquentation des équipements culturels : légère baisse de la fréquentation régulière des salles de cinéma masquée au plan géné́ral par la progression des 45 ans, tassement de l’inscription et de la fréquentation des bibliothèques, recul dans le domaine des musées et surtout des concerts de musique classique. »

« Si nous révolutionnions la culture pour cultiver la révolution ?»

Aucune de ces questions – et il y en a bien d’autres – n’est secondaire. Elles posent toutes, bien au-delà de leur spécificité, le grand enjeu des droits et des pouvoirs partagés. Soit le pouvoir de l’argent domine et impose ses solutions durablement, et c’est la voie royale pour une société où priment l’individualisme et la concurrence, une société où la course au profit conduit à la médiocrité, voire à la violence ou à l’intolérance. Soit l’accès à des pouvoirs et à des moyens nouveaux pour les artistes comme pour les citoyens devient incontournable.
Alors il faudra créer des lieux d’échan­ges, « pousser » l’éducation artistique à l’école, mener une offensive pour la démocratisation des actuels lieux culturels, créer une télévision ouverte, pluraliste et inspirée, aider le cinéma de création, investir d’intelligence et de créativité les nouveaux supports, bref remettre la culture au cœur des politiques comme le défi de ce siècle.
Le chantier de la culture va de pair avec la lutte contre les inégalités. Le psychanalyste Roland Gori le dit à sa façon : « La France qui se lève tôt n’a plus le temps de raconter ses rêves. Lorsqu’on n’a plus le temps de raconter des histoires, on tend vers une société purement animale, où chacun est assigné à une tâche fonctionnelle. La grande menace, c’est que nous vivons dans une civilisation technico-économique qui laisse peu de place à la pensée. Sans culture, nous n’avons aucune chance de pouvoir un jour construire notre identité. » 

Des travaux, des expériences nouvelles ouvrent des voies
Le logiciel communiste qui place les droits et les pouvoirs comme moteur de l’action a véritablement la capacité de répondre à ces enjeux. Il ne s’agit pas seulement de défendre l’existant mais aussi de mener les batailles cons­tructives et potentiellement ga­gnan­tes pour répondre à ces nouveaux défis dans un esprit d’action commune avec toutes et tous.
Ici c’est le credo de Federico Garcia Lorca qui revit disant : « Il faut que la poésie sorte du livre et aille dans la rue. » Je pense par exemple à ces arts mais aussi à ces pratiques de la rue qui font beaucoup pour toucher, émouvoir le plus grand nombre. Les pratiques créatrices souvent conduites par des jeunes réinventent les chemins de la poésie et de la danse avec le spam, le rap ou les danses urbaines.
Au cœur de notre monde bouleversé, des expériences nouvelles conduites par des artistes dans des zones rurales lient ce nouveau monde – la ruralité – ou le périurbain avec la création, emportent ici les spectateurs-citoyens à bicyclette dans des décors naturels, se réappropriant d’un même mouvement leur propre paysage et leur sensibilité, ou là créent des joutes de philosophie entre villages, ou encore des épiceries culturelles itinérantes ou de quartier, afin, but ultime, de n’oublier personne.
Des élus locaux se mobilisent pour leur cinéma de quartier ou de village, investissent pour des médiathèques de notre temps, qui font en sorte que le patrimoine ne soit pas restreint à une petite couche de la population.
Concours d’écriture, de photographie, et même poste de poète créé dans un département de France, des événements bousculent la société loin des cercles prétendus érudits qui si souvent parlent en son nom. Le monde associatif si vigoureux malgré la crise et la suppression de leurs emplois répond aux enjeux considérables du bien vivre ensemble en favorisant les réseaux d’échange et de savoir, ou encore en construisant les passerelles avec les artistes. Pour tout cela, l’éducation populaire est la pierre angulaire
Prendre à bras-le-corps ce qui naît de positif dans notre monde, sortir des vieux codes, refuser les entre-soi parfois aveugles au monde, démultiplier la lutte pour la démocratie culturelle, ouvrir portes et fenêtres de lieux culturels qui, malgré leurs efforts, restent bien souvent trop des temples et moins des laboratoires vivant de la citoyenneté comme de l’émotion et de la réflexion.

Faire du commun
Ce monde dominé par le 1 % de la rentabilité à tout prix conduit avec violence à l’uniformisation et à la normalisation des cultures sur un modèle unique alors que la diversité des sources et des pratiques est essentielle parce qu’elle crée les passerelles et les liens forts entre les humains. La notion de patrimoine commun se heurte aux lois d’un marché qui impose les mêmes musiques sur les radios et les télévisions, souvent les mêmes auteurs, les mêmes films des « majors-compagnies », etc. En parallèle, un milieu de la culture, créatif et imaginatif mais qui, face aux déferlantes libérales, s’enferme parfois quelque peu dans l’entre-soi.
Ne devons-nous pas, ensemble, trouver les chemins de cette indispensable appropriation populaire de la culture et en faire une cause nationale. L’heure est venue d’un nouvel élan. Je souhaite lancer cet appel : « Ensemble, regardons ce monde en face et prenons la mesure des désastres qui sont déjà là et ceux, si graves, qu’annoncerait renoncement ou démobilisation. Ensemble, nous pouvons beaucoup pour redonner sens au mot partage. » Mon appel, à l’opposé d’un caporalisme utilitariste de la création, est une main tendue et une invitation à faire du commun dans une diversité ouverte et constructive. Des milliers d’artistes, des professionnels de toutes disciplines « labourent » le terrain. Pris dans les rets de régimes sociaux injustes et dépassés, ils sont, dans les quartiers de nos villes ou dans les zones rurales, des travailleurs infatigables et si peu reconnus parfois par leur propre milieu.
Parlant de droits culturels, de coconstruction avec les habitants, de participation, un colloque de responsables de services culture recentre le débat : « Il s’agit de passer d’une conception esthétique de la culture à une dimension anthropologique, et de reposer le lien entre art, société, culture et éducation. Les enjeux aujourd’hui ne concernent plus uniquement l’objet art, mais le mieux vivre ensemble, l’accè̀s à sa propre identité et le développement de ses potentialités. »
Beaucoup de choses nous invitent sans aucun doute à revisiter ce qui a fait la culture depuis les années 1950. Je souhaite qu’on ait ces débats car ils sont importants. Et puis, par exemple, ne faut-il pas concevoir les institutions culturelles non plus comme des lieux principalement dédiés à̀ la diffusion d’une offre, mais comme des lieux de ressources en direction des populations ? Vaste chantier d’innovation. Et même si, dans le projet communiste, la dimension culturelle est au cœur, ne devons-nous pas engager nous-mêmes une véritable mobilisation contre ce qui se vit trop souvent comme un affaiblissement de la cause culturelle vécue en enjeu politique et citoyen ?
Ne faut-il donc pas écrire partout pour poursuivre notre trilogie républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » : « Des savoirs, des droits et des pouvoirs », tout comme le pain, la paix et la liberté de 1936. Des savoirs pour comprendre le monde et agir sur lui et des savoirs pour s’émouvoir aussi. Des droits à vivre libre et en paix, des droits pour soi et des droits pour toutes et tous ; et puis des pouvoirs dans la ville, dans le pays, dans l’entreprise, pour que le 1 % ne dicte plus sa loi à l’immensité humaine. Alors, pour tout cela, pour notre avenir partagé et pour reconstruire le souffle d’un communisme ancré dans l’objectif d’émancipation, le besoin de culture est d’une intense priorité.
Alors, et si nous révolutionnions la culture pour cultiver la révolution ? l

Marc Brynhole est membre de l’exécutif national du PCF et animateur du collectif Idées. Il a été élu à la culture de la région Centre de 1998 à 2015 et de La Ferté-Saint-Aubin de 2001 à 2014.

Cause commune n° 7 - septembre/octobre 2018