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Au regard des données chiffrées et des détresses humaines engendrées, l’enfermement amplifie la dégradation des situations.
Par Olivier Clochard

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Le 15 janvier 2019, la Direction générale des étrangers en France (DGEF) a publié les premiers chiffres relatifs à la situation migratoire de l’année 2018 en France. On y trouve des statistiques sur la délivrance des visas (3 571 388 dont près de 94 % sont des visas de court séjour) et des titres de séjours (255 550), les demandes d’asile enregistrées (113 322), le nombre d’étrangers « sans papiers » qui ont fait l’objet d’un éloignement forcé depuis la métropole (15 677).
Dans ce panorama chiffré, il y a deux absences notoires : l’estimation du nombre de personnes ayant quitté le territoire, qui permettrait de rappeler que les migrations ne sont pas unidirectionnelles ; et le nombre d’étrangers qui ont été enfermés dans les centres de rétention administrative (CRA), parce qu’ils ne disposaient pas de titre de séjour ou de document de voyage en règle. Or, en comparant les effectifs des personnes placées en rétention administrative en métropole à ceux des éloignements forcés, on constate qu’un peu plus d’une personne sur deux est renvoyée dans son pays d’origine (de l’ordre de 55 % pour la période 2011-2018). Et cette politique a un coût financier et humain.

« Un calcul a minima permet ainsi d’estimer à plus de 313 millions d’euros le coût annuel des expulsions réalisées en métropole, et c’est sans compter les montants des tentatives de renvois qui n’ont pas réussi et des seuls placements en CRA. »

Sur le plan financier, le coût moyen de l’expulsion avait été estimé en 2009 par Damien de Blic à plus de 26 000 euros. En 2018, la CIMADE le chiffre à plus de 20 000 euros. Un calcul a minima permet ainsi d’estimer à plus de 313 millions d’euros le coût annuel des expulsions réalisées en métropole, et c’est sans compter les montants des tentatives de renvois qui n’ont pas réussi et des seuls placements en CRA.

Des détresses humaines
Sur le plan humain, ces dispositifs ne cessent de fragiliser les personnes qui y sont maintenues. Pour rappel, la durée maximale de rétention administrative est passée de sept jours en 1981 à quarante-cinq jours en 2011 et, avec l’adoption de la loi sur l’asile et l’immigration de 2018, la durée maximale de rétention autorisée a été portée à quatre-vingt-dix jours. À ces durées d’enfermement, il faut associer le désarroi de nombreuses personnes détenues (éloignement de leur famille, impossibilité de récupérer leur salaire lorsqu’elles travaillent, etc.), les difficultés pour accéder à des soins et les violences policières. Ces situations entraînent chaque année dans les CRA divers mouvements de contestation. En janvier 2018, ce sont près de 110 personnes qui étaient en grève de la faim dans les CRA de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Ces revendications interrogent l’esprit et l’utilisation sociale du droit, surtout quand les lois ne sont pas respectées par les autorités. La CIMADE ne cesse de rappeler que de nombreuses personnes sont enfermées en rétention pour être expulsées alors qu’elles ont droit à un titre de séjour.
Outre ces détresses humaines, nous pourrions aussi rappeler que les autorités françaises consentent de plus en plus à enfermer des enfants seuls ou accompagnés de leur famille, bien que la directive « retour » mentionne que ces placements ne doivent se faire qu’« en dernier ressort et pour la période appropriée la plus brève possible » (304 enfants en 2017 alors que leur effectif était de 40 en 2013), et avec une durée moyenne qui est passée de 2011 à 2016 de 8,7 à 12, 2 jours.
En totalisant les effectifs (cf. tableau 1 ci-dessous) des personnes maintenues dans les CRA de la métropole et ceux des collectivités territoriales d’outre-mer, on compte entre 40 000 et 50 000 personnes (femmes, hommes, enfants) qui sont enfermées chaque année.

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Légende : en gris, la situation en métropole ; en bleu, la situation en outre-mer.
Sources : Direction générale des étrangers en France, 2019 ; DGEF (2017) Les Étrangers en France.

« Avec les évolutions restrictives des politiques migratoires qui s’opèrent depuis près de quarante ans, une partie des étrangers n’a d’autre choix que d’emprunter des voies irrégulières pour venir en France. »

Mais ce tableau n’est pas complet, il faut également compter les personnes qui au moment de leur arrivée sur le territoire, sont confinées dans des zones d’attente (8 198 en 2016) ou des postes de police parce que les autorités refusent de les admettre sur le territoire français. Dans les zones d’attente, la durée maximale de maintien est de vingt jours ; dans les commissariats, les durées d’enfermement sont beaucoup plus brèves (de quelques heures à plusieurs jours) mais pas moins traumatisantes. Pour exemple, « l’accueil » réservé aux migrants traversant les Alpes par les cols de l’Échelle ou de Montgenèvre dans la région de Briançon n’est pas la moindre des violences. Après avoir marché plusieurs kilomè­tres par des températures inférieures à - 15°C, voire -20°C, des personnes se retrouvent parfois enfermées avant d’être renvoyées alors qu’elles nécessiteraient bien souvent d’avoir des soins, d’être prises en charge dans des structures octroyant un accompagnement social et juridique. Ces situations ont augmenté de manière importante sur la période 2011 à 2016, passant de 23 000 à 70 000 non-admissions, chiffre qu’il convient de prendre avec précaution, une même personne pouvant faire l’objet de plusieurs procédures de non-admission.
Enfin, pour terminer, il importe également d’inclure les personnes étrangères assignées à résidence dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis 2011 (cf. tableau 2 ci-dessous).

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Sources : Direction générale des étrangers en France (DGEF).

Ces alternatives à la rétention administrative, combinées aux systèmes biométriques et aux bracelets électroniques, visent à renforcer la géolocalisation sécuritaire des migrants en vue de les expulser. Cette matrice moins visible de la lutte contre l’immigration clandestine peut aussi précéder d’autres formes d’enfermement plus « classiques » comme la prison, lorsque les personnes s’opposent à leur renvoi. Car, faute de ne plus pouvoir pénaliser l’irrégularité du séjour, les gouvernements successifs ont amendé la législation en y incorporant des infractions spécifiques pour les étrangers en situation irrégulière. Le 28 avril 2011, la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a remis en cause la pénalisation de l’irrégularité du séjour des étrangers (affaire Hassen El Dridi, alias Soufi Karim).

« La durée maximale de rétention administrative est passée de sept jours en 1981 à quarante-cinq jours en 2011, et avec l’adoption de la loi sur l’asile et l’immigration de 2018, la durée maximale de rétention autorisée a été portée à quatre-vingt-dix jours. »

Un devoir civique : rejeter l’enfermement
Or, au regard des chiffres que la DGEF publie, on voit bien que l’enfermement ne conduit nullement à une meilleure gestion des migrations, c’est-à-dire que les étrangers usent de voies légales pour venir en France. Bien au contraire, avec les évolutions restrictives des politiques migratoires qui s’opèrent depuis près de quarante ans, une partie des étrangers n’a d’autre choix que d’emprunter des voies irrégulières pour venir en France. Et sur ces routes que nombre d’exilés empruntent, les autorités ont recours, de manière différenciée et croissante, à diverses formes d’enfermement.
Par ailleurs, ces processus conduisent bien plus à monter des personnes les unes contre les autres qu’à accepter ou promouvoir l’idée que des étrangers sont à la recherche de meilleures conditions d’existence. Et lorsque des ressortissants européens viennent en aide à ces exilés, ce n’est pas faire le jeu des passeurs, comme Hubert Védrine l’a exprimé dans un entretien à Jeune Afrique du 2 janvier 2019 et comme bien d’autres le pensent, c’est chercher à encourager pleinement des actions hospitalières à la place de ces politiques déshumanisantes.

« Les contrôles migratoires établis aux frontières et l’absence, voire la criminalisation, des secours en mer ou/et en montagne, ne cessent de renforcer les hostilités vis-à-vis des personnes étrangères, et vont à l’encontre de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. »

C’est la raison pour laquelle il importe de rejeter toute action policière (rétention administrative, assignation à résidence, rafle, etc.) conduisant à enfermer les étrangers. C’est un devoir civique si nous voulons que des alternatives démocratiques aux politiques migratoires actuelles se mettent en place, avec de réelles politiques d’accueil où les différences entre les nationalités ne devraient plus peser dans le progrès social.
Il est possible de cohabiter en paix. Les diverses formes de confinement des étrangers, les contrôles migratoires établis aux frontières et l’absence, voire la criminalisation, des secours en mer ou/et en montagne, pour ne citer que quelques exemples qui, au cours de l’année 2018, ont noirci les actions des gouvernements européens, renforcent les hostilités vis-à-vis des personnes étrangères, et vont à l’encontre de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Le progrès et l’enfermement des étrangers pour le seul fait de ne pas avoir de papiers en règle ne seront jamais compatibles.

Olivier Clochard est géographe. Il est chargé de recherches au CNRS.

Cause commune n° 10 • mars/avril 2019