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Dans son mémoire intitulé Le Parti communiste français et l’écologie : une occasion manquée au cœur des années 1968, réalisé à partir d’archives et de témoignages, l’auteur tente un panorama sur les heurs et malheurs du premier « écolo-communisme ».
Entretien avec Victor Michel

L’écologie politique n’est pas au centre des revendications et des contestations de mai-juin 1968. Comme l’explique Alexis Vrignon, dans La Naissance de l’écologie politique en France, elle émerge sur un temps plus long, du début des années 1960 jusqu’au début des années 1980. Parmi les ouvrages qui ont marqué ce courant, on peut citer le best-seller international qu’est Silent Spring publié en 1962 par Rachel Carson. En France, l’accident de la raffinerie de Feyzin en 1966 ou le naufrage du Torrey Canyon en 1967, au large des côtes bretonnes, avec la première marée noire, frappent les esprits. La candidature de René Dumont lors de l’élection présidentielle de 1974 marque l’entrée définitive de l’écologie dans le champ politique, même si son score a été faible (1,32%). Au cours des années 1970, c’est le mouvement antinucléaire qui va devenir le principal élément fédérateur, favorisant l’unification d’une « nébuleuse écologiste » très hétéroclite.
Le PCF réagit à ces événements et à ces nouveaux courants politiques de façon contrastée et contradictoire. Les communistes sont bousculés par cette « nébuleuse » qui émerge alors et accapare les questions environnementales. Ils restent en général les défenseurs des revendications classiques et surtout quantitatives du mouvement ouvrier, et se méfient (voire rejettent) des thèses portées par une nouvelle gauche du type Parti socialiste unifié (PSU) qui affirme vouloir « changer la vie » en profondeur. Ils craignent que la mise en avant de revendications dites « qualitatives » soit un leurre pour masquer le combat prioritaire contre le capitalisme. En outre, pour le PCF, l’émancipation du prolétariat passe par la libération totale du progrès technique, ainsi que par la pleine domination de l’homme sur la nature. Les politiques antiécologiques en vigueur en URSS (lyssenkisme, stakhanovisme…) ont une grande influence sur les communistes français.

« Des intellectuels et dirigeants “écolo-communistes” (René Le Guen, Jean-Louis Moynot…) essaient d’engager pleinement le PCF sur la voie de la réforme écologique. »

Le « communisme, c’est le pouvoir des soviets plus l’électrification » (Lénine) et la période de reconstruction n’a pas poussé à une remise en cause de cet attachement au productivisme et plus largement à la modernité. À la Libération, Maurice Thorez lance le parti sur la voie de la bataille de la production et encourage les travailleurs français à « produire, produire, et encore produire ».
Ainsi, dans la période qui nous intéresse, le PCF s’oppose radicalement aux thèses décroissantes portées par le rapport de Sicco Mansholt publié en 1972 et inspiré par les travaux du club de Rome. Lors d’une conférence de presse organisée le 4 avril 1972, Georges Marchais dénonce une « lettre dissimulée à l’opinion publique » qui défend la mise en place d’une « politique malthusienne à outrance » s’attaquant en priorité aux plus pauvres et à la classe ouvrière. Lors de cet épisode fondateur, les communistes affirment finalement leur rejet catégorique de toute idée de limite naturelle à la croissance.
Si le PCF ne s’est pas « converti » à l’écologie dans ces années, on ne peut à l’inverse affirmer qu’il n’a pas traité et questionné les enjeux environnementaux. De fait, cette période contestataire est favorable à ce type de dialogue car elle est ponctuée par de multiples « rencontres improbables ». D’une part, il y a des luttes concrètes sur le terrain menées de longue date par la CGT (travaux de Renaud Bécot), la Confédération nationale du logement (CNL) et le PCF notamment au sein du « communisme municipal ». Certaines fédérations, surtout dans le sud de la France et la vallée du Rhône – avec la figure de Camille Vallin –, vont particulièrement soutenir cette direction. D’autre part, des intellectuels et dirigeants « écolo-communistes » (René Le Guen, Jean-Louis Moynot…) essaient d’engager pleinement le PCF sur la voie de la réforme écologique. Se produit alors un réel processus de prise en compte de l’écologie à la marge et dans les marges du PCF que vient ensuite
valider la direction. Pour les cadres du parti il y a là un « champ de la bataille idéologique », ainsi que des voix électorales à conquérir.

« La candidature de René Dumont lors de l’élection présidentielle de 1974 marque l’entrée définitive de l’écologie dans le champ politique, même si son score a été faible (1,32 %). »

Si cela peut se mettre en place, c’est aussi grâce à l’aggiornamento alors à l’œuvre au sein du PCF. Cette politique d’ouverture et de refonte est enclenchée par la direction vers le milieu des années 1960. Pour intégrer pleinement la société française, les communistes s’engagent alors dans la voie démocratique et unitaire. Par certains côtés, ce mouvement en direction de l’écologie profite de la libéralisation du travail intellectuel décidée lors du comité central d’Argenteuil (11-13 mars 1966), même si celui-ci ne traite pas des enjeux environnementaux. Les productions écrites se multiplient suite à cet événement, et une infime partie d’entre elles concerne l’écologie. Les publications du livre de Guy Biolat (Luc Foulquier), Marxisme et environnement, en 1973, et de l’ouvrage de Catherine Claude, Voyage et aventures en écologie, en 1977, sont des exemples marquants, tout comme la réalisation du numéro spécial « Écologie et société » par la revue La Pensée en mars 1978 (n° 198). Finalement, des centaines d’articles (L’Humanité, France nouvelle, Économie et politique, ITC Actualités, La Nouvelle Critique et Le Quotidien libéré) sont publiés par le parti sur ces questions. Bien entendu, cela s’insère dans la stratégie d’union de la gauche, rendue officielle par la signature du programme commun en 1972, même si ce document ne consacre que deux petites pages aux questions environnementales. Cette politique d’alliance et de dialogue avec d’autres composantes de la gauche, plus en avance sur ces questions, facilite ce phénomène de prise en compte de l’écologie.

1976 est une année charnière
Elle est ponctuée d’une série d’événements lors desquels les communistes se rapprochent des enjeux environnementaux :
• Le XXIIe congrès du PCF de février 1976 est le point de départ car il accélère la politique d’ouverture mais ne concerne pas directement l’écologie ;
• Un tournant s’opère lors de la réunion du comité central des 30 et 31 mars 1976. Georges Marchais oriente officiellement le PCF en direction de l’écologie. En partie, dans l’optique des élections municipales de 1977.
Le secrétaire général du PCF affirme : « Je crois qu’il y a là pour le parti, et pas seulement pour les municipales, mais pour notre action en général, tout une série de questions à prendre en compte. Il faut ici, très vite, traiter à fond de ce problème pour élaborer une politique générale dans ce domaine. C’est à partir de cette ligne que localement on prendra position dans les différents programmes. »
Suite à cette réunion, un intense travail théorique s’engage au sein de la commission Environnement. Cette dernière est réorganisée et s’intègre dans un vaste secteur Cadre de vie comprenant diverses commissions. Pierre Juquin en a la direction depuis novembre 1974, date à laquelle il remplace Robert Joly.

« 1976 est ponctuée d'une série d'événements lors desquels les communistes se rapprochent des enjeux environnementaux. »

• La candidature du « point vert » lors des élections législatives partielles dans la circonscription de Tours en avril-mai 1976 marque l’apogée de la politique écologique du PCF. Vincent Labeyrie est candidat, son suppléant est l’ouvrier Jacques Vigier. Vincent Labeyrie est un chercheur en écologie et un précurseur oublié de l’écologie politique en France ; il essaie à plusieurs reprises de lancer le PCF sur la voie de la refonte écologique. Cette fois, la direction nationale veut affirmer l’alliance entre le vert et le rouge. Pierre Juquin est là pour superviser la campagne et lance l’idée du point vert (qui vient remplacer le marteau et la faucille) sur les affiches de campagne du PCF. Ce symbole graphique et le discours tenu (notamment sur la remise en cause du nucléaire) agacent les conservateurs du parti qui refusent que la campagne soit entièrement axée sur l’écologie. Or le résultat électoral ne suit pas : Labeyrie est largement battu par le candidat de la droite Jean Royer et finit même derrière le PS. L’électorat traditionnel a été en partie décontenancé et les nouvelles couches sociales ne sont pas venues compenser ces pertes.
• Lors de la réunion du comité central des 21 et 22 juin 1976, Pierre Juquin présente son rapport intitulé « Les communistes et le cadre de vie ». Ce document programmatique est le fruit d’un long processus de réflexion au sein du secteur Cadre de vie. Il donne une réelle assise théorique à « l’écocommunisme » et est publié sous forme de brochure. Le contenu est novateur mais cherche à ne pas heurter les cadres les plus « orthodoxes » ou traditionnels du parti. La question du nucléaire est par exemple éludée et l’adhésion à la croissance est réaffirmée à plusieurs reprises. L’expression « cadre de vie », issue de la gauche chrétienne et surtout des cercles cédétistes (CFDT), est choisie à la place d’écologie ou d’environnement. Ce concept englobe un large panel de questions (urbanisme, transports, pollution, vacances, etc.) et permet de créer un continuum entre les revendications liées au lieu de production et celles liées au hors travail. La notion de « cadre de vie » permet finalement aux communistes de s’adresser à la fois aux ouvriers comme aux nouvelles couches intermédiaires et intellectuelles séduites par l’écologie.

« Les communistes craignent que la mise en avant de revendications dites “qualitatives” soit un leurre pour masquer le combat prioritaire
contre le capitalisme. »

Par la suite, on assiste à un reflux progressif de l’écologie, concomitant au processus plus large de retour à l’orthodoxie à l’œuvre au sein du PCF. En novembre 1976, Pierre Juquin prend la tête de la section Propagande et Mireille Bertrand est nommée à la direction du secteur Cadre de vie qui est alors largement réorienté vers les questions liées à la santé. Si les enjeux environnementaux sont encore l’objet de nombreux débats, aucun événement organisé par le parti à ce sujet n’arrive à la hauteur de l’élection du « point vert ». Lors des élections municipales de 1977, Henri Fiszbin est l’un des seuls candidats communistes (c’est à Paris) à essayer de mobiliser vraiment l’écologie pendant la campagne. La semaine d’action pour le cadre de vie organisée par le PCF du 12 au 19 juin 1977 est un véritable échec.

« Lors de la réunion du comité central des 21 et 22 juin 1976, Pierre Juquin présente son rapport intitulé Les communistes et le cadre de vie. Ce document programmatique [...] donne une réelle assise théorique à “l’éco-communisme”. »

Au cours des années suivantes, le débat politique relatif à l’écologie se focalise particulièrement autour de la question de l’atome, alors même que le PCF vient de réaffirmer son adhésion au nucléaire civil mais aussi pour la première fois de son histoire à la force de frappe (rapport Kanapa présenté lors de la réunion du comité central du 11 mai 1977). Le PCF refuse ainsi de participer à la grande manifestation organisée en juillet 1977 contre le projet de construction du réacteur Superphénix à la centrale nucléaire de Creys-Malville. En Bretagne, la direction oblige même les communistes locaux à adhérer au projet de construction d’une centrale à Plogoff à la fin des années 1970, alors que ces derniers y étaient hostiles. Cette période est propice à l’exacerbation des tensions entre communistes et écologistes. Les dialogues cordiaux ouverts entre les deux camps, comme ce fut le cas lors de la fête de Paris en mai 1977 (débat entre Pierre Juquin et Brice Lalonde), se font de plus en plus rares. Alors que les antinucléaires sont caricaturés en ennemis irraisonnés du progrès dans les colonnes de L’Humanité, les militants communistes sont souvent présentés comme des brutes ignorantes par la presse écologiste. Pour finir, l’association communiste Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE) est créée en 1981, et s’apparente davantage à une marginalisation des questions environnementales au sein du PCF plutôt qu’à leur promotion. Si des actions plus ponctuelles vont continuer à être menées, il faut attendre 1987 puis surtout 1994 pour que ces questions soient reprises explicitement au niveau national avec l’appropriation du concept de développement durable. Or un constat s’impose : en refermant la parenthèse ouverte, le PCF a durablement manqué son rendez-vous avec l’écologie. En 1993, Georges Marchais reconnaît lui-même que son parti « a pris quelque retard dans le domaine de l’écologie ». Le PCF peine encore à s’imposer sur ce terrain, comme semble le faire remarquer Pierre Laurent, l’ancien secrétaire national du parti, en 2018 : « Si cette question figure dans nos têtes depuis longtemps, elle n’a pas été la priorité d’actions transformatrices qu’elle aurait dû être. Il est temps de changer en profondeur l’agenda de nos priorités en la matière » (conférence inaugurale des assises de l’écologie organisée par le PCF).

Victor Michel est titulaire d'un master d'histoire contemporaine de l'université Rennes-II.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020