La démarche de Kelbongoo vise à offrir à toutes et à tous des produits frais, de qualité et bons pour la santé, à des prix accessibles.
Si on lit la définition officielle de l’alimentation durable, par l’agence de la transition écologique (ADEME), elle se définit comme l’ensemble des pratiques alimentaires qui visent à nourrir tous les êtres humains en qualité et en quantité suffisante, aujourd’hui et demain, dans le respect de l’environnement, en étant accessible économiquement et rémunératrice sur l’ensemble de la chaîne alimentaire (producteurs et distributeur).
Alors qu’il y a dix ans cette notion d’alimentation durable n’en était qu’à ses balbutiements, une idée folle germait déjà dans les têtes de Léa Barbier et Richard Fielding : et si tout le monde, sans conditions de revenus, de classe sociale ou d’âge pouvait s’approvisionner à prix accessibles en produits frais, bons pour la santé et de qualité ? Ces deux défenseurs de la justice sociale et du bien-manger se lancent alors quelques mois plus tard dans une aventure sociale et solidaire qu’ils appelleront Kelbongoo : un service de commandes permettant d’acheter en circuit court (seulement un intermédiaire entre le producteur et le consommateur) des produits durables (locaux, respectueux de l’environnement, de la santé et du producteur) et à petits prix !
« Placer les notions du bien manger et de l’alimentation durable non plus comme une simple tendance, ni même un concept, mais comme de vraies questions de société. »
Une démarche engagée et solidaire
À son lancement en 2013, Kelbongoo propose une large gamme de produits fermiers locaux, de grande qualité et à des prix accessibles, au plus grand nombre, tout en rémunérant équitablement les producteurs avec lesquels elle travaille ! En d’autres mots, dans un positionnement engagé et solidaire, nous étions en train de mettre en place un service ayant pour mission sociale de démocratiser l’accès à l’alimentation durable, dans toute sa chaîne de valeur. Les premiers producteurs locaux picards et les consommateurs parisiens se lancent rapidement dans l’aventure : la distribution des commandes commence dans l’appartement de Léa et Richard, puis dans la cave de la sœur de Léa, dans le
19e arrondissement.
En 2015, la première boutique, rue du Borrégo, dans le 20e arrondissement, témoigne de la pertinence du projet. Le succès est rapidement au rendez-vous puisqu’en 2016-2017 nous lançons deux nouvelles boutiques : rue Saint-Blaise (20e), issue d’un financement participatif et rue Bichat (10e), cette dernière entrant dans le projet d’expérimentation de halle alimentaire de la mairie de Paris. Cette évolution témoigne du virage social et sociétal qu’a pris l’alimentation durable, entre 2016 et 2017.
Le reflet d’une révolution alimentaire
En effet, le projet est le reflet d’une solution qui répond aux changements sur notre rapport à l’alimentation : de la révolution industrielle à la révolution agricole, de la ruralité à l’urbanisation, de l’émergence de l’alimentation industrielle dans les années 1970, aux pratiques alimentaires opulentes ou restrictives… tous ces phénomènes ont eu des conséquences sur notre modèle alimentaire donnant naissance, aujourd’hui, à des habitudes alimentaires nouvelles, en quête de proximité.
Rapidement, après-guerre, notre société avait pour credo la productivité : il fallait nourrir un maximum de monde à bas prix. La quantité fut privilégiée sur la qualité des produits : agriculture intensive, élevage industriel, approvisionnement à travers le monde entier avec une exigence de conservation des produits le plus longtemps possible. La fraîcheur et le goût sont passés au second plan : l’aspect esthétique des produits et leur tenue au transport et sur les étals sont devenus la priorité, avec parfois plus de 50% des produits jetés en bout de course. Les variétés de légumes et de fruits furent choisies selon leur résistance et non plus selon leur goût. En parallèle, les premiers supermarchés sortent de terre et, en un tour de main, ils apparaissent comme le temple béni de la consommation : la disette et la famine de la guerre ont laissé des séquelles chez les Français. Consommer, voire surconsommer devient une marque de réassurance et une habitude.
« Kelbongoo propose une large gamme de produits fermiers locaux, et de grande qualité à des prix accessibles, au plus grand nombre, tout en rémunérant équitablement les producteurs avec lesquels elle travaille. »
Plus récemment, divers scandales alimentaires (la crise de la vache folle, celle du cheval dans les lasagnes de bœuf, l’apparition des OGM, la prise de conscience de la nocivité des pesticides sur notre santé), l’explosion de l’obésité (en France, elle a quasiment doublé entre 1997 et 2009 et touche plus de 15% de la population en 2012), autant de faits qui ont une influence sur l’évolution de nos habitudes alimentaires et suscitent une défiance et une prise de conscience du consommateur. Cette prise de conscience, couplée à des rythmes de vie qui s’accélèrent, conduit alors les Français à une multitude de questions : que manger, quand manger, comment accéder aux bons produits, etc. ? En 2016, toutes ces questions placent enfin les notions du bien manger et de l’alimentation durable non plus comme une simple tendance, ni même un concept, mais comme de vraies questions de société.
Cela étant dit, malgré cette prise de conscience individuelle et collective, les politiques publiques continuent de privilégier les gros exploitants et la grande distribution ainsi qu’une logique de compétitivité internationale et entraînent la disparition progressive des petits producteurs français, dont beaucoup gagnent aujourd’hui moins du SMIC. Ces producteurs qui nous nourrissent n’étaient plus capables de se nourrir eux-mêmes, drôle de paradoxe.
Un enjeu environnemental
Concomitamment à ce mouvement social et ce monopole agro-industriel, le recours à des produits dont on maîtrise mal les conséquences sur la santé humaine et l’environnement se développe : antibiotiques, produits phytosanitaires, OGM, farines animales, additifs, conservateurs… Cette utilisation a, aujourd’hui, de graves conséquences sur les êtres humains et l’environnement, notamment du fait de la pollution de l’eau par les pesticides. À cela s’ajoute la logique d’approvisionnement international, qui accroît les pollutions liées au transport. Finalement, c’est la santé et l’environnement qui ont fini par passer au second plan. Et, plus récemment encore, les crises environnementales rendues publiques viennent renforcer cette nécessité de démocratie de l’alimentation durable. Il ne s’agit plus de bien manger uniquement pour soi mais aussi pour avoir un effet moindre sur les aléas climatiques que le monde traverse.
C’est face à ce constat que Léa et Richard se mobilisent, à leur petite échelle, dans le quartier où Léa a grandi, pour lancer une initiative qui contribue, parmi tant d’autres à l’échelle de divers territoires, à l’émergence d’un nouveau système alimentaire.
Un contexte très porteur
Simultanément à ce rapport de force avec l’agro-industrie et aux scandales alimentaires et environnementaux, en 2016, on apprend que 86% des Français fréquenteraient un magasin de producteurs s’il en existait un près de chez eux … Ni une, ni deux, en 2017, le marché des circuits courts représentait déjà plus de 11 milliards d’euros, avec la présence de magasins d’alimentation bio (enseignes, épiceries) qui a quasiment doublé ! Avec la période covid, cette tendance à la consommation durable et au circuit court s’est largement accélérée ! Pour nous, chez Kelbongoo, les commandes ont augmenté de 30 à 40 %, le trafic sur le site a été multiplié par cinq et le panier moyen a augmenté de 40%.
C’est, en partie, grâce à cette demande croissante que nous étendons encore plus significativement notre activité, en 2020. Après nos trois boutiques ouvertes dans le nord-est parisien, nous développons les livraisons dans des « points partenaires » (points relais où l’on vient chercher sa commande sur un créneau horaire fixe). Cela permet d’étendre notre rayon d’action à la Seine-Saint-Denis, et de continuer à toucher un public le plus large possible : deux points à Montreuil sont ouverts en février 2020, un à Saint-Ouen en juin 2020, à Noisy-le-sec en novembre 2020, à Romainville en janvier 2021. En mars 2021, nous ouvrons aussi une quatrième boutique à Stalingrad, un des quartiers prioritaires de la capitale.
Le grand défi de l’accessibilité
Cela étant dit, malgré la multiplication de nouvelles initiatives pour répondre à l’envie de consommer local et durable, les freins restent forts : le prix élevé des produits locaux, bio et fermiers est le premier frein à l’achat pour les consommateurs et l’accès à des débouchés urbains rémunérateurs reste difficile pour les producteurs locaux. Les circuits courts se développent donc à toute vitesse, signe d’une conscience collective qui s’éveille mais ce qui se présente comme du bon sens (se nourrir de ce qui est produit à côté de chez soi)... est en réalité tout sauf simple. Aujourd’hui, différents modèles existent, mais il semble qu’ils soient toujours au détriment d’une ou de l’autre partie : des supermarchés qui écrasent certes les prix, mais aussi des producteurs et des circuits courts qui soutiennent fortement les agriculteurs mais restent inaccessibles ou parfois contraignants pour une grande partie de la population…
Tandis que la grande distribution fonctionne sur des modèles productivistes et industriels à grande échelle, les circuits courts agissent à plus petite échelle, mais avec les mêmes enjeux logistiques : approvisionnement, acheminement, conditionnement, distribution, communication, vente… C’est d’ailleurs souvent la raison pour laquelle les circuits courts sont parfois chers, ce qui peut sembler paradoxal de prime abord (moins d’intermédiaires, moins de kilomètres parcourus par les produits...). En effet, les intermédiaires (entre le producteur et le consommateur) des circuits courts n’assurent en général que la partie en aval de la chaîne (distribution, communication, vente), et les producteurs assurent le transport et parfois le conditionnement, voire la distribution des produits. Cette charge de travail supplémentaire pour le producteur, pour des quantités de produits parfois faibles, augmente souvent le prix final.
Chez Kelbongoo, nous avons fait le choix de prendre en charge l’intégralité de la chaîne, et de nous confronter à la bête noire de tous les circuits courts : la logistique ! Nous optimisons nos déplacements et assurons la collecte des produits en Picardie ainsi que la préparation des commandes dans notre entrepôt de Montreuil. Nous simplifions au maximum le travail de nos producteurs, qui peuvent ainsi nous proposer des prix modérés tout en restant rémunérateurs (71% du prix de vente reviennent aux producteurs).
À travers ce modèle, nous ambitionnons de relever le grand défi de l’alimentation durable en circuit court, à savoir couvrir l’intégralité de la chaîne de valeur pour garantir des prix accessibles, à l’instar des géants de la grande consommation, mais à l’échelle de petits producteurs locaux, de boutiques locales, et avec, bien sûr, une répartition équitable de la valeur entre consommateurs, producteurs et Kelbongoo !
Un besoin de vulgarisation
Une alimentation durable implique le traitement de toute la chaîne de valeur, sur son aspect financier (producteurs justement rémunérés et petits prix pour les consommateurs) mais aussi dans son positionnement d’acteur de quartier. En effet, pour Léa, formée à l’éducation populaire sur les thématiques de l’environnement et de l’eau, il était indispensable que Kelbongoo se positionne comme acteur de l’éducation à l’alimentation durable. Nous cherchons à vulgariser le terme et son utilisation afin de l’ancrer dans le quotidien : nous organisons des conférences, des visites de fermes, des ateliers de cuisine, des dégustations… À notre niveau, nous mettons en place des actions de sensibilisation à l’alimentation durable pour les habitants du quartier où nous sommes implantés !
C’est cette différenciation, avec nos enjeux sociaux, qui nous distingue des initiatives similaires de vente de produits locaux en circuit court. Pour que l’accès à une alimentation durable pour tous et toutes ne soit plus un défi mais un droit social !
Pauline Manfredi est responsable de la communication à Kelbongoo.
Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021