La situation dramatique de très nombreux migrants est accentuée sous l’effet des derniers textes promulgués, la dégradation des conditions d’hébergement et le renforcement des contrôles.
Promu par la convention de Genève de 1951 et consacré comme principe constitutionnel, le droit d’asile s’impose à la France qui a accueilli en 2017 près de cent mille demandeurs d’asile, nombre qui sera en légère augmentation en 2018. Mais, derrière ces grands principes, se cachent la misère et la dégradation des conditions d’accueil et d’hébergement des personnes qui fuient la guerre, les persécutions et l’extrême pauvreté.
Un dispositif d’accueil et d’hébergement dramatiquement sous-dimensionné
Avec environ quatre-vingt dix mille places d’hébergement dédiées, au plan national, aux demandeurs d’asile, principalement en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) et en hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA), la France est loin de proposer des conditions matérielles d’accueil et d’accompagnement des personnes migrantes en conformité avec ses engagements internationaux. Seulement 47 % des demandeurs d’asile obtiennent un hébergement et un accompagnement dans ce cadre légal. Les personnes et leur famille n’obtenant pas de solution sont donc renvoyés dans le meilleur des cas vers le 115 et les centres d’hébergement dédiés aux sans domicile fixe qui sont structurellement saturés. Cette situation inacceptable a une double conséquence : la multiplication des campements indignes dans les métropoles, en particulier en Île-de-France qui accueille 45 % de la demande d’asile en France, mais aussi une dramatique concurrence entre les publics pauvres dans les dispositifs d’hébergement, une « lutte des places » qui alimente les réactions de rejet et l’épuisement des travailleurs sociaux souvent placés devant des choix inextricables. Pour répondre à cette crise de l’accueil, les associations demandent – en vain – depuis 2015 un plan national d’accueil et d’intégration des personnes migrantes et réfugiées, axé sur le renforcement des plateformes de premier accueil aujourd’hui largement sous-dotées (un équivalent temps plein pour sept cents demandeurs d’asile parfois) et la création demandée sur le quinquennat de quarante mille places d’hébergement de type CADA, avec un accompagnement social et juridique durant toute la procédure. Si quelques milliers de places nouvelles sont programmées chaque année, cette dynamique n’est pas à la hauteur de la demande d’asile, tandis que la loi votée en juillet 2018 vient durcir les conditions d’accueil des nouveaux arrivants.
La loi « asile et immigration » prévoit en effet que les personnes seront orientées selon un schéma national d’accueil vers une région déterminée en fonction de la part des demandeurs d’asile accueillis mais sans aucune garantie quant à une offre effective d’hébergement. Ces dispositions prévoient également la suspension des conditions matérielles d’accueil (hébergement et allocation) si le demandeur d’asile quitte la région assignée sans autorisation. Tout en remettant en cause le droit fondamental à la libre circulation, cette disposition risque d’augmenter les parcours d’errance en campement indigne.
Le tri et le contrôle des migrants comme politique de gestion des flux
Le droit inconditionnel à l’hébergement pour toute personne à la rue est également menacé par la circulaire du 12 décembre 2017 sur le recensement par l’État des étrangers dans les centres d’hébergement d’urgence, prélude, selon les cas, à une assignation à résidence, une orientation vers la rétention administrative ou la délivrance d’une obligation à quitter le territoire (OQTF). Cette politique de contrôle des migrants sans domicile fixe a été dénoncée par le défenseur des droits et par les associations de lutte contre l’exclusion qui ont obtenu devant le Conseil d’État le consentement des personnes comme préalable de ce recensement, faisant échec à la généralisation des contrôles dans l’hébergement.
« Une dramatique concurrence entre les publics pauvres dans les dispositifs d’hébergement alimente les réactions de rejets et l’épuisement des travailleurs sociaux souvent placés devant des choix inextricables. »
Le « tri » des migrants s’exerce également à l’encontre des demandeurs d’asile relevant du « règlement Dublin », pour lesquels le traitement de la demande d’asile relève du pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne. Chaque année, entre trente mille et quarante mille personnes sont empêchées dans ce cadre de déposer une demande d’asile en France et 12 % d’entre elles sont reconduites dans le pays responsable de leur demande d’asile. La mise en place récente des centres d’examen et d’accueil des situations (CAES) et des pôles régionaux Dublin (PRD) vise à « sélectionner » les migrants dès leur demande d’asile et d’hébergement (enregistrement des empreintes) en vue d’une orientation systématique vers une assignation à résidence et un transfert vers le pays « responsable ». Cette intensification des mesures de contrôle et d’assignation à résidence conduira inévitablement les personnes à ne plus solliciter d’hébergement – de peur des contrôles – ou de fuir les hébergements et les logements qu’ils occupent pour s’enfoncer dans la clandestinité. Les associations sont unanimes à demander que la France prenne sa part de responsabilité dans l’accueil des demandeurs d’asile et utilise la clause discrétionnaire prévue par le règlement Dublin pour requalifier les procédures et rendre la France responsable de ces demandes.
« Cette intensification des mesures de contrôle et d’assignation à résidence conduira inévitablement les personnes à ne plus solliciter d’hébergement – de peur des contrôles – ou de fuir les hébergements et les logements qu’ils occupent pour s’enfoncer dans la clandestinité. »
La répression des étrangers par l’augmentation de la durée de la rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours à partir de janvier 2019 est également une mesure dégradante et attentatoire aux libertés fondamentales. Comme l’est la rétention des enfants (plus de trois cents en France métropolitaine), malgré les cinq condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et les recommandations faites à la France par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.
Enfin, la situation est également critique pour les dizaines de milliers de personnes – souvent en famille – sans titre de séjour, qui sont maintenues depuis des années dans l’extrême précarité, hébergées à l’hôtel sans ressources ni droit au travail. La régularisation de ces publics permettrait de lutter efficacement contre la pauvreté des personnes exilées en leur donnant de réelles perspectives d’intégration.
Florent Guéguen est directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité.
Cause commune n° 10 • mars/avril 2019