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Khal Torabully est né en 1956 à Port-Louis, capitale de l’île Maurice.

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Il est issu d’une famille de coolies, c’est-à-dire de parias indiens condamnés au silence. Il dit dans ses poèmes les cales infectées et les corps jetés par-dessus bord lors de l’exode de ses ancêtres de leur terre natale, bétail « vendu avec outils » à l’arrivée. Cette douleur ancienne irradie dans sa poésie en « fragments d’histoire criée », même si « L’heure est enfin venue/de ne plus trembler/à l’appel de ton nom/ », même si l’île natale regorge de beautés, avec sa terre couleur caramel, ses parfums, ses paons et la mer omniprésente. Sur le modèle du concept de négritude, il forgera celui de coolitude, « partage d’une terre de giboyeuse parole ». Cette composante de la créolité propre aux îles de l’océan Indien, et destinée à augmenter « les mémoires différenciées de l’esclavage », sera saluée par Aimé Césaire. Il sera un des membres fondateurs du Groupe d’études et de recherches sur les mondialisations, créé en 1999 à Paris.
En 1976, il vient s’installer à Lyon pour y faire des études de lettres, clôturées par un doctorat de linguistique (Sémiologie du poétique). Khal Torabully a publié une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels L’Ombre rouge des gazelles, inspiré par le drame sanglant de l’Algérie (la gazelle est dans la tradition littéraire arabe le symbole de la liberté), recueil auquel est attribué le prix Missives en 1998. Il emprunte avec un incroyable appétit à la langue créole ou crée son propre lexique, faisant aussi la part belle aux sons et aux rythmes.
Considéré comme une voix majeure de l’île Maurice, mais aussi grand voyageur, invité à de nombreux événements culturels dans le monde, Khal Torabully est également scénariste et réalisateur de documentaires distingués aussi par plusieurs prix.

Katherine L. Battaiellie


Je ne suis pas d’ici comme on est commis de seconde classe.
Je suis père des métamorphoses
Après avoir longtemps courbé ma langue
Devant le saccage des cervelles.
On ne dira plus c’était un bon coolie,
Un coolie sucré qui se distrait de rien,
Un z’indien qui a la fragilité de l’horizon
à l’approche du cyclone glouton.
On ne dira plus que la gale de sa misère
Le ravale à l’insignifiance de sa présence.
Ni que son sang étrange
Imprégné d’épices rances
A le relent troublant de son costume de fakir.
On ne dira plus qu’il mange chien
Ou crapaud sans sel.
On dira qu’il a retrouvé l’appétit des mots
Au cri puissant de son humanité.

Khal Torabully, Chair corail, Fragments coolies, Ibis rouge, 1999.


L’enfant que la main a épargné
a englouti le soleil de la fontaine.
Un vieillard inerte, imberbe, pur
avait glissé dans l’éternité avant l’aube.
Sont morts après lui :
sa femme enceinte,
son fils borgne,
sa fille timide,
son chien chétif,
sa brebis galeuse,
sa mère maladive,
son grand-père amnésique.
L’enfant marche sur les cadavres,
éloigne les mouches,
et regarde le plafond aux couleurs glauques.
Quel temps reste-t-il
avant de glisser dans la douleur ?

Khal Torabully, L’Ombre rouge des gazelles, Paroles d’aube, 1998.

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021