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Il n’y a pas une jeunesse uniforme, mais des jeunesses plurielles et singulières, traversées par des fractures sociales et territoriales.

«La transition de l’enfance et de l’adolescence à l’âge adulte, le développement de l’identité personnelle, de l’autonomie psychologique et de l’autorégulation, la tentative de lier la transition temporelle personnelle à des images culturelles générales et aux rythmes cosmiques et de lier la maturation psychologique à l’émulation de modèles définis de rôles – tout cela constitue les éléments de base de l’image archétypale de la jeunesse. Cependant, les manières selon lesquelles ces différents éléments se cristallisent en configurations concrètes diffèrent grandement de société à société et à l’intérieur des secteurs d’une même société » (Eisenstadt, 1956, 1963).
De manière générale, la jeunesse dérange, quand elle ne fait pas peur. On lui reproche tout à la fois son manque de discernement, de participation politique et, dans le même temps, on décrédibilise les mouvements sociaux de jeunesse. Génération sacrifiée et feignante, pas assez ou trop politisée, la jeunesse reste un groupe à part dans le paysage politique français largement dominé par les hommes blancs de plus de 50 ans. Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on parle de « jeunesse » ?
Le triptyque jeunesse-âge adulte-vieillesse, jusqu’alors largement mobilisé par les sciences sociales ne permet plus de lire les métamorphoses des parcours de vie contemporains. Quant aux « seuils », qui faisaient qu’on passait d’un âge à l’autre, ils ne sont plus représentatifs du passage réel d’un monde à l’autre. La difficile autonomisation des jeunes adultes dans les pays occidentaux – largement liée aux difficultés d’accès à l’emploi – déplace les seuils, voire les fait disparaître, au profit de trajectoires de l’âge adulte de plus en plus instables sur le plan personnel comme sur le plan professionnel. Les études sont de plus en plus longues, le chômage très important chez les primo-entrants dans le marché de l’emploi, l’âge du premier enfant recule, ainsi que l’âge du premier achat immobilier et une forte mobilité spatiale est de plus en plus nécessaire pour résister à l’instabilité.Il n’y a pas une jeunesse uniforme, mais des jeunesses plurielles et singulières, traversées par des fractures sociales et territoriales.

« Le mouvement de retrait de la vie politique des jeunes n’est pas uniforme et il existe de grandes disparités. »

Les jeunesses partagent certaines références culturelles – à travers la mode et les réseaux sociaux notamment – largement liées à la culture de masse, mais aussi un certain pessimisme vis-à-vis de leur avenir professionnel et personnel. Mais ils n’ont pas de destin commun et de grandes inégalités traversent la génération des 18-30 ans. La disparition annoncée des classes sociales n’a pas eu lieu et les conditions de naissance déterminent toujours le destin des individus, de sorte qu’enfants d’ouvriers et enfants de cadres ont peu de chances d’avoir la même trajectoire scolaire, professionnelle et finalement sociale.

Le milieu social demeure déterminant
Le milieu social d’origine demeure déterminant pour comprendre les parcours de vie différenciés des individus. Bien qu’en 2021, près de 80 % d’une classe d’âge atteignait le niveau du baccalauréat, les dernières statistiques de l’INSEE nous rappellent que globalement les jeunes sont plus exposés que les autres classes d’âge à la pauvreté et au chômage. En 2021, 21 % des 15-24 ans sont sans emploi et la part des jeunes de 15 à 29 ans qui ne sont ni en emploi ni en formation atteint 13 %. Cependant, tous les jeunes ne sont pas touchés de la même manière par le chômage et la précarité. Selon le chercheur Ugo Palheta, les enfants issus de classes populaires ont huit fois plus de chances que les enfants issus des milieux les plus favorisés de fréquenter l’enseignement professionnel, et l’institution scolaire contribue fortement à façonner le devenir scolaire des jeunes. Or ce sont les individus les moins diplômés qui ont connu la plus forte augmentation du chômage entre 2000 et 2021. Par ailleurs, le système d’enseignement supérieur en France repose en partie sur la capacité des familles à assurer la subsistance matérielle des jeunes. Les ressources sociales et familiales des jeunes lors de la transition vers l’âge adulte conditionnent donc fortement leur capacité à poursuivre des études ou à s’intégrer sur le marché du travail. Enfin, la décohabitation du foyer parental est également rendue plus difficile à la fois par la précarité des premiers emplois occupés par les jeunes et par la pression foncière importante constatée notamment dans les grandes villes. Les jeunesses en France font donc face à des parcours d’entrée dans l’âge adulte compliqués par le contexte socio économique dans lequel ils évoluent et ce contexte vient renforcer des inégalités sociales déjà présentes. Ces inégalités sociales se retrouvent également dans le rapport des jeunes à la politique.

Que votent les jeunes ?

Les générations les plus récentes font l’objet d’une attention particulière de la part des journalistes et des chercheurs à chaque élection, en France et dans le monde. Considérés comme des citoyens désintéressés par la politique, les jeunes seraient plus enclins à ne pas voter ou à voter pour les extrêmes.

« La disparition annoncée des classes sociales n’a pas eu lieu et les conditions de naissance déterminent toujours le destin des individus. »

Selon Éric Nunès dans Le Monde Campus et d’après un sondage IFOP pour l’Association national des conseils d’enfants et de jeunes (ANACEJ) réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1 203 personnes de 18 à 25 ans, l’abstention serait le premier parti chez les jeunes, puisque 52 % d’entre eux ne se seraient jamais rendus aux urnes. Par ailleurs, Marine Le Pen arriverait en tête des intentions de vote, devant Emmanuel Macron et tous les autres, et représenterait même plus de 50 % des intentions de vote chez les jeunes issus de la classe ouvrière.
Les résultats d’entre deux tours rapportés par l’IPSOS sont moins alarmistes, les abstentionnistes seraient près de 30 % chez les moins de 35 ans, et on remarque une baisse du taux d’abstention avec l’évolution positive des revenus du foyer. Selon ce même sondage, Marine Le Pen aurait perdu sa suprématie auprès des jeunes de 18 à 24 ans au profit de Jean-Luc Mélenchon (21 % contre 30 %) et d’Emmanuel Macron auprès des 25 à 34 ans. Elle arrive en revanche en tête chez les 35-49 ans avec près de 30 % des suffrages.

« Depuis les années 1980, les Français sont en fait de moins en moins conservateurs et intolérants, notamment les générations les plus récentes, particulièrement ouvertes d’un point de vue culturel par rapport à toutes les générations qui les précèdent. »

Deux enquêtes par sondage, des résultats relativement différents et, au bout du compte, des jeunes dont le rapport à la politique est difficile à cerner. Le mouvement de retrait de la vie politique des jeunes n’est pas uniforme et il existe de grandes disparités. Comme l’ont montré de nombreux chercheurs, bien que l’intérêt pour la politique ait baissé dans les nouvelles générations, les plus diplômés sont toujours plus intéressés que les moins diplômés. Et ce désintérêt pour la politique a un effet direct sur le vote.

Une génération moins conservatrice
Parallèlement à cela, les débats récents autour des questions d’immigration et d’identité portées largement par la droite et l’extrême droite et l’impression d’un plébiscite de Marine Le Pen par la jeunesse laisseraient à penser que les jeunes Français seraient en phase de repli politique et identitaire, à l’image d’autres démocraties de l’espace européen (Pologne et Royaume-Uni entre autres). Ce conservatisme politique et culturel supposé des Français et en particulier des générations les plus récentes n’est pourtant pas confirmé par les recherches menées sur le sujet. Depuis les années 1980, les Français sont en fait de moins en moins conservateurs et intolérants, notamment les générations les plus récentes, particulièrement ouvertes d’un point de vue culturel par rapport à toutes les générations qui les précèdent. Cependant, comme pour le vote ou le positionnement politique, les générations les plus récentes ne sont pas homogènes et le degré de tolérance dépend largement du niveau d’éducation des individus. En effet, plus le niveau de diplôme augmente, plus le degré de conservatisme baisse. Ainsi, les jeunes les plus diplômés ne partagent pas tout à fait les mêmes valeurs culturelles que les jeunes les moins diplômés, qui sont globalement plus conservateurs sur les questions d’identité et d’immigration.

« Réduire ces inégalités ne pourra se faire qu’à la condition de mettre en place des politiques publiques fortes en direction des jeunes, afin que chacun puisse trouver sa place dans notre société et exercer réellement son rôle de citoyen. »

« Selon que vous serez puissant ou misérable »
Faire un portrait sociologique de la jeunesse française n’est pas un exercice facile. Génération plurielle, les jeunes de 18 à 35 ans n’ont ni les mêmes parcours, ni les mêmes opinions politiques, ni les mêmes valeurs et le milieu social d’origine continue de peser lourdement sur le destin social des individus. Outre les inégalités qui perdurent entre cette génération et les précédentes du point de vue de l’insertion sociale et professionnelle, il existe de fortes inégalités intragénérationnelles qui conditionnent les parcours des jeunes et creusent encore un peu plus le fossé culturel et social entre les différentes jeunesses. Réduire ces inégalités ne pourra se faire qu’à la condition de mettre en place des politiques publiques fortes en direction des jeunesses, afin que chacun puisse trouver sa place dans notre société et exercer réellement son rôle de citoyen.

Amaïa Courty est sociologue. Elle est doctorante en science politique à l’université de Bordeaux.

Cause commune • janvier/février 2022