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John Ronald Reuel Tolkien naît en 1892 à Bloemfontein, alors capitale de l’État libre d’Orange, aujourd’hui en Afrique du Sud.

John Ronald Reuel Tolkien naît en 1892 à Bloemfontein, alors capitale de l’État libre d’Orange, aujourd’hui en Afrique du Sud. Son père décède alors que Mabel Tolkien emmène ses deux enfants en voyage en Angleterre. La famille s’établit à Sarehole, près de Birmingham. Mythographe, philologue et romancier, Tolkien est également l’auteur de nombreux poèmes. Ses œuvres inédites, publiées de façon posthume par son fils Christopher, comprennent non seulement la mythologie de la Terre du Milieu mais aussi des éditions et des traductions de textes médiévaux en vieil anglais. Les textes poétiques en vieil anglais inspireront l’auteur pour composer les nombreux chants qui ponctuent son œuvre. C’est le cas notamment des poèmes (« Le marin », « L’errant ») contenus dans le Livre d’Exeter, un codex de la seconde moitié du Xe siècle. Ces poèmes au ton élégiaque marquent profondément la poésie de Tolkien, qui se caractérise notamment par la récurrence du thème littéraire de l’ubi sunt. « La dernière arche » est empreint d’une méditation mélancolique sur la perte et le deuil, caractéristique de la poésie de Tolkien, qui s’inscrit à la fois dans son temps et dans une longue tradition littéraire qui remonte à l’Antiquité.
On retrouve l’écho des paysages de la campagne anglaise où il grandit dans les descriptions de la Comté (The Shire) le pays des Hobbits. Chez Tolkien, le sentiment de perte irrémédiable se rattache à la fois aux êtres, aux lieux et aux choses. « La dernière arche » évoque l’altération d’un ordre du monde, le passage d’un « Âge » à un autre.
À la fin du Seigneur des Anneaux, un autre vaisseau blanc, en partance du dernier rivage de la Terre du Milieu, conduit Frodon Sacquet, le protagoniste de la trilogie, vers les Terres immortelles.
Tolkien commence à jeter les bases de sa mythologie sur son lit d’hôpital, alors qu’il souffre de la fièvre des tranchées contractée dans la Somme. On retrouve chez Frodon un souvenir de la mémoire traumatique du soldat de la Grande Guerre qui y laissa plusieurs de ses amis. L’expérience de la perte hante de nombreux personnages de Tolkien. Dans « La dernière arche », c’est sans témoins que se tourne la page d’un exil définitif hors du monde connu. Le monde n’existe qu’à travers le regard des êtres qui l’habitent ou qui lui donnent le jour. L’exil marque la fin d’un récit particulier du monde. Celui-ci s’en trouve alors irrémédiablement altéré. « Avant, écrit Tolkien, une route droite allait vers l’Ouest/ Maintenant, toutes les routes sont courbes. »


 

La dernière arche 

Qui verra un vaisseau blanc
quitter le dernier rivage,
les pâles fantômes en son sein froid
telles des mouettes qui gémissent ?

Qui remarquera un vaisseau blanc,
léger comme un papillon
dans la mer qui monte,
sur des ailes telles des étoiles,
la mer qui enfle,
l’écume qui souffle,
les voiles qui brillent,
la lumière qui s’évanouit ?

Qui entendra rugir le vent
telles les feuilles des forêts ;
les rochers blancs qui grondent
dans la lune qui scintille,
dans la lune qui décroît,
dans la lune qui tombe,
une chandelle-cadavre ;
le tonnerre qui murmure,
l’abîme qui remue ?

Qui verra s’assembler les nuages,
les cieux qui se penchent
sur les collines qui s’effondrent,
la mer qui se soulève,
l’abîme qui bâille
les ténèbres anciennes
au-delà des étoiles qui tombent
sur des tours effondrées ?

Qui remarquera un vaisseau brisé
sur les rochers verts
sous des cieux rouges,
un soleil voilé qui luit faiblement
sur des os qui brillent
dans le dernier matin ?

Qui verra le dernier soir ?

Poème publié dans Les Monstres et les critiques, édition de Christopher Tolkien, traduction de Christine Laferrière, Christian Bourgois, 2006, p. 264-266.

Cause commune n° 16 • mars/avril 2020