Dans une période où les questions migratoires sont complètement sorties de leur contexte, utilisées et manipulées par les « artisans » de la haine, du complot, des fausses nouvelles (fake news), de la recherche de coupables, il est indispensable d’approfondir le débat pour raconter un autre récit et retrouver la définition de l’hospitalité.
Il est essentiel de rappeler en permanence que les migrations sont constitutives de l’humanité et une réalité qui existe depuis des siècles.
De quoi parle-t-on ?
L’immigration extraordinaire provoquée par les guerres et les conflits ne doit pas faire oublier que certains pays accueillent en continu une immigration ordinaire. C’est le cas de la France et cette immigration ordinaire due aux mariages mixtes, au regroupement familial, aux études à l’étranger est loin devant la migration de travail qualifié et l’obtention de statut de réfugié. En 2018, ce sont 255 550 obtentions de premier titre de séjour – 50 % sont des étudiants ou des motifs familiaux – et 33 380 attributions de l’asile. Et cela dans un pays de 65 millions d’habitants (France métropolitaine).
Fin 2017, on comptait environ 258 millions de migrants internationaux dans le monde, soit 3,3 % de la population mondiale contre 111 millions en 1990, soit 2,9 %. Au niveau international, il n’existe pas de définition universellement acceptée du terme « migrant ». Il s’applique aux personnes se déplaçant vers un autre pays ou une autre région aux fins d’améliorer leurs conditions matérielles et sociales, leurs perspectives d’avenir ou celles de leur famille. Le nombre de migrants est en augmentation toute relative quand on prend soin de comparer cette hausse à celle de la population mondiale. Rappelons aussi qu’en 1900 les migrants internationaux représentaient 5 % de la population mondiale et que cela concernait à l’époque, avant tout, les Européens. Aujourd’hui, contrairement à bien des idées reçues, les mouvements Sud/Sud dépassent les mouvements Sud/Nord et 60 % des migrants ne quittent pas l’hémisphère Sud.
Cent cinq millions de migrants sont originaires d’Asie, 60 millions d’Europe et 36 millions d’Afrique. Au prorata de la population respective des continents, ce sont toujours les Européens qui migrent le plus.
Le changement majeur de la période actuelle est que les migrations concernent quasiment tous les pays qui sont à la fois, points de départ, d’arrivée et de transit. Les migrations se sont mondialisées.
Le mot « crise » a donc bien, dans la bouche de l’extrême droite ou de dirigeants européens et français, une fonction politique qui traduit la volonté des gouvernements des pays européens de durcir les politiques migratoires en particulier vis-à-vis des pays du Sud et cela en surfant sur le populisme, le nationalisme et la xénophobie.
On pourrait plutôt utiliser ce mot pour qualifier le nombre de personnes déracinées, c’est-à-dire obligées de fuir leur domicile. Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) en dénombre 68,5 millions, soit un accroissement de 16,2 millions pour la seule année 2017, dont 6 % vivent en Europe.
« Depuis trente ans, le solde migratoire de la France oscille entre 50 000 et 100 000, soit autour de 0,1 % de la population. »
Le constat est clair : l’Europe est bien loin d’être une terre d’accueil pour ces déracinés.
En revanche, 90 % de ceux qui ont obtenu une protection internationale par un État de l’Union européenne sont arrivés par la Méditerranée, qui est la voie la plus dangereuse du monde. Entre le 1er janvier 2014 et le 2 mai 2016, plus de 8 412 personnes sont mortes en Méditerranée et 208 en Europe.
Pour terminer cette série de données chiffrées et permettre de prendre du recul, notons que, depuis trente ans, le solde migratoire de la France (différence entre les entrées et les sorties) oscille entre 50 000 et 100 000, soit autour de 0,1 % de la population.
Pourquoi en est-on arrivé à ce débat totalement irrationnel ?
Rappelons tout d’abord que Nicolas Sarkozy a eu la main sur la politique migratoire pendant neuf ans, quatre ans en tant que ministre de l’Intérieur, de mai 2002 à mars 2004, puis de juin 2005 à mars 2007, et cinq ans comme président de la République, de 2007 à 2012. Durant ces neuf années, six lois sur l’immigration ont été présentées et votées. À partir de 2005, Sarkozy se présente comme l’homme de la rupture sur la question des politiques migratoires ; il mêle sécurité, intégration et identité nationale avec des arguments avant tout répressifs. Tous ses discours et ses argumentaires sont alors basés sur le méfait du recrutement massif de travailleurs immigrés, sur sa volonté de réduire le regroupement familial et son refus de se soumettre aux « diktats de la pensée unique de gauche », qui prive le peuple de donner son avis objectivement. Pour justifier sa volonté de restreindre les migrations et de « choisir ses migrants », il tente de réécrire l’histoire et de manipuler l’opinion publique. Il veut augmenter l’immigration du travail et réduire le regroupement familial.
En 2010, en pleine crise économique et financière, alors que le chômage augmente, Marine Le Pen profite du vide et de l’absence de réaction de la gauche pour désigner les responsables du chômage : les étrangers. Nous entrons dans une surenchère verbale avec une grande manipulation des chiffres vus précédemment par l’extrême droite mais aussi par la droite (cf. Éric Ciotti au sujet des chiffres du ministère de l’Intérieur de 2018).
« Cette solidarité concrète se heurte à l’absence de solutions politiques et en particulier à l’Europe forteresse qui actuellement préfère construire des murs que des solidarités pour favoriser un accueil digne des migrants. »
François Hollande essaie ensuite de calmer les excès verbaux mais la machine fake news est lancée depuis trop longtemps. Les images de la « Jungle de Calais » et des migrants sur les rochers à la frontière franco-italienne de Menton ont un effet terrible sur l’opinion publique en 2015. Le gouvernement socialiste ne bouge pas d’un pouce pour faire changer les choses et faire preuve de solidarité européenne. à l’apogée de l’arrivée des réfugiés fuyant la guerre en Syrie, le gouvernement de Manuel Valls s’engage à accueillir un peu plus de 19 000 demandeurs d’asile alors que l’Allemagne en accueille plus d’un million.
Le manque de courage politique des gouvernants, l’assimilation constante des questions migratoires et des problèmes de sécurité laissent place à un discours extrémiste, populiste, nationaliste et débouche sur une régression des conditions d’accueil des migrants dans notre pays.
Et maintenant que faire ?
Ce tournant de 2015 a aussi montré la capacité de résistance, de révolte et d’organisation de citoyens solidaires, malgré les pressions judiciaires. Des centaines de militants communistes dans toute la France agissent aux côtés des associations pour permettre aux migrants de passage ou aux demandeurs d’asile d’accéder à leurs droits.
C’est cette solidarité concrète qui remet au cœur du débat quelques réalités, numériques mais surtout humaines. Des chemins de migration sont diffusés, expliqués. Aucun chiffre ne peut tenir face à de tels témoignages, en particulier sur la traversée de la Libye ou de la Méditerranée.
Mais il est évident que cette solidarité concrète se heurte à l’absence de solutions politiques et en particulier à l’Europe forteresse qui actuellement préfère construire des murs que des solidarités pour favoriser un accueil digne des migrants.
Après des mois d’audition et de travail auprès des associations, des militants de la solidarité, des universitaires, le Parti communiste français publie une brochure en avril 2018, Pour une France hospitalière et fraternelle, une Europe solidaire (voir ci-dessous). Avec cette contribution, le Parti communiste français veut mettre en débat une nouvelle approche des enjeux migratoires, qui s’appuie évidemment sur le droit international et sur des propositions d’accès aux droits, de vie digne, et surtout défend l’indispensable mise en place de voies légales et sécurisées de migration, seule façon effective de démanteler les trafics d’êtres humains.
Il est urgent de réorienter la politique migratoire européenne et de la mettre en conformité avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui énonce que « toute personne a le droit de circuler librement, de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, toute personne a le droit de quitter tout pays y compris le sien, et de revenir dans son pays ».
Cécile Dumas est membre du conseil national du PCF. Elle est responsable adjointe du secteur International, chargée des enjeux migratoires.
Pour une France hospitalière et fraternelle, une Europe solidaire à télécharger sur :
http://www.pcf.fr/pour_une_france_hospitaliere_et_fraternelle_une_europe_solidaire
Cause commune n° 10 • mars/avril 2019